Contribution

« Université : La laïcité en péril ? » Débat animé à Sciences po : éclairant ! (G. Chevrier)

Par Guylain Chevrier, membre de la mission laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (2010-2013). 27 juin 2015

Le 17 juin dernier était organisé à Sciences po Paris, une table ronde sur le thème « Université : La laïcité en péril ? ». Présents à cette table ronde,

  • Jean-Claude Radier, avocat, spécialiste du droit des assurances, qui a refusé de faire cours devant une étudiante voilée et a été depuis mis à pied ;
  • Nicolas Gardères, avocat et enseignant à Sciences Po, membre du parti Europe Ecologie Les Verts ;
  • Guylain Chevrier, enseignant, formateur et consultant, ancien membre de la commission laïcité de l’ancien Haut Conseil de l’Intégration, co-auteur de Faire Vivre la laïcité (moi-même) ;
  • Ismahane Chouder, musulmane et voilée, elle revendique la liberté de l’être, partout ; elle est secrétaire générale de la commission Islam et Laïcité et vice-présidente du collectif Les Féministes pour l’égalité.

Une table ronde qui a tenu ses promesses pour rendre compte de l’état des enjeux des rapports entre la laïcité et l’Université, non sans contradictions.

Le thème du débat était repris d’une actualité brulante, au regard des événements qui se déroulent dans certaines universités françaises. L’IUT de Saint-Denis en a été récemment le point de tension avec la fermeture par le directeur de l’établissement, Samuel Mayol, d’une salle de prière installée par une association communautaire dans une salle normalement destinée à un usage multi-associatif, ainsi que l’interdiction d’un service de sandwichs halal, introduisant le prosélytisme. Ce directeur courageux a reçu à la suite des menaces de mort, a été agressé physiquement, et est aujourd’hui avec sa famille protégé par la police. Il ne peut plus vivre normalement.

A l’Université Paris X Nanterre, une enseignante en sociologie, après avoir été confrontée à des contestations du contenu de ses cours par des jeunes filles voilées, a vu sur l’un des murs de l’établissement écrit son nom suivi de deux points avec « UNE BALLE DANS LA TETE ».

A Lille, c’est une jeune étudiante voilée qui, lors de son premier cours se présente avec un visuel devant elle sur sa table, une photo de la Mecque avec en dessous écrit « Allah est grand », des surveillants d’examens qui ne demandent pas à des jeunes filles voilées de se découvrir pour vérifier comme pour les autres candidats la conformité avec les règles de ce cadre, l’interdiction de porter des écouteurs par exemple, en raison de consignes données par l’administration pour éviter des désordres…

On a vu depuis ces dernières années s’affirmer à l’Université la présence d’un islam communautaire prégnant, de façon plus ou moins visible et plus ou moins agressive, y ramenant la religion jusque-là mise en retrait dans un pays où la sécularisation et donc, la neutralité en la matière, étaient devenues la règle. Une Université qui ne vit pas en vase clos, alors que notre société est interpellée de façon récurrente par la montée des revendications communautaires à caractère religieux. Un thème donc essentiel de l’actualité sur la laïcité, retenu par Sciences po, avec la volonté d’un vrai débat d’idées sur le sujet, malgré des intimidations multiples contre sa tenue.

Les invités présentaient leurs arguments. Sans se dérober, Jean-Claude Radier devait s’expliquer sur sa réaction rejoignant celle d’autres enseignants à l’Université, considérant comme nécessaire pour une transmission sans entrave des savoirs, de ne pas se trouver devant un affichage ostensible des convictions religieuses quelles qu’elles soient. Il avait proposé d’avoir un débat dans son cours sur le sujet si nécessaire, mais entre temps, son cours a été suspendu. Il expliquait qu’il avait eu lui-même un certain parcours auquel cette diversité des origines et religions était mêlée, mais vécue selon une discrétion qui lui avait permis de trouver sa propre place dans notre société. Il défendait qu’à travers sa réaction, c’était à cela qu’il rendait hommage. Nicolas Gardères, enseignant de Sciences po, en appelait à aller jusqu’au bout de la liberté individuelle quitte à laisser libre cours total au droit à la différence, selon une démarche libertaire. Il n’entendait ainsi laisser à l’Etat aucune autorité pour interdire quoi que ce soit dans les rapports entre société et religion.

A mon tour, j’exprimais que l’on ne peut faire société sans mettre un certain nombre de choses en commun et les respecter ensemble, sans pour cela avoir pour les individus à renoncer à leurs identités particulières. J’insistais sur le fait que la règle commune au regard de la diversité sociale des groupes d’appartenance, était sans doute le vrai sujet de notre débat. Je rappelais que la laïcité est un principe constitutionnel et que tout d’abord, contrairement aux idées reçues, elle a droit de cité à l’Université en raison du respect de la liberté de conscience des étudiants. Une liberté de conscience qui n’est pas respectée lorsque des groupes de pression entendent imposer leurs règles aux autres au nom d’une religion. Je citais plusieurs exemples de difficultés rencontrées à Paris, Nanterre, Lille, Strasbourg, dans les carrières sociales… Je rappelais aussi que dans le préambule de la Constitution de 1946 de la IVe République [1] repris dans la Ve, on trouvait l’affirmation : « L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. » N’en était-il pas alors comme pour la laïcité dans l’école, où on avait laissé s’installer les signes religieux pendant des années avant de réagir, avec des désordres problématiques ? J’insistais sur le fait que dans l’Université une certaine dérive apparaissait qui, si elle ne se manifestait pas partout avec la même acuité, incitait à prévenir une situation qui risquait de mettre précisément la laïcité non seulement, mais le lieu de vie qu’est l’université, en péril. Un risque majeur à terme pour les libertés de tous.

Ismahane Chouder devait expliquer que les musulmans étaient toujours les mêmes à être discriminés, qu’en tant que femme musulmane portant le voile elle se sentait toujours stigmatisée par les autres et les lois de la République qui l’interdisent, comme dans l’école. Elle citait des prises de position de différentes associations, la Libre pensée, la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme… qui soutiennent une laïcité dite « ouverte ». Elle dénonçait à travers la laïcité une attaque permanente contre les musulmans et la liberté d’être femme musulmane en investissant la religion. Elle devait revenir sur la conquête des droits des femmes opposée à la République masculine, pour justifier à travers l’affirmation du port du voile de rejoindre le combat féministe pour des droits égaux, comme celui d’être libre de pratiquer sa religion comme femme, en rejetant que l’islam soit inégalitaire entre hommes et femmes. Elle insistait sur le fait qu’à l’Université, on avait affaire à des majeurs et qu’on ne pouvait pas leur interdire ainsi quoi que ce soit dans ce domaine. Un discours ambigu, récupérant le féminisme qui s’est affirmé contre le conservatisme religieux, pour le ramener à un argument en faveur d’un port du voile signifiant la soumission à une religion. Elle éludait soigneusement la question de la pression communautaire, constituant pourtant le risque principal ici d’atteintes aux libertés.

Dans le débat, Jean-Claude Radier s’expliquait, en disant combien il ne discriminait personne, qu’il respectait le droit de manifester son appartenance religieuse, mais que, dans les lieux de transmission des savoirs, il était compliqué de se retrouver face à des signes religieux, particulièrement dans un cours de droit. Parce que, de son point de vue, le signe religieux ostensible mettait une barrière entre l’enseignant, le contenu de l’enseignement qu’il était là pour transmettre, et l’étudiante, symbole ressenti comme un préjugé sur ce qui allait être transmis. Il interpella Mme Chouder pour lui dire qu’il ignore si elle se rend compte de ce que son discours de victimisation entraine derrière elle, ce qu’il laisse dans l’ombre, mais qu’il faut s’en prémunir.

L’enseignant de Sciences po Nicolas Gardères devait défendre à la fois Riposte laïque et les communautaristes : il fallait à ses yeux défendre tout le monde - « philosophie » de l’avocat. Qu’il était athée et comprenait le sentiment d’exclusion que subissait Mme Chouder et réitérait sa démarche volontariste pour un individualisme libertaire qui ne s’embarrassait pas de règles contestant la liberté de chacun, comme fin en soi, devant être considérée comme sans limites.

A la suite, j’expliquais que le fait d’être majeur n’était pas un argument pour écarter l’exigence de neutralité, alors qu’un tiers des étudiants du supérieur se trouvent dans des classes prépa dans des lycées du secondaire ou d’autres, en BTS dans des lycées professionnels, où la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux ostensibles s’applique. Que bien des lois s’appliquent aux majeurs en matière de restriction religieuses comme pour les agents du service public, et qu’il appartenait donc au législateur d’en décider. Je m’attachais à rappeler que la laïcité est un principe de cohésion sociale, socle de notre vivre ensemble, qu’il signifie que, par-delà nos différences, nous avons l’intérêt général en commun, de nombreuses libertés dont les libertés économiques et sociales.
Un principe qui s’oppose au multiculturalisme qui divise les forces sociales pour renvoyer chacun à une prédestination communautaire contraire au libre choix de chacun. Pour illustrer, je prenais l’exemple des Etats-Unis. Après le rêve commun des années 1960 où la gauche américaine a joué un rôle important en faveur de l’accès aux droits civiques pour tous, dont les Noirs qui en étaient alors privés, la logique de reconnaissance identitaire tous azimuts a abouti à une division des forces sociales qui fait qu’aujourd’hui il n’y a aucune manifestation d’ampleur sur une question sociale où puissent se retrouver ensemble les différentes composantes de la société, pour conquérir des droits nouveaux. Ceci montrant comment cette division a favorisé la domination d’une Amérique blanche, conservatrice, voire encore largement raciste.
Je revenais aussi sur le parallèle fait par l’enseignant de Sciences po sur Riposte laïque et les communautaristes, au regard de quoi je me mettais en faux, dénonçant ces deux dérives qui s’encouragent. J’expliquerai enfin que la laïcité, qui garantit la liberté de conscience, était constitutive de l’Etat de droit. L’Etat a du s’affranchir de la tutelle de la religion, de l’Eglise catholique au statut de religion reconnue par lui qui étendait son influence sur la façon de vivre des citoyens, pour se constituer comme Etat de droit. Cette laïcisation de l’Etat était la condition pour garantir aux citoyens le droit de croire en la religion de leur choix ou de ne pas croire, liberté de conscience indissociable de la liberté de pensée et d’expression.
Aussi, quelle que soit la religion qui entendrait vouloir se mettre entre le citoyen et ses droits, elle devrait être combattue. J’en appelais à un audit des universités sur le mode de la commission Stasi, afin d’évaluer la nécessité d’appliquer le principe de laïcité à l’Université telle que le prévoit notre Constitution, spécialement dans les salles de cours, lieux de transmission des savoirs.

Mme Chouder sera interpelée sur le fait que le coran soit discriminatoire envers les femmes, comme l’expose la sourate 4, les désignant comme inférieures par nature à l’homme, au regard de la posture féministe qu’elle prétend défendre. Elle refusera de répondre, disant ne pas connaitre précisément le Coran... Je devais alors rappeler que toutes les religions sont issues de société très anciennes, violentes et patriarcales, et qu’aucune n’a proposé ni les Droits de l’homme ni l’égalité hommes-femmes et qu’elles sont toutes d’une façon ou d’une autre ainsi, discriminatoires envers les femmes. Elle interpellera la salle en disant qu’il est bien normal pour les musulmans de se penser comme une communauté qui revendique ses droits, à l’image de la majorité de Blancs dans la salle qui formaient eux aussi une communauté, à caractère postcolonial, exaspérant le public au point de se faire huer. L’idée d’un racisme hérité du colonialisme justifiait alors toutes les revendications communautaires dont le voile était une sorte de marqueur différentiel légitime. On reconnaissait là les traits d’une idéologie qui est celle du Parti des indigènes de la république, qui défend une lecture racialiste de notre société, justifiant à travers le procès d’une République prétendument raciste, l’antagonisme entre les Blancs et les autres. Une vision du monde fondée sur des séparations et une guerre idéologique violente encourageant à l’affrontement entre des communautés artificiellement fabriquées par un discours de haine. Heureusement, une vision que ne partagent pas une large majorité de musulmans.

A aucun moment Mme Chouder ne donnera de limite ou critique à une volonté de certains de faire reprendre pied à la religion par l’entremise de l’Université dans la société, afin de peser sur elle pour lui imposer ses rites.


Le Collectif Contre I‘islamophobie en France a fait un compte-rendu de cette initiative particulièrement malhonnête, dans le droit fil de ses prises de position habituelles. En réalité, un procès, désignant cette initiative comme promouvant « l’idéologie d’une laïcité d’exclusion ». Il fallait s’y attendre. On y explique qu’ « heureusement donc qu’Ismahane Chouder, co-présidente du Collectif des Féministes pour l’Egalité, interviendra lors de cette conférence pour apporter un autre point de vue, une autre analyse et équilibrer un tant soit peu le débat. » Cela aurait de quoi faire rire si la chose n’était si grave. Parallèlement, on n’hésitera pas, sans rien dire sur le fond, à écrire que « sera aussi présent à cette conférence M. Guylain Chevrier, figure connue des sites d’extrême droite ». On y retrouve toujours les mêmes arguments, particulièrement celui de pointer comme d’extrême droite toute critique de l’islam, et des laïques dont la voix porte, tel que le journal Politis l’a fait récemment à l’égard d’Elisabeth Badinter, Philippe Val, Caroline Fourest ou encore Michel Onfray. La faiblesse de l’analyse est à la mesure de cette accusation infamante systématiquement utilisées pour s’attaquer à la réputation des personnes et à leur image publique. Une calomnie facile aux conséquences morales redoutables dont ses utilisateurs savent ne pouvoir être poursuivis, le FN étant un parti reconnu comme légitime par notre démocratie. Un argument d’autant plus déloyal et détestable que l’extrême droite récupère régulièrement les débats sur la laïcité en les détournant pour alimenter sa logique identitaire [2], les laïques se trouvant ainsi pris comme entre deux feux.

Il est surprenant de voir que les médias prennent de plus en plus leur référence auprès du CCIF, cette officine qui rejette les valeurs et les lois de la République, diffuse un discours de victimisation violent et de haine, mettant en accusation permanente la population majoritaire de discrimination, donne des chiffres farfelus dans ce domaine pour assoir ses thèses, soutient toutes les revendications communautaires dont le voile intégral…

En conclusion, on apprend ces jours derniers que Mme Chouder participe ce 26 juin à une initiative co-organisée par les Indigènes de la République avec Emmanuel Todd [3] qui assimile les manifestants du 11 janvier à des racistes qui s’ignorent, à Saint-Denis. Là où précisément, un débat public sur la laïcité n’a pu aller à son terme en raison de l’action violente d’islamogauchistes, soutien des Indigènes de la République, le 27 mai dernier [4]. C’était signé ! La haine de la France et de la République qui se dégage de certains discours concoure sans aucun doute à une dérive identitaire dangereuse pour notre paix sociale, qui rejoint le radicalisme religieux, dont le risque ne peut être exorcisé que par le rassemblement de tous autour de la laïcité et des valeurs communes de notre République [5].

Guylain Chevrier

[2Europe 1 - Interview - Guylain Chevrier : "Ce rapport encourage le hold-up du FN sur la laïcité".

[3Extrait d’un article du journal Le Monde « Emmanuel Todd contre les illusions de la France du 11 janvier », 7 mai 2015, qui reprend les dires d’Emmanuel Tood dans son dernier ouvrage, Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse (Seuil), qui dénonce le 11 janvier comme une imposture d’un racisme latent : « Bien sûr, accorde-t-il, les manifestants ont, en toute conscience, défilé pour la tolérance. Mais ce n’est pas la réalité des « valeurs latentes » qui les agissaient. Ce jour-là, écrit-il, « il s’agissait avant tout d’affirmer un pouvoir social, une domination ». Celle de la « France blanche » des catégories supérieures qui s’est précipitée dans les rues pour « définir comme besoin prioritaire le droit de cracher sur la religion des faibles ». Celle d’une France inégalitaire non dans ses proclamations théoriques et conscientes, mais dans ses comportements pratiques et inconscients.

[5Ce 26 juin 2015, un nouvel attentat terroriste abject a été commis sur notre sol, en Isère. Une décapitation, sur le modèle des crimes contre l’humanité commis par l’Etat islamique, appelé Daech. La meilleure des préventions contre la dérive radicale est sans doute d’éclairer les consciences sur ce principe républicain essentiel ciment de notre société, par-delà sa diversité, qu’est la laïcité. C’est elle qui garantit la liberté de conscience de tous, droit de croire ou de ne pas croire, en même temps que la séparation du religieux et du politique, qui mis ensemble, conduisent à la violence et à l’horreur.



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