Revue de presse

"Une cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques qui veut tout célébrer… sauf la France ?" (P. Sugy, Le Figaro, 19 juil. 24)

(P. Sugy, Le Figaro, 19 juil. 24) 19 juillet 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le metteur en scène de la cérémonie d’ouverture des JO s’est entouré de l’historien Patrick Boucheron, pourfendeur en chef du « roman national », pour composer son spectacle. Au moment où le monde entier regardera vers elle, la France semble avant tout soucieuse de déconstruire son propre récit.

Par Paul Sugy

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Jean Dujardin peut remiser au vestiaire sa moustache et sa baguette de pain : la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques, vendredi soir, devrait n’avoir rien de commun avec cet air d’OSS 117 au village d’Astérix auquel nous avions assisté pour l’ouverture de la coupe du monde de rugby. Et pour cause, on apprenait cette semaine dans Le Monde que le metteur en scène s’est entouré, entre autres, de l’historien Patrick Boucheron pour composer son spectacle. Un choix dont l’Élysée se dédouane, l’imputant à la Ville de Paris et au comité olympique.

C’est moins en sa qualité d’universitaire reconnu que le professeur au Collège de France apporte son concours, que comme le chantre d’une Histoire débarrassée de toute nostalgie de grandeur et d’héroïsme : Patrick Boucheron n’est pas seulement historien, il est d’abord, dans ses interventions médiatiques, le pourfendeur en chef du « roman national ».

Engagé, Patrick Boucheron l’est sans l’ombre d’un doute (il a appelé dernièrement à voter pour le Nouveau Front populaire), mais encore l’est-il à l’intérieur même de son champ disciplinaire : son « ambition est politique », écrit-il en ouverture de son Histoire mondiale de la France (2017), dans laquelle l’historien dit refuser « de céder aux crispations réactionnaires l’objet ’histoire de France’ et de leur concéder le monopole des narrations entraînantes ».

Déconstruire le récit national
Sans surprise, l’ennemi public numéro 1 de Boucheron, c’est le Puy du Fou, « un passéoscope où l’on célèbre les noces du laser et de la quenouille », écrit-il méchamment dans L’Obs , et où « on ne croit guère au progrès, puisque tout est fait pour glorifier la mise à l’arrêt du temps ». À défaut de savoir à quoi ressemblera le spectacle du 26 juillet, on sait au moins ce qu’il ne sera pas.

Ses mots d’ordre pour la cérémonie d’ouverture ? Il confie s’être inspiré de la cérémonie du bicentenaire de la Révolution, qui «  déjouait les stéréotypes nationaux et ne craignait pas de prôner le métissage planétaire ». On retiendra qu’au moment où le monde entier regardera vers elle, la France sera d’abord soucieuse de déconstruire son propre récit, préférant la morgue des sachants à l’esprit populaire des sacres et des grandeurs, en vertu de cette idéologie anhistorique qui voudrait que ses rares succès ne soient que le fruit des hybridations, dans le grand hasard des migrations et des influences culturelles venues d’ailleurs.

Voilà donc des Jeux olympiques à Paris, mais d’où l’on chasse les Parisiens à coups de grillages et de voies réservées - et il s’en est fallu de peu qu’on fasse même déguerpir les bouquinistes. Enfin des Jeux olympiques en France, mais où il ne saurait être question de la France que comme partie insignifiante d’un monde dans lequel elle doit renoncer au rang que lui ont conféré les siècles.

La fierté de la France et l’orgueil de Paris
L’idée pourtant d’une cérémonie sur la Seine est enthousiasmante. Loin des spectacles que l’on a vus cent fois dans les arènes des stades, le monde entier arpentera vendredi prochain les rives du fleuve des amoureux et des poètes, que l’homonymie prédisposait à devenir la scène d’une telle parade.

Et avec la Seine c’est encore un fleuve minéral que parcourront athlètes, danseurs et saltimbanques : du pont d’Austerlitz au pont d’Iéna, c’est tout un Paris de pierre et de fer qui se découvre aux yeux des promeneurs, évoquant tour à tour les gloires de l’Empire, le faste des princes, le génie des arts ou la foi des hommes… On ne sait par quel étrange paradoxe les organisateurs de la cérémonie d’ouverture pourraient vouloir tout à la fois tirer parti de ce décor unique, dont chaque détail exprime à sa façon la fierté de la France et l’orgueil de Paris, tout en refusant d’offrir au monde « une leçon d’histoire, une ode à la grandeur » (pour reprendre les mots de Patrick Boucheron, qualifiant avec dégoût la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin).

D’autant que le Paris des bords de Seine doit beaucoup aux grandes expositions universelles que la modernité triomphante a vu fleurir depuis le mitan du XIXe siècle, célébrations infatuées de la grandeur d’une ville, d’un pays, d’un régime… d’un peuple. Bien entendu, Patrick Boucheron n’aurait pas survécu plus d’une heure dans une Exposition universelle : tout y transpirait l’insolence nationale, peut-être même la mégalomanie. Mais que voulez-vous, si des dizaines de millions de visiteurs se pressent à Paris chaque année, c’est davantage pour photographier la Tour Eiffel que pour consulter les œuvres complètes de Patrick Boucheron à la BNF. Et si la Dame de fer, clou du spectacle olympique – au point qu’on a hissé sur son flanc les cinq anneaux entrelacés, symboles de l’union des continents – n’est pas le moindre des héritages que nous ont laissés ces expositions universelles, rappelons encore que plusieurs palais (le Grand et le Petit, celui de Chaillot, celui de Tokyo…) en sont aussi des legs. Loin de toute autarcie chauvine, le Paris des expositions universelles était une ouverture sur le monde, dont la France se glorifiait d’être l’ambassadrice : elle célébrait l’univers à la première personne du singulier.

Que l’on songe alors à la ferveur que ressentait jadis le public de ces célébrations qui faisaient la fierté du pays. Un contemporain de l’époque raconte, dans ses Mémoires de jeunesse, les sentiments adolescents qui se mêlaient dans son esprit à la vue de l’Exposition de 1878. «  Ce relèvement me remplissait de fierté. La colline du Trocadéro et le Champ-de-Mars couverts de palais énormes me faisaient l’effet du plus élégant défi jeté à l’Allemagne. » L’homme qui écrit ces lignes avait alors quinze ans. Allumant pour l’occasion des feux de Bengale, il dit encore avoir regardé «  monter les flammes multicolores avec la dévotion d’un prêtre de Zoroastre, tandis que se chantait en mon cœur un cantique à la gloire de la France ». Il s’appelait Pierre de Coubertin."



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