Revue de presse

"Star Wars du mythe à la réalité" (Marianne, 11 déc. 15)

20 décembre 2015

"[...] La véritable puissance de cette œuvre, outre le génie de George Lucas, qui a eu la force avec lui pour la marketer au mieux, grâce à sa voie lactée de produits dérivés - figurines, jeux vidéo, BD, romans... - dont il possède bien sûr l’exclusivité des droits, est son universalité. En synthétisant, au travers de l’histoire bousculée d’une famille, des références cinématographiques accessibles à tous - les aventures de Buck Rogers, les films jidai-geki (en costume d’époque) d’Akira Kurosawa -, littéraires - Isaac Asimov -, scientifiques - vitesse supraluminique -, religieuses - bouddhisme, monothéismes - et mythologiques - Œdipe, l’Odyssée... Offrant ainsi plusieurs lectures possibles, morales, politiques, sociales et psychanalytiques. Le fameux « Je suis ton père, Luke » a ainsi résonné dans le cœur de toute une génération en mal de figure paternelle.

Lorsqu’il commence à écrire Star Wars, en 1973, George Lucas suit les préceptes d’un mythologue reconnu, Joseph Campbell, qu’il a étudié à l’université. En particulier ceux contenus dans son essai traduit dans plus de 20 langues, le Héros aux mille et un visages, où le spécialiste propose un schéma narratif archétypal et une théorie, le monomythe, inspirée des travaux des structuralistes, de Sigmund Freud, de Carl Jung et d’Arnold Van Gennep, et qu’il énonce ainsi : « Un héros s’aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodigues surnaturels : il y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à ses proches. » Comme Osiris, Prométhée, Ulysse, Bouddha, Moïse, Jésus, Arthur, Aladin... et Luke Skywalker. Même les personnages secondaires de son space opera trouvent leur équivalent dans le mythe arthurien - Leia/Guenièvre, Obi-Wan Kenobi/Merlin, Dark Vador/Mordred -, jusqu’à leur nom - Han Solo/Lancelot -, ou sont inspirés des philosophies orientales, - Yoda pour Yoka Daishi, un maître zen du VIIe siècle... D’ailleurs, Lucas invitera Campbell à la première d’Un nouvel espoir, le 25 mai 1977. Le professeur en sortira enthousiaste. Et le film, éreinté par la critique, qui le qualifiera d’« infantile » et de « manichéen » provoquera un raz-de-marée sans précédent et ne récoltera pas moins sept Oscars.

DE DESCARTES À R2D2

Enthousiastes aussi sont tous ceux qui, depuis, s’immergent dans cette quête initiatique, cette bataille épique entre le bien et le mal. Une confrontation aussi vieille que l’humanité, que vont encore incarner la pilleuse d’épaves Rey, le stormtrooper Finn, le pilote de X Wings Poe Dameron, le droïde BB-8, le sage Maz Kanata et le leader du côté obscur de la force, Snoke, les nouveaux héros du Réveil de la force. Cet enthousiasme aimante les conventions, comme le Star Wars Day, qui fait courir chaque année l’équivalent du Stade de France. Et qui suscite la création de temples jedi, un peu partout dans le monde. Même en Turquie, où les padawans - apprentis jedi - affrontent les foudres du fondamentaliste Recep Tayyip Erdogan. Et en Nouvelle-Zélande, où le jedisme, troisième religion déclarée du pays, continue d’être dénigré par le ministère de l’Intérieur. Dark Vador s’est même présenté à la présidentielle ukrainienne en 2014, en tant que candidat officiel du Parti de l’Internet, afin de remplacer le président prorusse Viktor Ianoukovitch. Mais l’Ukraine est allée plus loin. Dans le cadre des lois sur la « désoviétisation », une statue de Lénine à Odessa a été transformée en Dark Vador...

Mais Star Wars inspire aussi de très sérieux spécialistes du droit, qui s’interrogent sur les régimes parlementaires et les pouvoirs législatifs et exécutifs de la République galactique, en les comparant au nôtre. Qui sait, peut-être pour les améliorer ! Les philosophes, eux, y consacrent de très doctes ouvrages. Comme celui de Gilles Vervisch, Star Wars, la philo contre-attaque, où l’agrégé déroule le parallèle entre les préceptes platoniciens et yodesques, entre Descartes et R2D2, le robot ovoïde qui s’exprime par sifflements. Afin de conclure que l’épopée spatiale est une « nouvelle manière de penser par rapport à l’Occident et Descartes. La philosophie de Star Wars, c’est plutôt : "Je ne pense pas donc je suis." » Soit. Ollivier Pourriol, le créateur de Cinéphilo, analyse, lui, dans Ainsi parlait Yoda, les punchlines des philosophes galactiques afin de percer les mystères de la force. Sans toutefois atteindre son but, tant, en voulant faire preuve d’originalité, la transcription de son discours, placé dans la bouche de Yoda ou de Luke, se perd dans le silence des espaces infinis.

Car Star Wars, en inventant sa propre mythologie, ses propres références, ses propres valeurs, une culture en somme, sait aussi échapper à toute froide expertise, à toute tentative rationnelle d’explication. C’est peut-être là que réside la clé de sa fascination, de sa longévité. Celle aussi de cette relation si particulière, teintée d’amour et de haine, que les fans entretiennent avec le grand-œuvre de George Lucas, et qui est si judicieusement démontrée dans le documentaire d’Alexandre O. Philippe, sorti en 2010, The People vs George Lucas. Star Wars a échappé à ses créateurs. Il appartient à ses spectateurs. Il nous appartient. C’est ce que va encore démontrer le Réveil de la force.


Epopée galactique mais aussi miroir de l’Histoire contemporaine

Star Wars est, évidemment, une fiction. Mais pas que. Car si l’épopée galactique plonge dans l’histoire des totalitarismes du XXe siècle - Dark Vador, campé en Hitler intersidéral, grâce aux fameux plans à la Leni Riefenstahl des armées de stormtroopers à la solde de l’Empire -, elle ausculte aussi celle récente de l’Amérique, comme le démontre brillamment l’historien Thomas Snégaroff, dans son essai Je suis ton père : la Saga Star Wars, l’Amérique et ses démons. « Lorsque j’écrivais le scénario du premier Star Wars, expliquait, à Cannes, en 2005, George Lucas, lors de la présentation de la Revanche des Siths, mon pays était traumatisé par la guerre du Vietnam. Je suis troublé que le dernier volet sorte en pleine guerre d’Irak. Nous refaisons les mêmes erreurs. » L’Amérique, la vraie, tournait ainsi le dos au puissant précepte du maître jedi Yoda : « Personne par la guerre ne devient grand. »

L’illustration d’une démocratie, système ô combien fragile, qui peut se détruire de l’intérieur et basculer dans la dictature, en optant pour le tout-sécuritaire, avait trouvé un écho dans l’Amérique de George Bush Jr, celle de son Patriot Act et de ses dérives liberticides, décrétées à la suite du 11 septembre 2001. George Lucas le démontre dans une séquence devenue culte de la Menace fantôme, au cours de laquelle le sénateur Palpatine, pour se faire élire chancelier suprême, déclare devant le Sénat galactique que, pour parer aux menaces dissidentes, celles de la conjuration formée par la Fédération du commerce, le Clan bancaire, l’Alliance des corporations et le Techno-Syndicat, la République doit laisser la place à un Empire totalitaire. Toute ressemblance avec une critique du futur traité transatlantique, qui permet à une corporation d’être aussi puissante qu’un Etat, n’est pas, non plus, rétrospectivement, incongrue. Après l’annonce de Palpatine, la reine de Naboo, Padmé Amidala, future mère de Luke Skywalker et de Leia Organa, murmure : « C’est ainsi que meurt la liberté sous un tonnerre d’applaudissements. » Certains esprits chagrins ne manqueront pas le parallèle avec ce 16 novembre où, face aux attentats djihadistes du 13 novembre, François Hollande s’est engagé, devant le Congrès, à « mettre toute la puissance de l’Etat au service de la protection de nos citoyens », déployant ainsi tout l’arsenal juridique, militaire et policier dont la République dispose. Mais « l’espoir n’est pas perdu, il est trouvé », prophétise la bande-annonce du Réveil de la force. Qu’on croit entendre, du coup, comme un éclair lumineux au cœur de nos ténèbres contemporaines.

Je suis ton père : la saga Star Wars, l’Amérique et ses démons, de Thomas Snégaroff, Naïve, 125 p., 18 €."

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