Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 2 juin 2018
On a lu beaucoup de choses sur la présidente de l’Unef de Paris-4 Sorbonne voilée, Maryam Pougetoux, suite à une interview qu’elle a donnée à M6 vêtue d’un hijab. Une question qui déchire une nouvelle fois la gauche et plus encore, l’ensemble de ceux qui s’identifient encore à l’idée d’une nation "une et indivisible", à une République égalitaire de plus en plus attaquée par les offensives du multiculturalisme. D’anciens dirigeants de l’Unef comme les socialistes Julien Dray et Bruno Julliard ont immédiatement réagi pour dénoncer le renoncement de leur "ancienne maison" au combat laïque et féministe [1]. On a dénoncé du côté du Printemps républicain une dérive communautaire. L’organisation étudiante a fait bloc derrière sa responsable. On a pris beaucoup de pincettes pour tenter de dire le problème que cela soulevait, dans un contexte de procès en racisme et en "islamophobie" qui n’a pas manqué de suivre. Mais a-t-on bien mesuré les dangers de ce mélange entre intérêt général et religion ?
Certes, le hijab est en général à lui seul déjà la manifestation du refus du mélange au-delà de la communauté de croyance et donc d’un enfermement, d’un risque communautariste qui isole de plus en plus de notre République une partie non-négligeable de nos concitoyens de confession musulmane. Certes, que celles qui le portent en aient conscience ou non, il est la manifestation aussi d’une forme de soumission à un ordre patriarcal, qui vient s’opposer violemment à des siècles de combat pour l’émancipation politique et l’égalité des sexes. Certes, cela correspond à une évolution de l’Unef bien identifiée où le relativisme a pris le pouvoir, agitant le chiffon rouge des discriminations à quiconque s’y opposerait, pour que plus rien ne soit intelligible.
Ceci étant, pour bien en finir avec cette affaire, il faut pousser plus loin, l’examen de ce cas ayant une valeur de portée générale, puisqu’il concerne potentiellement l’ensemble de ceux qui exercent une responsabilité publique. C’est L’Obs [2] qui en fournit l’occasion, en donnant la parole à la défense de cette représentante étudiante voilée, autrement dit à Lilâ Le Bas, présidente national de l’Unef. A contrario de son discours, elle nous permet d’y voir plus clair pour montrer les dangers mortels que contient cette évolution, en se remettant en mémoire quelques principes démocratiques élémentaires.
L’anéantissement de l’intérêt général avec la fin d’une représentation impartiale
Que nous dit cette avocate de la défense : "Qui suis-je pour interdire ou imposer à des gens ma conviction ? A partir du moment où elle adhère à nos valeurs, qu’elle fait le choix d’adhérer à l’Unef, ça ne me choque pas qu’une femme voilée prenne des responsabilités dans notre syndicat."
Les corps intermédiaires sont libres de faire ce qu’ils entendent dans le cadre de la loi et aucune n’interdit à une représentante d’une organisation d’afficher ses convictions religieuses de façon ostensible, comme le fait le voile... Mais comment ignorer que c’est rompre avec le fondement de l’intérêt général ? Toute représentation syndicale, et donc collective, était entendue jusqu’alors comme ne pouvant être que neutre, pour pouvoir représenter de façon respectueuse l’ensemble de ceux qui sont concernés par celle-ci, quelles que soient leurs différences, comme gage d’indépendance, d’autonomie au regard des intérêts particuliers. C’est l’idée même qu’a installée notre République à travers un principe d’égalité qui ne voit que des individus de droit. Les corps intermédiaires n’échappent pas à cette logique. Dans l’ordre de tout ce qui touche aux affaires de la cité, on ne saurait se prévaloir de sa propre différence lorsque l’on a pour mandat de représenter l’intérêt commun, pour pouvoir justement associer indistinctement les uns et les autres, selon des buts universels et donc, valable pour tous. Un acquis devant l’histoire au regard des mille divisions de l’Ancien régime qu’a balayé la Révolution de 1789, des ordres - noblesse, clergé et tiers état -, des privilèges héréditaires jusqu’aux corporations, remplacées par des citoyens disposant de la liberté par l’égalité des droits. La neutralité, ce n’est pas seulement l’Etat, car il n’est pas le seul à porter l’intérêt général, les corps intermédiaires qui portent des intérêts aussi généraux que les syndicats doivent adopter, pour jouer leur rôle, une posture toute aussi impartiale.
De la récupération politique à la récupération religieuse : bonnet blanc et blanc bonnet
Dans les arguments de la défense, on nous dit encore : "Maryam ne fait pas la promotion du hijab. Il faut la juger sur ses propos. Le prosélytisme, c’est dans le comportement, pas dans l’habit. Si des membres de l’Unef appelaient à se convertir à telle ou telle religion, évidemment que ce serait problématique". Mais comment oublier que l’une des conquêtes du mouvement étudiant a été de se départir de toute récupération ! Hier politique, elle est devenue à cet endroit tout simplement religieuse. La mise en place de coordinations nationales se substituant aux syndicats a été précisément la parade au risque de la moindre récupération politique des mobilisations, extrêmement mal vécue, comme cela fut le cas lors du mouvement de novembre-décembre 1986 contre la loi Devaquet. Si un responsable syndical avait alors affiché un badge d’une organisation politique ou fait la moindre allusion à son appartenance à une autre organisation, il aurait été immédiatement mis en cause et débarqué. Et là, avec cet affichage ostensible, ça n’aurait rien à voir ! Que cette présidente de syndicat le veuille ou pas, n’est-ce pas afficher son affiliation à une Eglise qui peut ainsi la récupérer, et assigner sa fonction à cette dévolution ? Imaginons un instant que cette même présidente se soit affichée avec au cou une grande croix, les mêmes qui crient au loup lorsqu’on ose mettre en cause cette représente de l’Unef voilée, auraient crié à l’imposture et à la trahison ? Comment peut-on ignorer la portée d’un tel acte, dans le contexte d’une montée d’un communautarisme dont ce même voile est l’étendard, avec en toile de fond des revendications qui visent à remettre en cause en permanence la règle commune au nom de prescriptions religieuses qui portent la foi au-dessus du droit, de la loi civile, s’opposant à l’égalité de tous ?
Pour bien voir de quoi nous parlons, rappelons-nous l’affaire Samuel Mayol, ce directeur de l’IUT de Saint-Denis qui avait découvert une salle de prière dans un local normalement réservé à plusieurs associations étudiantes, détournant le bien commun à des fins religieuses. Une attitude courageuse qui lui avait valu d’être suspendu contre le sens des choses après avoir subi insultes et menaces, pour des mois plus tard retrouver légitimement sa fonction, non sans dégâts pour lui et son établissement. Voilà qui nous rappelle qu’il y a autour de cet affichage des enjeux qui n’ont rien d’anodin.
Nous voyons une fois de plus ici comment ce « fameux » droit à la différence, considéré comme premier dans l’ordre des valeurs, réduit à néant l’intérêt général. Y compris, l’intérêt de ceux qui, musulmans, entendent être défendus comme des citoyens, des sujets de droit, et non en étant immédiatement étiquetés, stigmatisés par cet affichage qui rompt avec l’impartialité de toute représentation collective, dessert l’ensemble de ceux qu’elle est censée défendre, et ne peut que profondément diviser.
C’est la République qui est en avance, et le multiculturalisme une régression
"Peut-être qu’en vieillissant, certains se disent "c’était mieux avant". Peut-être qu’on a un temps d’avance sur la société", conclut Lilâ Le Bas… Si un jour notre société se mettait au diapason de ce « temps d’avance » supposé, elle n’aurait alors plus rien à voir avec notre République, qui serait taillée en pièce par le multiculturalisme, traitant de façon égale les différences et non plus les individus, assignés à résidence identitaire, amputés de leur liberté de choix et de surcroît, livrés par ces divisions aux inégalités. Il en va, à tout le moins, de l’idée que nous nous faisons de la démocratie et de la liberté.
[1] Lire notamment J. Dray : "La gauche ne défend pas assez la laïcité comme une valeur positive, une conquête magnifique" (Marianne, 25 mai 18), "Unef, le grand basculement" (Marianne, 25 mai 18) (note du CLR).
[2] Lilâ Le Bas, présidente de l’Unef : "Maryam ne fait pas la promotion du hijab", L’Obs, le 25 mai 2018.
Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Unef, IUT de Saint-Denis et
J. Glavany : Le hijab de la représentante Unef, une question politique (31 mai 18), "Convergence des luttes" entre l’UNEF et des formations islamistes (Printemps républicain, 13 mai 18), Trois glorieuses ! (J.-P. Sakoun, 28 jan. 18), "La deuxième mort de Charb, victime du terrorisme islamiste" (GODF, 26 jan. 18), Solidaires Etudiants et l’Unef veulent censurer Charb ! (M. Stasi, 25 jan. 18), le Colloque du CLR « Laïcité et enseignement supérieur » (Paris, 30 mai 15) (note du CLR).
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