Revue de presse

"Pourquoi veut-on la peau du Sacré-Cœur ?" (liberation.fr , 28 fév. 17)

28 février 2017

"C’est le deuxième édifice religieux le plus visité après la cathédrale Notre-Dame de Paris. Pourtant certains ne le portent pas dans leur cœur. C’est en tout cas ce qu’il semblerait suite au projet de destruction de Sacré-Cœur proposé lors du dernier budget participatif de la ville de Paris. Alors fantaisie passagère ou véritable détestation ? Que reproche-t-on exactement au Sacré-Cœur ?

Quel est le projet proposé lors du budget participatif ?

« Le Sacré-Cœur est une verrue versaillaise qui insulte la mémoire de la Commune de Paris. » D’entrée de jeu, les intentions de « Nathalie Lemel » sont claires. Un Parisien, identifié sous le pseudonyme de cette figure féministe de la Commune de Paris, souhaite « la démolition totale de la basilique lors d’une grande fête populaire ». Notons que le projet est le plus apprécié avec 267 « j’aime » et un peu plus d’une centaine de mentions « je souhaite m’associer à ce projet ».

En quoi consiste le budget participatif parisien ?

Chaque année, la ville de Paris donne l’opportunité à ses habitants de proposer des idées d’investissements pour leur arrondissement et/ou tout Paris. Une enveloppe de 100 millions d’euros est consacrée au budget participatif de la ville dont 30 millions spécialement dédiés aux quartiers populaires. Les projets ne peuvent être soumis que par des personnes résidant dans la ville. Pour être recevable, il est impératif que le projet proposé relève de l’intérêt général, de la compétence de la Ville de Paris et rentre dans le budget d’investissement sans générer de dépenses de fonctionnement. On étudie la faisabilité et on établit un budget estimatif de chaque projet rentrant dans les critères. Puis, c’est aux commissions de chaque arrondissement et à l’échelle de Paris de réaliser un dernier écrémage qui permettra de soumettre les projets restants aux votes des Parisiens en septembre. Finalement, en décembre, le financement des projets vainqueurs est définitivement validé par le vote du budget de la ville.

Pourquoi le Sacré-Cœur suscite-t-il autant d’hostilité ?

La construction du Sacré-Cœur, à partir de 1875, se déroule dans un contexte « d’ordre moral » qui fait suite à la Commune de Paris, véritable insulte pour une partie de la France monarchiste et cléricale. L’amertume et la honte n’en sont que plus renforcées puisque la France vient de perdre face à la Prusse qui, en prime, a récupéré une partie de l’Alsace et de la Lorraine. Cette suite de malheurs ne peut être qu’une punition divine et il faut à tout prix se faire pardonner. Le Sacré-Cœur est donc le moyen « d’expier les péchés imputés à la Commune », explique Mathilde Larrère, maître de conférences en histoire contemporaine. Pour les partisans de la Commune, il est encore plus difficile de voir s’ériger cette basilique, symbole de l’obscurantisme le plus total, à l’endroit où ont débuté les événements de la Commune. « Les communards voient cet édifice religieux comme un lieu d’asservissement des masses. Ils sont pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat », détaille le père Jacques Benoist, historien et auteur de plusieurs ouvrages sur le Sacré-Cœur.

Quelles sont les contestations connues de ce monument ?

Dans son œuvre Paris, suite et fin du cycle romanesque dit des « Trois Villes », Emile Zola fait référence au Sacré-Cœur en ces termes : « Je ne connais pas de non-sens plus imbécile, Paris couronné, dominé par ce temple idolâtre, bâti à la glorification de l’absurde. Une telle impudence, un tel soufflet donné à la raison, après tant de travail, tant de siècles de science et de lutte ! » Par ailleurs, le personnage de Guillaume Froment, qui est chimiste, a la volonté de faire sauter le Sacré-Cœur mais finit par y renoncer.

Autre figure associée au monument, celle du chevalier de La Barre. Après son exécution, ce jeune noble est devenu une icône prisée de l’anticléricalisme. C’est pourquoi en 1905, sous l’égide d’un conseil municipal majoritairement laïque et opposé à la construction, est érigée une statue du chevalier de la Barre. Elle est ensuite déplacée puis fondue et il faut attendre soixante ans pour qu’une nouvelle statue soit inaugurée en 2001. En 1907, toujours sur décision du même conseil municipal, la rue du Sacré-Cœur devient celle du Chevalier-de-La-Barre.

Les hommes politiques ne sont pas en reste. Ainsi en 2013, Ian Brossat, alors leader communiste du Front de Gauche au conseil de Paris, admet ne pas aimer le Sacré-Cœur. « [Il] visait à sanctionner d’une certaine manière les communards. Je pense que s’il y a un endroit où on pourrait faire autre chose, ça serait le Sacré-Cœur », déclare-t-il lors d’un entretien vidéo pour le Journal du Dimanche. Ian Brossat dit vouloir remplacer le monument par « un espace de solidarité ». Lionel Jospin avait aussi son avis sur la question. Quand on lui demande quel monument il raserait s’il en avait le pouvoir, sa réponse est sans équivoque. Pour lui, le Sacré-Cœur est un symbole « d’obscurantisme, de mauvais goût et de réaction ».

Le projet est-il réalisable ?

Pas de chance pour « Nathalie Lemel » et les anti-Sacré-Cœur : il paraît difficile de détruire ce monument par ce biais. Le Sacré-Cœur n’appartient pas à la Ville de Paris (mais à l’archevêché), or, c’est une des conditions sine qua non pour qu’une proposition soit retenue. Par ailleurs, Pauline Véron, adjointe à la maire de Paris chargée de la démocratie locale, a rappelé sur France Info, que la construction est classée monument historique.

Jade Letard-Methon"

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