13 avril 2018
Philippe Lançon, Le Lambeau, Gallimard, 2018, 512 p., 21 e.
"Au matin du 7 janvier 2015, peu de temps avant de se trouver collé au sol, la tête dans une mare de sang, Philippe Lançon était assis chez lui. Il écrivait un e-mail à Claire Devarrieux, qui dirige le service « Livres » au quotidien Libération. Dans ce message, le critique littéraire raillait les « bavardages » de ses confrères à propos de Michel Houellebecq, dont le nouveau roman, Soumission, sortait le jour même, et avec lequel il avait rendez-vous à la fin de la semaine. « Cela laisse du champ, samedi, pour un entretien que j’espère plus raisonnable et précis », se félicitait-il.
Trois ans ont passé et Lançon y revient aujourd’hui sans grande fierté : « Ces phrases anodines, plutôt méprisantes et non dépourvues d’autosatisfaction, je les ai écrites comme si la vie allait continuer (…). Ce sont les derniers mots d’un journaliste ordinaire et d’un inconscient », note-t-il dans Le Lambeau, livre magistral, brûlant journal de deuil.
Brûlant ? Magistral ? Nous écrivons ces mots et déjà la honte rôde. Ce texte revenu d’entre les morts, allons-nous le traiter depuis l’autre rive, dans les termes et selon les usages du journaliste ordinaire, cet inconscient dont la vie, elle, a continué ? [...]
Sous la plume de Lançon, la rupture avec le vieux monde n’est ni une pensée ni un slogan. Elle s’impose d’emblée comme une vérité physiologique, surgie en deça du langage, essaim de sensations à même la chair. [...]
Il y a quelques secondes encore, le chroniqueur Philippe Lançon blaguait avec ses camarades dans les locaux sinistres d’un journal appauvri, Charlie Hebdo. Le voilà maintenant allongé au milieu des morts amis, la gueule cassée et la conscience séparée : désormais, "celui qui n’était pas tout à fait mort" devra cohabiter avec "celui qui allait devoir survivre". [...]"
Voir "Philippe Lançon, miraculé de « Charlie Hebdo », raconte ce qu’il a vécu depuis l’attentat" et "Après « Charlie », le journal du deuil".
Lire aussi "« Charlie » : Lançon, penser les plaies" (Libération, 12 av. 18), "La chambre de mon père" (Ph. Lançon, Charlie Hebdo, 14 mars 18) (note du CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales