Yves Agnès, ancien rédacteur en chef au "Monde", ancien directeur du Centre de formation des journalistes (CFJ). 23 avril 2018
Extrait de Yves Agnès, "Le poison du politiquement correct" (2017) [1].
"Français (de souche)
L’un des plus beaux fleurons du politiquement devenu « sémantiquement » correct nous a été servi sur un plateau avec l’émission de France 2 « Des paroles et des actes » du 6 février 2014. Le philosophe Alain Finkielkraut, après avoir plaidé pour l’intégration des immigrés, valeur d’une gauche à laquelle il se réfère souvent, ajoute en manière de provocation : « Et puis il y a aussi une place en France pour les Français de souche. Il ne faut pas complètement les oublier ! »
« Finki », où avais-tu la tête et qu’es-tu aller chercher là ? Déjà que les bons esprits t’ont catalogué « néo-réac », comme si tu avais quoi que ce soit de commun, sur la forme comme sur le fond, avec la droite extrême... Cela n’a pas traîné. Naïma Charaï, présidente d’Acsé, l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ministère de la ville), et conseiller régional d’Aquitaine, flanquée de Mehdi Ouzraoui et membre comme lui du Conseil national du PS, t’assignent illico devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Présidé par Olivier Schrameck, ancien dircab de Lionel Jospin à Matignon.
« Il est inacceptable que ces propos soient tenus librement à la télévision sur une chaîne publique », explique au journal Sud Ouest la guillerette socialiste pour qui la liberté d’expression doit peut-être être réservée aux Français « de la diversité ». Elle ajoute en guise d’explication : « L’expression "Français de souche" est directement empruntée au vocabulaire de l’extrême droite. » Rapide à censurer mais peu instruite de la récente histoire de la France ou du simple usage de la langue.
L’expression incriminée était en effet couramment utilisée, après la Seconde guerre mondiale en tout cas, et jusqu’à ce que des petits malins tentent, avec un certain succès, de régenter les mots et les esprits. Le général De Gaulle, le grand Charles lui-même, l’a employée dans un discours télévisé en 1960, lors des événements dramatiques d’Alger : « Certains Français de souche exigent que je renonce à l’autodétermination » (du peuple algérien)...
Deux ans plus tard, l’OAS tentait d’assassiner celui qui utilisait un vocabulaire « directement emprunté à l’extrême droite »... Au secours ! A moi Platon, Aristote et tous les autres !
Alain Finkielkraut, lui, se dit légitimement « abasourdi ». « Une partie de la gauche a perdu la raison et la mémoire (...) L’idée qu’on ne puisse nommer ceux qui sont Français depuis très longtemps me paraît complètement délirante », déclare-t-il au Figaro. Paf !
La salutaire gifle administrée à ces deux Français si peu tolérants leur viendra quelque temps plus tard... du président de la République, François Hollande, le premier des socialistes. Lors d’un discours au traditionnel dîner du CRIF, le 23 février 2015, il emploie « Français de souche, comme on dit » pour désigner les profanateurs du cimetière juif de Sarre-Union. Retour à l’envoyeur.
On pensait pouvoir parler à nouveau la langue de Molière sans avoir à redouter les ciseaux d’Anastasie. Raté ! L’ancienne ministre de la culture, normalienne et agrégée de lettres classiques, Aurélie Filippetti, déclare aussitôt que le président a fait « plus qu’une maladresse, une faute ». De style ?"
[1] Publié notamment dans la revue "[im]Pertinences" (Académie de l’éthique) : "Le poison du politiquement correct - Catéchisme du savoir vivre et penser" (note du CLR).
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