AG du 11 déc. 17

P. Kessel : J’ai décidé de ne pas me représenter à la présidence du Comité Laïcité République (AG du 11 déc. 17)

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 26 décembre 2017

"Voilà plus de trente ans, en octobre 1989, au lendemain de "l’affaire de Creil", lorsque deux jeunes filles refusèrent d’enlever leur voile pour entrer au collège, nous fondâmes le Comité Laïcité République.

Cinq intellectuels éminents venaient de signer un appel à la résistance qui fit la Une du Nouvel Observateur et beaucoup de bruit. Ce texte intitulé "le Munich des consciences", signé par Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler, dénonçait la lâcheté gouvernementale devant ce qui allait devenir le symbole de la montée du communautarisme. Le Premier ministre de l’époque, plutôt que de prendre un arrêté interdisant le port des signes religieux à l’école publique, ce qui aurait fait gagner trente ans à la République, se débarrassa du dossier brûlant en le transmettant au Conseil d’État. Celui-ci, d’arrêté en arrêté, au fil des ans, donnerait libre cours à une interprétation de plus en plus libérale de la loi de séparation des églises et de l’État, ouvrant la voie aux dérogations à la loi commune, aux accommodements dits raisonnables, aux atermoiements coupables et à la fragilisation de la laïcité.

Régis Debray nous avait prévenu : le droit à la différence se transformerait en différence des droits. Pas grand monde ne prenait cette prophétie au sérieux et pourtant le ver était dans le fruit. Une partie de la famille laïque adopterait pour les différences les yeux de Chimène pour Rodrigue, au point d’oublier l’universalisme des principes fondateurs de la République comme de la culture de la Gauche.

Le rapport Obin, en 2004, alerterait de la profondeur de la déchirure culturelle. En 2014, la publication du rapport Tuot sur le site du Premier Ministre proposait une "citoyenneté à géométrie variable" en fonction des origines. Il s’agissait d’adapter les principes de la République aux origines culturelles et religieuses de chacun. Cette initiative témoignait de l’incroyable dérive idéologique d’une partie de la gauche qui, croyant défendre les nouveaux "damnés de la Terre", se faisait complice d’un communautarisme emprisonnant chaque personne dans ses origines. Les femmes en seraient à nouveau les premières victimes. Ce n’est pas par hasard que les femmes, à l’image des instituteurs de la III° République, allaient devenir les nouveaux hussards de la laïcité.

Le temps était venu de contester les philosophes des Lumières, de relativiser la liberté de conscience, l’égalité des droits, de vider la laïcité de son contenu au profit d’un discours de coexistence des religions. À la République constituée de citoyens singuliers mais d’abord libres et égaux, allait se substituer un projet de société où coexisteraient des communautés aux droits et devoirs spécifiques. D’une certaine façon cette perspective revenait à relativiser les acquis fondamentaux de la Révolution française. Cette dérive conduisit à la confusion idéologique qui masque de plus en plus mal la profonde fracture culturelle qui traverse la société française comme la Gauche elle-même.

C’est parce que nous partagions cette intuition et cette inquiétude que, voilà près de trente ans, nous avons créé le Comité Laïcité République avec Maurice Agulhon, Louis Astre, Elisabeth Badinter, Pierre Bergé, Henri Caillavet, Jean-Pierre Changeux, Alain Finkielkraut, André Henry, Guy Lengagne, Albert Memmi, Claude Nicolet, Jean-Claude Pecker, Yvette Roudy et de nombreux autres.

Dans la Déclaration de Principes fondatrice que chaque nouvel adhérent doit signer, nous marquions notre fidélité aux principes universalistes et rejetions ces tentatives qui, en prétendant ajouter un adjectif à la laïcité pour soi-disant la "moderniser", l’actualiser", l’apaiser", voire la rendre compatible avec le Concordat, ne visaient qu’à la vider de son contenu. Vieille stratégie des clergés destinée à reconquérir le terrain perdu sur la République et qui participe aujourd’hui, un peu partout dans le monde, du retour du religieux au cœur de la Cité.

Depuis, nous avons livré la bataille des idées pour rejeter les tentatives de contournement et de détournement de la laïcité. Nous avons dénoncé les tentatives de l’extrême-droite pour accaparer la laïcité, elle qui, tout au long de son histoire, a toujours défendu une identité française bien peu laïque, blanche, catholique, apostolique et romaine et dont le projet est de stigmatiser tous les musulmans afin de manipuler les peurs. C’est pourquoi lors de la dernière élection présidentielle, nous avons clairement appelé à voter contre la candidate du Front National.

Mais, fait nouveau des dernières décennies, les adversaires de la laïcité ne sont plus exclusivement à l’extrême droite et dans le camp clérical. Des voix se sont élevées à droite et à gauche malheureusement, parfois au sein de la famille laïque, contribuant à affaiblir la laïcité et l’universalisme de la citoyenneté au profit d’une conception différencialiste. Les meilleures intentions affichées ne peuvent plus masquer qu’à terme la fragmentation de la citoyenneté en communautés ne peut que nourrir le populisme, les identitarismes et la xénophobie.

Nous avons contribué à ouvrir le débat et dénoncé ceux qui veulent imposer une chape de déni sur les menaces portées par la montée des revendications communautaristes. Mais au lendemain des attentats barbares contre nos amis de Charlie, du Bataclan, de Nice, des assassinats antisémites, lorsque certains journalistes, sociologues et même quelques élus pourtant d’origine progressiste ont témoigné de la compréhension, parfois de la complaisance avec l’islamisme politique, le débat a changé de nature.

Le Comité Laïcité République a pris ses responsabilités. Nous avons alerté sur les dangers que la montée des revendications communautaristes faisait courir à la démocratie et à la République. Nous avons, par nos nombreux colloques, conférences, éditoriaux à travers la France et à l’étranger, alerté des enjeux dans certaines crèches, des écoles, des hôpitaux, des universités, des prisons, des entreprises, des quartiers. Avec Le prix de la Laïcité, cérémonie désormais quasi-institutionnelle qui rassemble près d’un millier de personnes à l’Hôtel de Ville de Paris, nous avons rendu hommage à des femmes et à des hommes qui se battent, parfois au péril de leur vie, pour défendre la laïcité. Certains prix ont parfois étonné. Cela démontre l’indépendance du jury qui fut présidé notamment par Elisabeth Badinter, Christian Bataille, Jean-Pierre Changeux, Jean Glavany, Joseph Macé-Scaron, Alexis Lacroix, Boualem Sansal, Odile Saugues, Antoine Sfeir et Charb, le directeur de Charlie qui, lors de la cérémonie des prix qu’il présidait en 2012, déclara " J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent".

Ainsi, avons-nous contribué à faire connaître et reconnaître l’engagement courageux de Natalia Baléato, Djemila Benhabib, Jeannette Bougrab, Gilles Clavreul, Chadortt Djavan, Caroline Fourest, Catherine Kintzler, Françoise Laborde, Maryam Namazie, Henri Pena-Ruiz, Fazil Say et d’autres qui vivent pour certains sous la menace permanente. Cette année, nous avons vécu un grand moment d’émotion en rendant hommage à ces policiers qui, au péril de leur vie, protègent les militants de la laïcité, eux-mêmes menacés de mort pour leurs convictions. Je tiens à les remercier tous.

Trente ans ou presque après sa création, le CLR est devenu une association reconnue pour son attachement ferme aux principes de la laïcité mais aussi comme une force de réflexion, de dialogue, au ton équilibré, acceptant les débats de fond mais refusant les polémiques stériles. Et nous serons toujours du côté du débat chaque fois qu’il sera possible.

Ce style exprime aussi la nature de notre attachement aux principes Républicains et à la laïcité. Car la laïcité que nous défendons ne se réduit pas à la loi de 1905, si essentielle soit elle. Elle est le mouvement de pensée, le fruit d’une longue chaîne humaine au-delà du temps et de l’espace, l’éthique humaniste qui portent l’émancipation des femmes et des hommes. Un combat d’une étonnante actualité pour s’assurer que les fantastiques révolutions technologiques et scientifiques qui vont transformer en quelques décennies notre société tout autant que la découverte du feu ou de l’écriture, seront bien au service des hommes et de leur émancipation progressive.

Le Comité Laïcité République est devenu pleinement adulte. Il est de plus en plus sollicité. De plus en plus présent. Son site web s’est imposé comme une référence reconnue. C’est le fruit d’un travail collectif, bénévole. Le moment est venu de lui donner les moyens d’assurer mieux encore ses missions. De disposer par exemple d’un collaborateur permanent, d’une politique de communication plus performante et de moyens financiers nécessaires à cette montée en charge.

Le prochain bureau devra travailler en ce sens et nous avons déjà préparé plusieurs pistes. Il devra aussi s’élargir à une nouvelle génération de militants qui ont souhaité nous rejoindre et viennent d’entrer au Conseil d’Administration. Et poursuivre l’action des comités locaux qui font vivre le débat en province. Il conviendra également, tout en conservant son indépendance politique, que le CLR soutienne ceux qui ont décidé de replacer la laïcité au cœur de la Cité.

Pour ma part, j’ai eu un grand bonheur à contribuer à cette montée en puissance du CLR. Cela n’aurait pas été possible sans le dévouement collectif de nos adhérents, du conseil d’administration et du bureau national. J’ai eu l’honneur de travailler comme secrétaire général fondateur avec Claude Nicolet puis Henri Caillavet qui en furent les premiers présidents avant de leur succéder pendant une période de cinq ans puis, après avoir cédé la fonction à Jean-Marie Matisson puis à Philippe Foussier, d’assumer une nouvelle fois la Présidence pendant sept ans. Je souhaite remercier tous ceux qui m’ont apporté leur concours, leur soutien et le plus souvent leur amitié. Et d’ores et déjà je vous appelle à poursuivre ensemble ce formidable travail collectif entrepris voilà près de trente ans.

Mais il est important que la démocratie respire chez nous aussi. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de ne pas me présenter à un nouveau mandat. Je continuerai à travailler avec la nouvelle équipe et le prochain Président et bien évidemment à soutenir la laïcité par ce que je suis convaincu qu’elle est plus indispensable que jamais à la paix civile.

À tous un grand merci pour ce grand et beau moment de vie.

Patrick Kessel,
Président du Comité Laïcité République
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