Revue de presse

P. Bruckner : « L’affaire du Bondy Blog est le Titanic de la gauche branchée » (lefigaro.fr/vox , 24 fév. 17)

Pascal Bruckner, philosophe, auteur de "Un racisme imaginaire : islamophobie et culpabilité" (Grasset). 27 février 2017

"Le philosophe et essayiste réagit à la révélation des tweets haineux du chroniqueur du Bondy Blog, Mehdi Meklat. L’auteur d’"Un racisme imaginaire" dénonce également la motion d’une députée canadienne visant à condamner l’islamophobie.

FIGAROVOX. - Le chroniqueur du Bondy Blog, Mehdi Meklat, a publié des milliers de tweets antisémites, racistes, homophobes et misogynes. Que pensez-vous de cette affaire ?

Pascal BRUCKNER. - L’affaire du Bondy Blog est le Titanic de la gauche branchée. Pendant des années, M le Monde, Libération, Les Inrocks, Télérama ont encensé la formidable vitalité de ce kid des banlieues, si cocasse, si futé qui se proposait, par la voix de son « double maléfique » de tuer des Juifs, de sodomiser Madame Valls, de cracher sur Charb, de casser les jambes de Finkielkraut. Quel humour, quelle force ! Les chaisières de la gauche antiraciste se gondolaient, rien qu’à le lire. Il a fallu le courage d’une internaute républicaine et athée pour que l’abjection soit révélée. J’espère que ce « nazillon cool » va être traîné devant la justice, même s’il me semble que ses tweets sont prescrits.

Je ne crois pas que cette affaire Mehdi Meklat passera inaperçue. Elle a le mérite de révéler au grand jour que les membres issus de minorités dites discriminées peuvent aussi commettre des discriminations, qu’ils peuvent aussi être racistes, antisémites, homophobes ou misogynes. Contrairement à la vulgate tiers-mondiste, il y a des oppresseurs chez les oppressés. Le raisonnement du tiers-mondisme est toujours le même : les opprimés sont innocents par nature. De père en fils, le statut de victime se transmet, ce qui permet à celui qui dispose de ce statut de n’être jamais ni responsable ni coupable. C’est une monstrueuse supercherie.

Dans une interview accordée à Télérama, Mehdi Meklat ose même se déclarer victime de la fachosphère... dont il fait évidemment partie ! Mais je suis sûr qu’il sera accueilli bientôt par le site frérot salafiste de Médiapart, au nom bien sûr de la lutte contre « l’islamophobie ».

Qu’est-ce que l’affaire Mehdi Meklat dit aussi du développement de l’antisémitisme, de l’homophobie et de la misogynie en France ?

Il faut relier cette affaire aux propos de la sociologue Nacira Guénif, qui a témoigné lors du procès contre Georges Bensoussan, auteur des Territoires perdus de la République et aujourd’hui d’Une France soumise, accusé d’islamophobie pour avoir pointé l’antisémitisme qui existe au sein de la communauté musulmane. Alors que Georges Bensoussan expliquait notamment le développement de l’expression « espèce de juif, mes excuses », Nacira Guénif a expliqué que ce propos, souvent employé en arabe, « est passé dans le langage courant et ne signifie pas la haine des juifs (…) C’est une expression figée qui fait partie du langage courant. Déshistoriciser des expressions, dit-elle c’est essentialiser » [1]. Vous avez bien lu, ne tombez pas de votre chaise. Traiter quelqu’un d’« espèce de juif », c’est l’équivalent de « passe-moi le sel » ! On veut désamorcer la violence des kids des banlieues en faisant de celle-ci l’expression d’une minorité oppressée. On oublie au passage qu’il y a aujourd’hui une proportion non négligeable des membres de la communauté musulmane pour qui l’homophobie, l’antisémitisme et la misogynie font partie de leur bagage culturel. C’est ce qu’il ne faut pas dire aujourd’hui. Georges Bensoussan a été condamné pour cela, au nom de l’islamophobie, devenue crime de lèse-majesté.

Au Canada, trois semaines après l’attentat contre une mosquée à Québec, une députée libérale a déposé une motion contre « le racisme et la discrimination religieuse systémiques », mesure qui ne concernerait en réalité que l’islam et non les autres religions. Qu’est-ce que cela dit de l’islamophobie ?

C’est la preuve que l’islamophobie ne sert pas d’abord à protéger les musulmans des discriminations qu’ils peuvent subir, mais à protéger la religion islamique de toute espèce de critique. On offre ainsi à l’islam un sauf-conduit qui n’est accordé à aucune autre religion, ni au christianisme, ni au judaïsme, ni à l’hindouisme ou au bouddhisme. C’est l’équivalent sur le plan spirituel de la préférence nationale chère à Marine le Pen sur le front de l’emploi. Les barbus en ont rêvé, les Canadiens pourraient le faire prochainement. Qu’une confession ne puisse être soumise à l’analyse de la raison, qu’elle soit ainsi soustraite à l’esprit d’examen comme si elle était hors-sol, hors humanité, est un événement inédit dans l’histoire. C’est aussi un aveu terrible : les tenants du péché d’islamophobie veulent faire de l’islam une religion intouchable, supérieure à toutes. Il faut la prendre en bloc. On peut se moquer de tous les dieux, de tous les textes sacrés mais pas du Coran et de ses fidèles. C’est une régression proprement hallucinante.

N’est-ce pas aussi en faire paradoxalement une religion inférieure en infantilisant les musulmans ?

Absolument. C’est d’ailleurs une très mauvaise nouvelle pour les musulmans, qui seront les premières victimes de cette motion, si elle était votée. Une telle mesure qui les déresponsabilise, au détriment des chrétiens, des juifs, des sikhs, des hindous, des athées ne peut qu’entraîner un déchaînement de colère et de haine. On installe les fidèles du Coran dans une niche pieuse parce qu’on les estime, au fond, incapables de se réformer eux-mêmes et non comptables de leurs actes. Le musulman est élevé à la fois au rang de tabou et de totem. Il appartient ainsi à une religion fétiche sous vitrine sur laquelle on marque, comme au musée : ne pas toucher. Il s’agit pour l’instant d’une simple motion, mais le fait même que l’idée ait pu germer dans la tête de cette députée libérale, d’origine pakistanaise, et qu’elle n’ait pas été unanimement condamnée en dit long sur la société canadienne. Heureusement que nos cousins du Québec ont gardé une once de bon sens, au contraire de beaucoup de leurs compatriotes anglo-saxons.

Cela montre-t-il les limites du multiculturalisme ?

En réalité, nous sommes au-delà du multiculturalisme. Nous atteignons ici le stade du « mono-confessionalisme » puisque l’islam est favorisé, par l’État fédéral, à l’exception de toutes les autres confessions (ce qui était, toutes proportions gardées, la position du catholicisme sous l’Ancien Régime en France, protégé par la monarchie). Le multiculturalisme a au moins pour souci d’établir l’égalité entre les cultures. Je me rappelle qu’en 2005 ou en 2006, l’Ontario avait souhaité instaurer la charia pour les citoyens de confession musulmane. Ce furent des femmes musulmanes qui s’y opposèrent pour rester protégées par le droit commun [2]. Là encore, nous voyons que l’infantilisation de l’islam, son statut dérogatoire, n’est pas un cadeau fait aux musulmans. C’est, sous couleur de préservation, une marque de mépris post-colonial : vous n’êtes pas assez mûrs pour bénéficier de tous les privilèges de la liberté de conscience et de la citoyenneté. Imaginez que l’on ait agi ainsi de la Renaissance au siècle des Lumières avec le catholicisme, pour le soustraire à la discussion, cette religion serait restée confinée dans ses dogmes d’antan. La grandeur d’une foi, c’est sa capacité à se réformer, à s’adapter aux réalités du siècle. [...]"

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