Revue de presse

"Observatoire ou abattoir de la laïcité ?" (Marianne, 18 jan. 19)

22 janvier 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Censé défendre la séparation de la religion et de l’État, l’Observatoire de la laïcité recommande le port des signes religieux lors du futur service national universel. Vous avez dit bizarre…

Les communautaristes de tout poil et de tout voile en rêvaient, l’Observatoire de la laïcité l’a fait. Cette honorable institution, présidée par le socialiste Jean-Louis Bianco, préconise le port des voiles, croix, kippa et plus si affinités pour notre belle jeunesse appelée dès juin prochain à servir quelques semaines la République dans le cadre du service national universel (SNU).

C’est Gabriel Attal, secrétaire d’Etat à l’Education, chargé de piloter l’installation du futur SNU, qui a missionné l’observatoire pour étudier l’art et la manière d’y assurer « la promotion de la laïcité ». S’attendait-il à un résultat aussi décoiffant ? A la perspective de voir une lycéenne de 14 ou 16 ans, à qui notre loi de 2004 en interdit le port dans un établissement public, s’envelopper dans un voile pour son stage au service national ? Une position que ledit observatoire justifie par une analyse juridique permettant de considérer les participants au SNU comme de simples « usagers » d’un service public. En tant que tels, ils devraient se voir appliquer un respect de leur « liberté de conscience », au moins durant les temps libres.

Travail de sape

Seule solution, profiter de la révision constitutionnelle qu’implique le SNU pour préciser son caractère laïque. Encore faut-il s’entendre sur ce terme, l’observatoire s’ingéniant à en donner une interprétation fondée sur la conception anglo-saxonne de l’organisation de l’espace politique. Quoi qu’en dise le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, qui a affirmé qu’il ne « suivr [a] pas cette recommandation », le ver est désormais dans le fruit et toutes les contestations sont envisageables, éventuellement devant la Cour européenne des droits de l’homme. Certaines associations musulmanes militantes ne s’y sont pas trompées, applaudissant des deux mains l’étude.

La manœuvre s’inscrit dans le long travail de sape opéré par l’observatoire depuis sa création. En la matière, il a une expérience foisonnante, jalonnée de crises, d’anathèmes, voire d’accommodements miséricordieux avec les défenseurs du concept de blasphème. Emmanuel Macron, en reconduisant Jean-Louis Bianco (nommé en 2013 par François Hollande) à la tête de cet organisme en octobre 2017, a-t-il eu un trou de mémoire ? Après avoir dénoncé à maintes reprises « la fixation de l’opinion sur le voile », ce baron du PS n’hésite pas, au lendemain des attentats islamistes de novembre 2015, à signer une tribune intitulée « Tous unis ». Aux côtés notamment du chanteur Médine (qui avait appelé à « la crucifixion des laïcards comme à Golgotha » ) et des responsables du Comité contre l’islamophobie en France, ce CCIF qui traîne devant les tribunaux journalistes, écrivains, universitaires. En février 2016, Bianco défend la chanson de Médine Don’t Laïk, en affirmant, un an après le massacre des journalistes et de l’Hyper Cacher, que « Charlie Hebdo dit bien pire ». La colère enfle dans les rangs de l’observatoire. Après un tweet de son rapporteur général, Nicolas Cadène, contre Elisabeth Badinter, trois personnalités démissionnent. Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République, Françoise Laborde, sénatrice de Haute-Garonne, et Jean Glavany, alors encore député socialiste. En expliquant les raisons de cette rupture, Glavany éclaire la lanterne d’une opinion conditionnée à gober la fable d’une gentille « laïcité ouverte », décriée par les méchants de la « laïcité fermée » et de « l’intégrisme laïque ». Il remet en cause Bianco : « Depuis la création de l’Observatoire de la laïcité, son président n’a cessé de dresser les deux familles [de la gauche républicaine et laïque] l’une contre l’autre et, plus précisément, pour donner systématiquement raison à l’une contre l’autre… »

Parcours édifiant

Cette guerre-là faisait et fait toujours rage au sein de la gauche. Elisabeth Badinter avait déclenché une méprisante fureur de Nicolas Cadène, en disant leur fait à ceux qui veulent interdire de penser librement. « Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe, affirmait la philosophe. On ferme le bec de toute discussion sur l’islam en particulier ou d’autres religions avec la condamnation absolue que personne ne supporte : “Vous êtes raciste” ou “vous êtes islamophobe, taisez-vous !” » Quelques mois plus tard, en juillet 2016, Jean-Louis Bianco, toujours à l’œuvre, s’insurge contre un article de la loi Travail qui autorise les entreprises à inscrire le principe de neutralité dans leur règlement intérieur et à décourager les salariés de manifester leurs convictions religieuses. La recommandation, le 18 décembre 2018, du port des signes religieux au service national ne constitue donc que le dernier épisode du parcours édifiant de l’observatoire. De quoi mériter largement le sobriquet cinglant dont le journaliste Yves Mamou, dans son dernier ouvrage, le Grand Abandon (L’Artilleur, 2018) avait affublé cette officine : « Abattoir de la laïcité » !

Martine Gozlan"

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