Revue de presse

"Lyon, nouvelle Mecque de la culture ?" (Causeur, juin 16)

30 juin 2016

"Dans les moments (de plus en plus rares) de baisers Lamourette œcuméniques avec ses collègues des autres grandes religions – le cardinal archevêque Philippe Barbarin et le grand rabbin Richard Wertenschlag –, Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, se plaisait à évoquer le fait qu’il était né en Algérie d’une mère juive, convertie à l’islam lors de son mariage.

Peut-être a-t-il entendu de sa maman cette vieille blague juive ashkénaze, dont il doit bien exister une version séfarade. Comme chaque année au moment de Kippour, un schnorrer patenté se rend chez le baron de Rothschild pour y recevoir son obole. Le banquier lui remet alors la somme habituelle, mais le schnorrer [1] reste devant lui, la main ouverte encore tendue : « Je vous demande, monsieur le baron, de faire cette année un effort supplémentaire, car ma santé s’est dégradée, et le médecin me conseille d’aller faire une cure à Ostende… » Comme, à l’époque, la station balnéaire belge était réputée la plus chic et la plus chère d’Europe, Rothschild se risque à objecter : « Vous ne pensez pas qu’une autre ville d’eau, plus modeste, mais aux vertus curatives équivalentes, ne serait pas plus appropriée ? » Réponse du schnorrer : « Voyons, monsieur le baron, pour ma santé, rien n’est trop cher ! »

Pour sa santé et son bien-être, et accessoirement pour asseoir son influence sur les fidèles musulmans rhônalpins, Kamel Kabtane juge indispensable l’édification, à côté de sa Grande Mosquée, d’un institut culturel semblable à celui dont disposent à Lyon ses homologues juifs et les diverses obédiences chrétiennes (catholiques, protestants, arméniens). Contrairement aux lieux de culte, ce genre d’institution peut bénéficier de l’aide financière de la puissance publique, à condition que le caractère culturel, et non pas cultuel, de l’édifice soit avéré et garanti, pour ne pas déroger à la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État. Jusqu’ici, tout va bien dans le meilleur des mondes laïcs et républicains, et tout le monde applaudit l’idée de voir, enfin, l’islam trouver dans la cité la place qui lui revient. Nous sommes en 2013, et Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur et des Cultes, signale que l’État soutiendra cette initiative, invitant ainsi son promoteur, Kamel Kabtane, à soumettre un projet élaboré aux pouvoirs publics susceptibles de le financer aux côtés de l’État : ville de Lyon, métropole, Conseil départemental du Rhône, Conseil régional Rhône-Alpes. Ces instances devront déterminer, de concert avec la Grande Mosquée de Lyon, le cadre institutionnel et matériel du futur institut.

Kamel Kabtane voit grand, très grand : il fait appel à un cabinet d’architecte réputé pour dessiner les plans du bâtiment, qui serait implanté sur un terrain jouxtant la Grande Mosquée, et présente le devis aux financeurs potentiels. Cet institut abritant salle de spectacles et de conférences, médiathèque, salles de cours, restaurant, est estimé à plus de 8 millions d’euros (au départ, mais on sait que les devis ont tendance à gonfler en chemin !), et son coût annuel de fonctionnement s’élèverait à 500 000 €, un montant jugé par les spécialistes impossible à autofinancer par ce type d’institution, donc impliquant une charge permanente pour les collectivités locales – ce qui n’est pas le cas pour les autres établissements de même type gérés par les autres familles spirituelles.

Avec délicatesse, mais fermement, la ville, la métropole, le département et la région font observer à M. Kabtane qu’il conviendrait de revoir son projet à la baisse. Étant donné que l’engagement de l’État ne saurait excéder 1 million d’euros, et à supposer que les collectivités locales (sauf le département, réduit à peau de chagrin par la constitution de la métropole de Lyon) abondent le budget d’une somme équivalente, on arrive à la moitié de la facture présentée par Kabtane… Cela pose un problème d’équité envers les autres confessions, qui pourraient prendre ombrage d’une disparité trop flagrante entre les aides accordées à la vie culturelle musulmane, et celles dont elles ont bénéficié, même si un coup de pouce peut être consenti en raison du caractère récent et massif de la présence de musulmans dans la région.

L’affaire est d’autant plus délicate qu’en cette période de vaches maigres budgétaires, des institutions culturelles locales, comme le musée des Tissus de Lyon, témoin du glorieux passé textile de la ville, sont sévèrement menacées. De plus, on se demande si le souhait de Kamel Kabtane de diriger lui-même le futur institut, alors qu’il est, es qualités, le principal interlocuteur cultuel des pouvoirs publics, est compatible avec la loi de 1905 – chez les cathos et les juifs, instituts culturels et lieux de culte sont physiquement et institutionnellement distincts.

Kebtane est totalement insensible aux critiques. « Pour mon institut rien n’est trop cher ! », dit-il en substance. Et d’un revers de la main, il balaie les objections relatives à l’incompatibilité légale de la double casquette de leader religieux et celle de président d’une institution culturelle. L’islam sunnite ne comportant pas de clergé organisé, il peut très bien cumuler les deux fonctions, fait-il savoir. Et quand on lui suggère de placer un de ses proches à la tête de l’institut, bref de recourir à un homme de paille pour respecter la lettre, sinon l’esprit de la loi de 1905, le recteur refuse.

Précisons, de surcroît, que les collectivités territoriales impliquées dans les financements sont, dans la phase intense des discussions, en 2013 et 2014, majoritairement dirigées par des exécutifs de gauche, donc peu soupçonnables de masquer leur rejet de l’islam derrière des arguties financières. À la région, la vice-présidente à la Culture chargée de ce dossier, Farida Boudaoud, élue d’une banlieue « sensible » de l’est lyonnais, a tout intérêt à se prévaloir, auprès de ses électeurs, de sa contribution à un équipement susceptible de les intéresser. Voyant que les cordons de la bourse publique ne se desserrent pas à hauteur de ce qu’il exige, Kamel Kabtane lance alors l’argument massue : si la France rechigne à payer, d’autres pays se feront un plaisir de financer le projet, suivez mon regard…

Les élus restent insensibles à ce qu’il faut bien appeler un chantage et se déclarent toujours disposés à apporter une contribution « significative » à l’institut, tout en mettant en garde le recteur à propos des difficultés politiques qui pourraient subvenir s’il persistait dans son intention de faire appel à des dons de puissances étrangères pour le financer. Depuis, le Conseil régional de la nouvelle grande région Rhône-Alpes a changé de majorité, et porté à sa tête Laurent Wauquiez (Les Républicains), dont on peut être certain qu’il sera moins compréhensif que son prédécesseur socialiste Jean-Jack Queyranne dans cet épineux dossier.

Il en faut plus pour décourager Kamel Kabtane : début mai, il annonce à grand bruit que les travaux de son institut commenceront la semaine suivante, alors que seule la subvention de l’État (1 million d’euros) a été versée. Il fait savoir également que deux pays, l’Arabie saoudite et l’Algérie, ont accepté de contribuer, pour un montant que le recteur se refuse à préciser. Cette annonce provoque immédiatement le retrait du département du Rhône, dominé par la droite, du club des financeurs, son président, Christophe Guillotteau (LR), estimant que l’apport de fonds d’Arabie saoudite « pose un problème éthique », pour un institut dont le promoteur se targue de vouloir, en son sein, former les imams à la laïcité à la française. Kabtane est furieux : « L’État français pourrait signer des contrats avec les Saoudiens, et pas nous ? » demande-t-il en assurant que Riyad ne lui dictera pas ses choix !

Ainsi, Kabtane met littéralement les pouvoirs publics au pied du mur qu’il commence à édifier : soit vous payez ce que je demande, soit vous serez responsable de l’introduction du loup wahhabite dans ma bergerie culturelle ! S’il existait un championnat du monde de houtzpa [2], il serait à coup sûr médaille d’or !"

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[1Schnorrer : mot yiddish désignant un mendiant, un quémandeur ou un pique-assiette.

[2Houtzpa : mot hébreu utilisé dans tous les dialectes juifs pour désigner le culot, l’impertinence, voire l’insolence.



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