1er février 2019
[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Printemps 1989, j’avais 13 ans. Je vivais jusqu’alors au Maroc, mon pays. C’était une existence paisible de jeune adolescente entourée de sa mère, de ses frères et de ses sœurs. Mon père, lui, vivait en France, à Paris, avec… sa deuxième épouse, privilège que la législation marocaine lui permettait.
La France, nous en parlions beaucoup et, sans le connaitre, j’aimais ce pays, non pas pour la beauté de ses paysages ou pour son histoire car je n’en savais pas grand-chose pour n’y être jamais allée mais parce qu’il accueillait mon père et, ce faisant, le maintenait éloigné de nous.
Comment qualifier ce père ? Il était disons-le avec les formes, conservateur. Conservateur au sens qu’il était attaché aux traditions et à la religion dans la mesure où ces dernières lui apportaient tous les avantages dus à sa qualité d’homme. Sa vision de la fille et de la femme était claire : Ces dernières doivent être au service de l’homme, qu’il soit père, frère ou époux et ce n’est qu’au travers de la domination masculine qu’elles peuvent se permettre d’exister.
Son éloignement était pour moi une des conditions de ma liberté et de mon bien-être.
1989, j’avais 13 ans et l’on m’annonce que mon père veut que je le rejoigne à Paris. Désarroi, coup de tonnerre dans ma vie. Alors que mes amis, ma famille, vantent ma chance d’aller vivre en France, à Paris qui plus est, je suis mortifiée de tout quitter, d’aller rejoindre ce père que je souhaitais le plus loin de moi possible.
Printemps 1989, je quitte le Maroc et arrive dans mon nouveau pays.
De Paris, cette ville merveilleuse qui faisait rêver mon entourage, je ne vis que les murs de l’appartement paternel et je compris vite qu’on attendait de moi de me mettre au service de ma belle-famille. A l’extérieur, mes sorties devaient être courtes, discrètes et voilées. Une fille de 13 ans se doit de ne pas faire n’importe quoi et de ne pas s’exposer de manière inconsidérée.
La seule bouffée d’air pour moi fut mon inscription au collège. Mon père ne souhaitait pas forcément que sa fille poursuivit des études mais il n’avait pas le choix car je n’avais pas 16 ans et la scolarité était obligatoire. C’est grâce au collège public que j’ai pu découvrir la liberté. Liberté d’enlever mon voile, liberté de réfléchir, de penser et d’agir, liberté de voir ces jeunes Français jouer et rire, liberté de voir des femmes libres et émancipées. Certaines d’entre elles étaient maghrébines et représentaient pour moi l’espoir de leur ressembler. En les voyant tous et toutes, je me disais qu’ils ne songeaient pas à la chance qu’ils avaient d’être nés dans un pays comme celui-là. Sans doute ne s’en rendaient-ils même plus compte.
Certes dès mes 16 ans, rattrapée par l’obscurantisme familial, j’ai dû arrêter mes études, mais une graine était semée et ma volonté fit le reste. J’étais bien décidée à m’émanciper, à vivre dans ce pays et à saisir la chance qu’il m’offrait de me réaliser librement en tant que femme. J’y ai fait des rencontres, j’ai pu travailler, y trouver l’homme avec qui je partage ma vie et mes valeurs et enfin, fonder un foyer avec deux filles bien françaises qui ont aussi une partie de leur cœur dans le Maroc de leur maman.
Nous habitons un quartier de Paris, dans le 19e, où, très lentement, l’emprise communautariste a changé la population du quartier, surtout les femmes bien sûr. Cette majorité visible de femmes musulmanes s’est peu à peu mise à porter le voile. Nous avons bien-sûr choisi de scolariser nos deux filles dans l’école publique de notre secteur. Le nombre de mères d’élèves voilées est allé en augmentant. Elles offrent désormais l’image de la « normalité » de la femme musulmane et, c’est cette « normalité » que mes filles constatent au quotidien à l’entrée de l’école.
Si nous avons choisi cette École de la République, c’est pour les protéger. Je me revois enfant et repense à cette bouffée d’air que l’École m’a apportée. Je veux que mes filles, une fois le seuil franchi, soient coupées de toute forme de religion ou de croyance. Si ce quartier change, si la religion investit l’espace et les rues, si les femmes souhaitent, volontairement ou non, montrer leur appartenance, je veux que l’école où vont mes filles, où vont tous les enfants du quartier, soit l’espace où cet extérieur n’entre pas, où la religion, quelle que soit sa forme, n’ait pas d’accès. Il en va de leur liberté de choix et de conscience, liberté que beaucoup n’ont pas à la maison, liberté que moi-même je n’ai pas eu mais obtenu grâce à l’École et ce principe de laïcité.
Je suis tellement surprise de constater les réclamations permanentes de certaines familles concernant les repas sans porc et même désormais les repas hallal. L’an passé, en accord total avec l’équipe enseignante de l’école, j’ai appuyé et soutenu la volonté de demander aux parents accompagnateurs de sorties scolaires la neutralité religieuse et d’opinion dans leur aspect vestimentaire en étant tout à fait consciente que dans mon quartier, cela s’adressait plus particulièrement aux mères d’élèves voilées.
Cet ajout au règlement de l’école, voté très majoritairement par le conseil d’école a bien-sûr, suscité un vif émoi, émoi provoqué par l’action de 2 parents d’élèves. Lorsqu’il fut question pour ces mamans de rallier le soutien des parents, quelle ne fut pas leur surprise de constater que, malgré mon aspect méditerranéen et mon prénom, mes réponses étaient claires sur ce sujet : J’approuvais totalement cet ajout au règlement de l’école. Après tout ce que j’avais vécu pour m’en sortir, je me voyais rattrapée par ce voile promu désormais par les femmes elles-mêmes.
Mes pensées, source de ma détermination, allaient vers toutes ces petites filles, qui, en 2019, vivent les mêmes choses que moi j’ai vécues, qu’on veuille le croire ou non. Si le combat contre l’obscurantisme des familles me dépasse, je veux que l’école soit le rempart au religieux dans sa conception la plus obscure. J’ai parfaitement intégré que la laïcité n’est pas un rejet des religions mais une protection pour chacun à exercer sa liberté de conscience et, l’école doit représenter, pour les enfants, un lieu où la religion n’entre pas alors qu’à l’extérieur, elle est hélas omniprésente.
Je n’oublierai pas que c’est grâce à cela que moi-même suis parvenue à gérer ma vie de femme libre.
Je suis, de plus, surprise, que des parents non musulmans, sous prétexte de « bien-pensance » ou de « tolérance », se soient offusqués de ce point de règlement, avançant la stigmatisation ou la liberté, eux qui n’ont pas vécu les contraintes et l’obscurantisme de certaines familles musulmanes. Ils devraient au contraire soutenir ce texte et aider à vraiment sortir le religieux de l’école dans le seul but de protéger les enfants.
Si stigmatisation il y a, c’est celle à l’encontre de la laïcité. Je constate que ses ennemis sont nombreux, souvent cachés et que ce rude combat, nous devons, nous musulmans éclairés, nous l’approprier.
Une mère d’élève
Lire aussi Lettre d’un directeur d’école à sa hiérarchie sur l’essentialisation des élèves en REP, « Entre bobos et barbus, ma rue Jean-Pierre Timbaud » (lefigaro.fr/vox , 29 av. 16), "Les ratés de la mixité sociale dans l’Est parisien" (Le Monde, 27 av. 16), "Au coeur de Paris, une enclave salafiste" (Marianne, 22 av. 16), Paris 19e : « Ce sont les plus gênés qui s’en vont » (C. Bennasar, Causeur, av. 16) (note du CLR).
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