22 septembre 2016
"Cet été, les parlementaires ont voté une loi qui supprime le terme « religieusement » du serment prêté par les magistrats à leur entrée en fonction.
Une décision qui intervient dans une période marquée par les débats sur la laïcité.
LAURIANE CLÉMENT
Le changement, discrètement survenu dans le creux des vacances estivales, est passé inaperçu. Le 8 août 2016, une loi organique adoptée par les parlementaires a supprimé l’emploi de l’adverbe « religieusement » dans le serment prononcé par les magistrats ainsi que par les assesseurs à leur prise de fonctions. Ceux-ci juraient jusqu’à présent « de bien et fidèlement remplir » leurs fonctions, « de garder religieusement le secret des délibérations » et de se « conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
Cette réforme a été insufflée par le gouvernement, qui a demandé au Sénat de supprimer cet adverbe dans le cadre de l’examen du projet de loi « Justice au XXIe siècle ». Elle est entrée en vigueur avec la loi organique du 8 août.
Pourquoi une telle modification, alors que les termes du serment n’avaient pas bougé d’une virgule depuis l’ordonnance du 22 décembre 1958 ? Le gouvernement se défend d’avoir voulu gommer un terme renvoyant spécifiquement à la religion. La députée PS Cécile Untermaier, rapporteure de cette loi, a d’ailleurs rappelé lors de l’examen en commission que l’adverbe « renvoie simplement à la dimension sacramentelle du serment » et signifie, en l’espèce, « scrupuleusement », ne faisant donc aucune allusion à un culte en particulier.
Le ministère de la justice a agi, explique-t-il, dans un souci d’homogénéisation. « Nous voulions harmoniser le serment prêté par les magistrats de l’ordre judiciaire avec celui prononcé par les magistrats de la Cour des comptes », indique-t-il.
En effet, à la suite de l’adoption d’un projet de loi sur les dispositions statutaires applicables aux membres de la Cour des comptes, le 1er juillet 2006, le terme « religieusement » a été éliminé du serment des magistrats de cette Cour. L’adoption du projet de loi organique offrait l’occasion de « dépoussiérer » ce texte, poursuit la chancellerie.
« Ce terme nous semblait un peu désuet, et en tout cas ne paraissait plus adapté pour prêter serment au XXIe siècle », relève Cécile Untermaier. Le serment prêté par les juges des tribunaux de commerce pourrait lui aussi être concerné.
Dans un contexte marqué par de nombreux débats sur la place des religions dans la société, l’argument ne convainc pas tout le monde.
« Spontanément, au vu de la période mouvementée dans laquelle nous sommes, il est difficile de penser que ce changement n’a aucun lien avec la laïcité. Cet adverbe n’a pourtant jamais posé de difficultés, il nous rappelle seulement d’être consciencieux », souligne Véronique Léger, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats.
Celle-ci craint que cette suppression n’amoindrisse la portée du serment prononcé. « Nous regrettons qu’aucun terme ne vienne remplacer ’’religieusement’’. Est-ce à dire que le Sénat entend que le secret des délibérations ne soit plus gardé avec la même exigence ? », s’interroge-t-elle.
Ce n’est pas la première fois que les marques laissées par la religion dans l’univers judiciaire sont remises en cause. Peu avant la séparation officielle de l’Église et de l’État par la loi de 1905, une circulaire ministérielle avait ordonné le décrochage des croix, des crucifix et des tableaux à caractère religieux dans les salles d’audience.
Et dans les années 1880, la formule « je le jure », que les jurés et les témoins prononcent en levant la main droite lors d’un procès, avait aussi été contestée, car trop connotée religieusement. « Prêter serment, c’est prendre Dieu à témoin de la sincérité de son affirmation », explique l’historienne du droit Victoria Vanneau [1]. Cette pratique a entraîné plusieurs refus de prêter serment. Malgré cela, elle n’a été supprimée qu’en 1972.
Ces différentes controverses font sourire Vincent Sivré, président du Syndicat des juridictions financières. « Si on commence à traquer le moindre signe religieux, pourquoi ne pas supprimer le port de la robe par les magistrats ? ». Cet habit, en effet, s’est initialement inspiré des soutanes des clercs. Une parenté dont personne ne s’est préoccupé jusqu’alors.
COMMENT LE « BON PÈRE DE FAMILLE » A DISPARU
Le 21 janvier 2014, les députés ont voté la suppression de la référence au « bon père de famille » dans le droit français, validant ainsi un amendement écologiste déposé dans le cadre de la loi pour l’égalité hommes femmes.
Cette expression existait en droit français depuis le code civil de 1804 et était jusqu’alors encore utilisée dans une quinzaine de textes. Les écologistes la trouvaient toutefois trop « désuète » et liée à la tradition patriarcale. L’expression « soins d’un bon père de famille » a été remplacée par « soins raisonnables » et « en bon père de famille » par « raisonnablement »."
Lire "Les magistrats ne prêteront plus serment « religieusement »".
[1] "Dieu dans le prétoire", revue Citrus n° 4, mai 2016.
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