Note de lecture

Le retour des inquisiteurs (P. Kessel, 23 sept. 18)

par Patrick Kessel, président d’honneur du Comité Laïcité République. 23 septembre 2018

Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint, Délivrez-nous du bien. Halte aux nouveaux inquisiteurs, L’Observatoire, 2018, 192 p.

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Au nom du Bien et de la "pureté", que de crimes jalonnent l’histoire des hommes. On pouvait les imaginer immunisés. Mais de nouveaux Inquisiteurs se font jour, déterminés à imposer une forme subtile mais réelle d’oppression totalitaire sur la culture et nos vies quotidiennes.

Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint, dans un petit essai mené sabre au clair, dénoncent ces "nouveaux bigots" qui prétendent nous évangéliser. Ces nouveaux absolutistes qui "détestent l’Homme tel qu’il est, avec ses faiblesses, ses pulsions, ses humeurs". Ces "révolutions" culturelles qui ne feront pas "éclore cent fleurs, mais cent prisons".

Leur démarche est habile, car les combats qu’ils mènent sont, au départ, souvent justifiés. Reconnaître les droits des homosexuels, l’égalité hommes-femmes, combattre le racisme, soutenir le féminisme, promouvoir la santé publique. Mais bien souvent, ces causes sont instrumentalisées par des minorités actives qui en font un instrument de combat idéologique. Dans certains cas, ce ne sont que des "bouffons". Lutter contre l’alcool au volant ou le tabagisme des jeunes est nécessaire. Censurer au cinéma les images de la pipe de Monsieur Hulot, de Prévert ou de Simenon devrait faire rire si cela ne s’apparentait pas aux outrances des ligues de vertu. "Les précieuses ridicules et les Tartuffe ont envahi l’espace public". "Comment une société qui n’a que le mot liberté à la bouche peut produire autant d’interdits, de restrictions, de suspicion ?", interrogent nos auteurs, rappelant qu’aux excessifs, Georges Pompidou répondait par une formule demeurée célèbre : "Arrêtez donc d’emmerder les Français !"

Ces dérives "purificatrices" sont devenues flagrantes lorsque ces nouveaux prêcheurs, en Savonarole des temps présents, entendent proscrire l’usage de certains mots, la diffusion de certaines idées, imposer l’autocensure et dressent des bûchers médiatiques où "l’on peut lyncher gratis n’importe qui, n’importe quand, n’importe comment", ceux qui osent encore témoigner publiquement leur doute face aux nouveaux préjugés.

Leurs armes ? La culpabilisation, la repentance, la transparence. Leur perspective ? Rééduquer le consommateur, le citoyen, le conducteur, les parents et, bien sûr, "le mâle hétérosexuel", écrivent les auteurs..

Polony et Quatrepoint évoquent ainsi tour à tour et dans le désordre, le véganisme dont certains partisans veulent interdire toute consommation de poisson ou de viande, cassent poissonneries et boucheries, la censure de certaines oeuvres d’art, le soucis d’expurger des oeuvres, les pressions sur des comédiens, sur des joueurs de foot et même sur un pilote auto aux propos jugés politiquement incorrects, les excuses publiques imposées, l’interdiction de certains mots et leur remplacement par des termes aseptisés, le changement de la syntaxe et de la grammaire pour interdire le genre neutre, prétendument faux nez de la dictature masculine, la sélection d’informations sur des critères culturellement corrects, la réécriture de l’histoire, la volonté de régenter la sexualité "en gommant la différence des sexes" et en bannissant le désir, la responsabilité des réseaux sociaux dans la montée de ces nouveaux censeurs, la banalisation des fake news où n’importe quelle rumeur circule en lieu et place d’une information sourcée, vérifiée.

Avec la campagne Balance ton porc, partie d’une "indispensable dénonciation des abus dont trop de femmes étaient victimes", la juste cause a tourné à "la curée" et s’est perdue dans "cette atmosphère de comité de salut public et de grandes peurs". Ce mouvement, plus que légitime, a ainsi donné par certains de ses porte-voix, l’image du fanatisme, considérant que "les hommes, en particulier blancs, hétérosexuels, sont des salauds et des monstres".

Autre cible privilégiée des auteurs, la planète communautariste et ses maîtres-à-penser, le Parti des Indigènes de la République, le Cran (Conseil représentatif des associations noires), les Indivisibles dont l’influence a gagné certains milieux "progressistes", pour qui, "l’heure n’est plus à la lutte des classes mais à la lutte des races". Polony et Quatrepoint pourfendent cette nouvelle idéologie, le "minoritarisme", qui pose que toutes les minorités, qu’elles quelles soient, auraient politiquement raison par le seul fait d’être minoritaires ! Dès lors l’intersectionnalité des luttes se substituerait au mouvement social et cette idéologie issue d’Amérique du Nord s’imposerait à une gauche politique qui semble n’avoir pas compris les raisons culturelles de son désastre politique.

Un récent avis, exprimé par un comité des droits de l’homme de l’ONU - au demeurant sans portée juridique pour la France et où sont largement représentés les pouvoirs théocratiques - condamnant la laïcité à travers l’affaire de la crèche Babyloup, témoigne des soutiens internationaux dont dispose ce fondamentalisme différencialiste. Ce qui pouvait paraître comme une bataille philosophico-politique franco-française dont les Français ont le secret - ce qui participe du charme qu’on leur reconnait à l’étranger- se révèle en fait le champ de bataille d’une guerre culturelle mondiale aux paradoxales alliances.

Ces "croisades contemporaines" traduisent un "basculement vers une nouvelle organisation sociale dans laquelle l’universalisme républicain, héritier des Lumières, cède la place à la tyrannie des minorités à l’anglo-saxonne et où le multiculturalisme sert de matrice culturelle à la dérégulation néo-libérale. Un néo-libéralisme qui a besoin de venir à bout de cette République française qui prétend mettre le politique au-dessus de l’économique et l’universel au-dessus de l’identitaire", nous alertent les auteurs.

Le constat de Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint est sévère et parfois le trait peut sembler forcé. Pourtant il met le doigt où cela fait mal. Pierre Nora, historien de la République, homme pondéré, ne dit rien d’autre lorsqu’il signe une tribune appelant à "résister à l’esprit partisan qui gagne un peu partout, et particulièrement dans les lieux où il devrait être exclu : l’université, le journalisme, les médias". Et à "substituer au climat d’intolérance partisane et à l’aveuglement militant, une forme démocratique du dialogue" (Le Figaro littéraire, 14 septembre 18).

Il n’est que temps que les Républicains, tous les républicains, pour rendre sens à la politique, livrent la bataille des mots, des idées, des Lumières, des principes républicains, sauf à laisser ces dogmatiques de tout poils les vider de leur contenu et préparer le terrain à l’installation de nouvelles formes de totalitarismes.

Patrick Kessel



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