Contribution

Le combat des biologistes

par Guy Lengagne, ancien ministre 29 février 2012

par Guy Lengagne, ancien ministre, ancien membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

(L’association belge des professeurs de biologie (Probio) a refusé de publier l’article suivant pour son caractère « polémique » [1]).

Le combat des biologistes

Incontestablement, il est beaucoup plus difficile d’enseigner la biologie aujourd’hui qu’il y a une trentaine d’années ! Pourquoi ?

La première raison ? (mais c’est valable pour toutes les sciences), « la science va plus vite que l’homme » et les nouvelles découvertes ne dispensant pas d’enseigner les anciennes, le choix est difficile !

La biologie a ceci de spécifique qu’elle touche directement à l’être humain, à sa place dans le vivant, à sa place dans l’univers. Dès lors elle se heurte de plus en plus aux préjugés, aux dogmes.

Si on devait résumer en une phrase la difficulté de l’enseignement de la biologie : il faut d’abord faire comprendre la différence fondamentale entre « savoir » et « croire ». La science relève du savoir, la conviction personnelle, la religion, les dogmes de la croyance.

La séparation entre savoir et croire n’est cependant pas toujours aussi nette, car, comme le fait remarquer le physicien français Etienne KLEIN : si la science ne nous dit pas ce qu’il faut croire elle nous dit cependant ce qu’il n’est plus possible de croire. Un Européen sur trois croit que le soleil tourne autour de la terre, 400 ans après que Galilée ait montré la pertinence des calculs de Copernic ! Entre la Bible et l’évolution, 60% des habitants des Etats-Unis pensent que c’est la Bible qui a raison !

Quand un élève dit à son professeur « je ne crois pas ce que vous me dites sur l’évolution, c’est contraire à ce que dit le Coran », on aura beau lui répéter cette phrase du Coran : « L’encre du savant vaut plus que le sang du martyr », il sera difficile de le convaincre.

En fait, les enseignants de biologie sont en première ligne dans le combat pour la laïcité et ce, quelles que soient leurs propres convictions religieuses ou philosophiques. Car c’est dans le rapport entre science et société que ce combat a le plus de pertinence.

Pour illustrer ces questions je souhaite prendre deux exemples.

Le premier est lié à l’âpre bataille que mènent les intégristes de tout poil pour imposer le créationnisme.

La théorie de l’évolution, théorie au sens scientifique du terme, c’est-à-dire science prouvée par l’expérience, se heurte à une interprétation littérale des premières pages de la « Genèse » qui est admise par les trois religions monothéistes : monde créé en 6 jours, homme à l’image de Dieu, chaque espèce vivante créée telle quelle etc. Cela fait partie des choses « qu’on ne peut plus croire ». La plupart des croyants l’ont compris et ont replacé le message de la Bible dans l’époque où elle a été écrite. Mais pas les créationnistes. Ils se partagent très schématiquement entre ceux qui veulent empêcher l’enseignement de l’évolution, ceux qui demandent que le créationnisme soit enseigné à égalité avec l’évolution les deux ayant même valeur « scientifique », ceux enfin, les plus récents, qui, par le biais de l’Intelligence Design, disent qu’ils sont d’accord avec l’évolution mais qu’il y a un « pilote dans l’avion », refusant le hasard introduit par Darwin [2].

Le combat a fait rage aux Etats-Unis et on ne peut que recommander sur ce sujet le petit livre de Dominique LECOURT L’Amérique entre la Bible et Darwin. Jusqu’ici le combat contre l’évolution était surtout mené par les évangélistes américains, même si dans les pays musulmans son enseignement est interdit.

Mais en 2005 un musulman intégriste turc, Arun Yahya, envoie dans de nombreux établissements scolaires de Belgique, de France, de Suisse, d’Italie, de Grande Bretagne un ouvrage très luxueux intitulé Atlas de la création dans lequel il tente de montrer par de superbes photos qu’en réalité les espèces vivantes n’ont pas évolué [3]. La plupart des Etats interdiront la mise à disposition de l’ouvrage pour les élèves car c’est un tissu de contre-vérités.

A la suite de cela, un certain nombre de parlementaires de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (que j’appellerai plus brièvement "Conseil de l’Europe") et qui regroupe 47 pays européens, déposent en 2006 un projet de résolution intitulée "Les dangers du créationnisme dans l’éducation".

Le Conseil me demande alors d’élaborer un rapport sur le sujet ainsi qu’un projet de recommandation qui serait envoyée aux 47 Etats du Conseil pour mise en application. J’élabore donc ce rapport dans lequel j’explique que l’enseignement de l’évolution est indispensable mais que le créationnisme n’étant en rien une science il ne pouvait éventuellement être examiné que dans le cadre de l’histoire des religions [4].

Le rapport ayant été approuvé à la quasi unanimité par la Commission de la Culture, je devais le présenter en séance plénière quand, à la dernière minute, un amendement a été adopté, présenté par le député belge Luc Van den Brande, président du groupe PPE du Conseil, demandant le renvoi en commission du rapport. Ce vote signifiait simplement le refus de discuter de la question. Après un incident de séance assez rude, après une conférence de presse improvisée tout aussi rude, le rapport a fini par être discuté et voté quelques mois plus tard, sur présentation de ma collègue Anne Brasseur, députée luxembourgeoise - car je n’étais plus alors au Conseil puisque je ne m’étais plus présenté aux élections législatives en France [5].

Cet incident ne présente qu’un faible intérêt si on ignore la réalité des choses. Que s’est il passé ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est sur injonction du Vatican qu’un certains nombre de parlementaires ont refusé de discuter de mon rapport. Dans une lettre adressée à plusieurs élus, le représentant du Pape écrit : « Le Saint-Siège estime que, en ce moment, le mieux serait que ce rapport ne soit pas adopté. Je vous serais extrêmement reconnaissant de bien vouloir abonder dans ce sens. »

Ainsi, rejoignant les évangélistes extrémistes américains, et l’extrémisme musulman, l’église catholique elle-même combat l’enseignement de l’évolution. Les choses ont-elles si peu évolué ? Galilée condamné par l’inquisition en 1633 n’a été réhabilité qu’en 1992.
Il est vrai aussi que le Vatican ne reconnait pas la neurobiologie, qu’il condamne la procréation médicale assistée, protestant contre l’attribution du prix Nobel au professeur Edwards son inventeur… Mais après tout c’est son droit, au nom du principe de laïcité.

Mais s’agissant de mon rapport, l’intervention du Vatican dans une assemblée d’élus est là une atteinte grave aux principes de base de la laïcité ; « l’Etat chez lui et l’Eglise chez elle », disait Victor Hugo. Je précise que cette remarque ne vise en rien la croyance des uns et des autres ; j’ai reçu de très nombreux soutiens de milieux catholiques, choqués par l’attitude de leur hiérarchie.

Je devine ainsi les difficultés que doivent rencontrer les enseignants de biologie.

Empêcher la diffusion d’une science parce qu’elle se heurte au dogme est seulement un aspect du sujet.

En France une nouvelle loi sur la bioéthique a été adoptée en 2011. Alors que la loi précédente de 2004 permettait, après autorisation, l’utilisation pour la recherche des cellules souches embryonnaires, la nouvelle loi l’interdit. Rappelons qu’il s’agit d’embryons surnuméraires, qui ont été créés dans la cadre de la procréation médicale assistée et qui, n’étant pas utilisés, sont conservés dans l’azote liquide avant d’être détruits.

Les parlementaires français étaient globalement favorables à la liberté de recherche, encadrée certes. Mais au moment du vote définitif de la loi, sur ordre de la présidence de la République, le gouvernement a demandé à sa majorité de revenir à l’interdiction ! [6] L’explication est, hélas, symptomatique de l’emprise de plus en plus forte du dogme sur nos sociétés.
Sauf quelques problèmes généraux examinés directement par le Président de la République, les autres questions sont arbitrées par les conseillers techniques. Or, le conseiller sur les questions de bioéthique s’était exprimé sur Internet quelque temps auparavant : lui-même chercheur, il refuse, dit-il, d’utiliser les cellules souches embryonnaires car « Je n’ai pas dans mes recherches à me substituer au Créateur. »

Qu’en tant que simple chercheur il pense ainsi, c’est son droit le plus strict, au nom du principe même de laïcité. Mais que, profitant de sa position auprès du président de la République il impose sa vision partisane des choses à toute la nation est véritablement scandaleux.

Ainsi, alors que dans la plupart des pays d’Europe les recherches sur les cellules souches embryonnaires sont autorisées, et même dans certains cas elles peuvent être spécialement créées, en France, dans le pays de la loi de 1905 sur la laïcité, elles sont interdites pour des raisons uniquement religieuses.

Les recherches sur les cellules souches embryonnaires auront probablement des retombées thérapeutiques mais, me semble-t-il, elles peuvent permettre de mieux comprendre la création d’un individu à partir d’une seule cellule et donc de mieux saisir le fonctionnement de la vie.

Si, à chaque fois que l’intégrisme religieux est intervenu, les chercheurs avaient interrompu leurs recherches et les enseignants accepté de ne pas enseigner certaines disciplines, l’humanité en serait encore à l’époque des cavernes…

La science ne peut prétendre construire une humanité meilleure mais elle peut au moins faire en sorte qu’elle soit plus éclairée.

Les enseignants de biologie peuvent et doivent y contribuer ! Bon courage !

Guy LENGAGNE
Ancien Ministre
Auteur d’un rapport au Conseil de l’Europe sur "Les dangers du créationnisme pour l’éducation"

[1L’association belge des professeurs de biologie (Probio) a refusé de publier l’article suivant pour son caractère "polémique".
Vous jugerez par vous mêmes !
Guy Lengagne, ancien ministre de la République française, ancien député français et député au Conseil de l’Europe, a été rapporteur de la résolution du 4 octobre 2007, intitulée
"Les dangers du créationnisme dans l’éducation".
Cette résolution est très modérée : elle dit « s’opposer fermement à l’enseignement du créationnisme en tant que discipline scientifique ou dans tout cadre disciplinaire autre que celui de la religion ». « Science et croyance doivent pouvoir coexister ». Le texte dit donc simplement que le créationnisme n’est pas une matière scientifique et qu’il ne doit donc pas être enseigné durant les cours de sciences.
Est-ce cela qui est polémique ?
Ou, est-ce le fait que Monsieur Guy Lengagne a dû réellement se battre pour que cette résolution soit votée ? Il a dit « La cible première des créationnistes contemporains, essentiellement d’obédiences chrétienne et musulmane, est l’enseignement. Nous sommes en présence d’une montée en puissance de modes de pensées qui, pour mieux imposer certains dogmes religieux s’attaquent au coeur même des connaissances scientifiques. »
Est-ce réellement polémique ?
En octobre 2007, la résolution sera néanmoins votée. Cependant, un tiers des parlementaires européens du Conseil de l’Europe ont voté contre cette résolution pourtant tellement modérée (adoptée par 48 votes pour et 25 contre, 25 essentiellement de tendance chrétienne dont le président belge du groupe PPE-démocrates chrétiens, Luc Vandenbrande).
Est ce polémique de révéler ce fait connu de tous les parlementaires (Luc Vandenbrande a été interpellé à ce sujet au parlement flamand) ?
A l’origine du refus de discussion en commission et des votes négatifs, il a été mis en évidence que le Vatican est intervenu directement par courrier pour que ce rapport ne soit pas adopté.
C’est peut-être cela qui est polémique. Est-ce polémique de mentionner cette lettre, alors qu’elle est connue et publiée de longue date ?
Ce qui est polémique et choquant, c’est de constater que certains professeurs de biologie sont dérangés par l’exposé de ces faits. Nous avons décidé en conséquence de publier cette "polémique".
Il s’agit d’un exposé de faits dont tout scientifique devrait tenir compte, comme tout philosophe par ailleurs.
La philosophie n’est pas dans la sphère de la science, mais dans celle du sens et des valeurs ; elle ne peut cependant négliger des résultats scientifiques. La philosophie doit donc inclure la connaissance du monde naturel, une analyse critique de la société et de l’humain et un sens de la vie, celui de la sagesse hors d’une divinité, soit aussi celui du spirituel en dehors du religieux.

Charles Susanne, Professeur ULB/VUB et Georges Sand, Professeur.



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