18 novembre 2008
"La France serait-elle partie en guerre contre les créationnistes, dont les idées progressent un peu partout dans le monde ? Chercheurs en sciences de l’évolution, philosophes, professeurs, inspecteurs de collèges et de lycées : à l’initiative du ministère de l’éducation nationale, du Collège de France et de la Cité des sciences et de l’industrie, ils étaient en tout cas plusieurs centaines à débattre, les 13 et 14 novembre à Paris, de la difficulté croissante à enseigner la théorie de l’évolution. Et ce bien au-delà des Etats-Unis, berceau, depuis Darwin, du créationnisme.
L’attaque la plus frontale date de début 2007. Dans de nombreux pays d’Europe, lycées, collèges et universités reçoivent sans l’avoir demandé un luxueux ouvrage illustré, L’Atlas de la création. Edité et imprimé en Turquie, il prétend démontrer que l’évolution n’est pas une doctrine scientifique mais de la propagande antireligieuse. Son auteur, Harun Yahya - de son vrai nom Adnan Oktar -, dirige une organisation au financement obscur, dont le principal objectif est de promouvoir le Coran.
"LE DESSEIN INTELLIGENT"
"La diffusion de cet ouvrage a fait prendre conscience de l’existence d’un créationnisme musulman, jusque-là relativement ignoré en Occident", souligne Olivier Brosseau, docteur en biologie et coauteur d’un excellent petit livre sur Les Créationnismes (Ed. Syllepse). Egalement diffusé en Asie et au Moyen-Orient, ce discours extrémiste n’a toutefois exercé en Europe et aux Etats-Unis qu’une influence limitée. Il en va tout autrement du concept de "dessein intelligent" (intelligent design, ou ID) : le dernier avatar du créationnisme américain, qui, depuis les années 1990, ne cesse d’étendre son influence dans les sociétés occidentales. Sa thèse centrale ? La vie est trop complexe pour être issue d’un processus non dirigé tel que la sélection naturelle. L’évolution des espèces est admise, mais elle ne peut qu’être l’oeuvre d’un concepteur d’ordre supérieur.
Comme les autres, cette théologie naturelle modernisée s’attaque à l’enseignement. Par sa façade pseudo-scientifique (nombre de ses promoteurs sont des universitaires établis), elle ne cesse de marquer des points. En Italie, Letizia Moratti, ministre de l’éducation à l’époque, signe en février 2004 un décret excluant l’enseignement de l’évolution au collège (mesure annulée en 2005 après avoir déclenché une fronde dans la communauté scientifique). Au Royaume-Uni, selon un sondage réalisé en janvier 2006 par la BBC, plus de 40 % des personnes interrogées souhaitent que le créationnisme soit enseigné en cours de science.
La même année, en Allemagne, la chaîne Arte révèle que deux écoles du Land de Hesse, l’une privée et l’autre publique, enseignent le créationnisme en cours de biologie. Pays-Bas, Pologne, Russie, Suède : un peu partout, les exemples se multiplient. Au point que le Conseil de l’Europe, en juin 2007, sonne l’alarme, dans un rapport sur "Les dangers du créationnisme dans l’éducation". Quatre mois plus tard, une résolution est adoptée, par laquelle l’institution invite ses 47 membres "à s’opposer fermement à l’enseignement du créationnisme en tant que discipline scientifique". Ce qui n’empêche pas de constater dans plusieurs pays d’Europe, de la part de jeunes étudiants, une opposition de plus en plus marquée à l’enseignement de l’évolution.
UN ENJEU DE SOCIÉTÉ
"Cette influence croissante des idées créationnistes ne serait pas si grave si elle n’avait pas de répercussions politiques, remarque Olivier Boisseau. Mais dès lors qu’on fait accepter, d’une façon prétendument scientifique, l’existence d’un concepteur à l’origine du monde, il devient facile d’appuyer des positions législatives très conservatrices, et de faire admettre certains comportements - l’homosexualité, la contraception, l’avortement - comme déviants." Sous ses aspects théoriques, le créationnisme constitue bel et bien un enjeu de société. Et plus encore lorsque celle-ci est en mal de repères. Car les tenants du "dessein intelligent" profitent avant tout d’une confusion des légitimités.
"La théorie de l’ID constitue un article de foi. Or, il n’appartient pas à la science de conforter ou de réfuter un article de foi : ce n’est pas de son ressort", souligne le philosophe Dominique Lecourt. Que faire, dès lors, pour remettre les pendules à l’heure ? Enseigner en quoi la pensée scientifique se distingue radicalement d’une opinion ou d’une conviction personnelle. Mais aussi, suggère le théologien Jacques Arnould, "exiger de ceux dont les propos relèvent de la croyance ou des religions qu’ils expliquent leurs méthodes et pas seulement leur contenu".
Catherine Vincent"
Comité Laïcité République
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