Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur, auteur de "Laïcité, émancipation et travail social" (L’Harmattan). 24 août 2017
La dernière Une du journal satirique Charlie Hebdo, au lendemain des attentats en Espagne, montre une camionnette s’éloignant, laissant derrière elle des morts allongés sur le sol dans une mare de sang. Le texte : « Islam, religion de paix... éternelle ». Elle vient de provoquer "l’indignation" avec tout une série de réactions en chaine. Toutes, peu ou prou, la condamnent en agitant l’accusation d’islamophobie, de sacrilège, sinon d’amalgame incitant à la haine des musulmans.
Mais cette Une, ne nous réveillerait-elle pas, au regard d’un large volant des médias et de nos responsables politiques, toujours prêts à défendre la thèse d’un islam de paix et, de façon générale, à arrondir les angles dès qu’il est question de religion ? Les attentats et l’islam, rien à voir ! C’est la thèse convenue.
Selon Stéphane Le Foll, qui commente cette Une sur BFM TV [1], « les amalgames sont très dangereux. Dire que c’est l’islam dans son ensemble qui serait une religion "de paix" [sur une image de victimes du terrorisme et donc], sous-entendu une religion de mort, c’est extrêmement dangereux ». « Quand on est journaliste, on doit avoir ce sens de la responsabilité, parce que tous ces amalgames, certains peuvent s’en servir », a encore mis en garde l’ex-ministre socialiste. Et de regretter : « C’est suffisamment complexe et compliqué de tenir une société aujourd’hui, on doit rappeler à tout le monde ce sens de la responsabilité. Je n’avais pas vu cette Une, Je ne peux pas dire que je la partage. Je la conteste même. »
Craindre les réactions des musulmans à cette Une, n’est-ce pas déjà dire que cette religion ne serait pas que de paix ?
D’une part, c’est Monsieur Le Foll qui fait un procès d’intention en attribuant à Charlie Hebdo cet amalgame entre islam et "religion de mort". Il est seul à en prendre la responsabilité. D’autre part, il oublie aussi que ce journal est dans sa nature fait pour ne pas suivre les canons sacrés du politiquement correct, et qu’il est bien dans l’ordre de son rôle, par la provocation, de réveiller les esprits, si nécessaire par ce qui déplaît voire choque. C’est même par le poil à gratter sinon la soupe d’orties que ce genre de journal tient son rôle, décalé, en usant, parfois jusqu’à l’excès, de la caricature. Monsieur Le Foll a sans doute perdu de vue que Charlie Hebdo n’est pas là pour participer d’un consensus mou permettant de "tenir une société" - comme il dit - en pratiquant l’autocensure. Ce dont trop de journalistes sont pétris qui, à force de la pratiquer, en perdent le sens même de leur métier.
La solennité que prend Monsieur Le Foll à mettre en garde vis-à-vis de la difficulté à "tenir" notre société, à faire appel ici à la responsabilité, résonne implicitement de la crainte des réactions plus ou moins contrôlables, tout au moins, d’une partie des musulmans. Comme quoi, l’islam n’est déjà pas perçu par ces détracteurs de Charlie Hebdo comme si paisible que cela. On sait combien la paix avec les religions ne tient qu’à un pouvoir politique solide, sachant imposer le gouvernement de la raison à ceux qui s’entretueraient au nom de leurs croyances, si on les laissait entre eux.
On nous refait à chaque fois le même coup, pour faire taire toute velléité d’analyser les choses en pointant ce qui, dans la religion, ici l’islam, pourrait menacer ce sur quoi repose notre société laïque. Il ne s’agit pas d’amalgamer l’ensemble de nos concitoyens musulmans avec les actes ignobles que commettent les terroristes, mais de refuser l’affirmation selon laquelle l’islam se résumerait seulement à "une religion de paix". D’ailleurs, cette affirmation devient proprement suspecte voire inquiétante aux yeux de plus en plus de gens un peu informés, qui suivent l’actualité.
Rappel de quelques réalités ténues sur l’islam, qui ont de quoi faire réfléchir
Rappelons-nous l’étude fracassante menée par l’Institut Montaigne en septembre 2016, "Un islam français est possible", qui révélait des chiffres bien inquiétants sur l’islam en France : 28 % des interrogés étaient désignés comme adoptant des valeurs jugées "incompatibles" avec celles de la République, s’affirmant en marge de la société, frange comptant beaucoup de jeunes. Ils considéraient l’islam comme un instrument de révolte contre la société. 29 % considéraient la charia comme plus importante que la loi de la République... Sur 6 millions de musulmans, ces chiffres sont loin d’être anecdotiques.
Brice Teinturier, directeur général de l’institut Ipsos, expliquait dans le journal Le Parisien au lendemain de l’attentat de Nice (14 juillet 2016) : "Soyons clair : dans nos études, nous constatons un niveau élevé, voire très élevé, de personnes qui nous disent que la religion musulmane telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui dans notre pays, n’est pas compatible avec les valeurs de la société française. Qu’elle cherche à imposer son mode de fonctionnement. Le rejet est particulièrement marqué."
Malek Chebel quant à lui, confiait au même moment : "Les gens ont tout à fait le droit de pratiquer leur religion chez eux mais, pour faciliter le vivre-ensemble, ils devraient se comporter d’abord comme des Français, avant de se considérer comme des musulmans."
Ainsi, l’islam n’en irait que de la paix ? On compte en France 18 850 radicalisés début août selon le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) du ministère de l’Intérieur, créé en mars 2015. Ils sont 60 % de plus en moins de deux ans, c’est-à-dire, depuis les attentats de novembre 2015 !
Amélie Boukhobza, psychologue clinicienne installée à Nice, qui travaille pour l’association Entr’Autres, gère la « déradicalisation » organisée par l’État. Elle donnait une interview au journal Le Point, le 16 juillet 2016 pour expliquer : "On assiste en ce moment à une très inquiétante poussée de l’idéologie radicale, qu’elle soit politique ou religieuse. Je le mesure chaque jour dans les maisons de quartier et auprès des missions locales. Mohamed Merah était la principale figure d’identification jusqu’à cette année. Aujourd’hui, il « partage l’affiche » dans le coeur des jeunes radicaux avec cette nouvelle génération de terroristes apparue au Bataclan. Il y a eu un basculement très net au lendemain du 13 novembre 2015. Ces événements ont joué sur la psyché des individus, ils leur ont offert un regain d’assurance, une forme de légitimation de leur haine. Je ne suis hélas pas la seule à l’avoir constaté, d’autres travailleurs au contact du terrain s’inquiètent de l’étendue du phénomène et de sa gravité."
Depuis juillet 2013, on entend dans des manifestations pro-palestiniennes crier des "Allahou Akbar". Les contrôles de police de femmes en voile intégral tournent régulièrement à l’émeute, toute une population s’y opposant au nom du respect de la religion... Il ne se passe pratiquement pas une semaine sans qu’un attentat, en France ou en Europe, ne vienne nous rappeler que la vie quotidienne devient de plus en plus dangereuse et que nous sommes en guerre avec la violence de l’intégrisme islamiste.
N’y a-t-il pas dans le Coran des appels particulièrement virulents au djihad ? Ont-il donné lieu à une remise en cause proposant de définitivement les écarter ? Ne trouve-t-on pas en France des imams qui se font expulser régulièrement, des mosquées que l’on fait fermer pour intégrisme au regard du danger qu’elles représentent pour l’ordre public, sinon la paix civile ?
Comment nier que, depuis l’affaire des premiers voiles à Creil dans une école publique, en juin 1989, on a vu le voile se développer, y compris le voile intégral, symboles du refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, sinon d’enfermement. On voit de plus en plus s’affirmer un communautarisme agressif, salafisme en tête, qui multiplie les revendications religieuses à caractère communautaire, entend imposer la règle religieuse au détriment de la loi commune, à l’entreprise, à l’hôpital, dans l’école, dans le travail social, rejette l’égalité entre hommes et femmes...
Sans compter encore avec les procès à répétition, menés par le Collectif contre l’islamophobie en France, soutenant des musulmans qui portent ces revendications, contre notre mode de vie, nos mœurs à l’esprit libre, attaquant les intellectuels qui osent dénoncer les risques de ce communautarisme et du fondamentalisme...
La plupart des conflits armés dans le monde et des bombes qui explosent, les attentats commis, le sont au nom de l’islam, par des groupes mais aussi des armées, y compris des pays qui se réclament de l’islam. Il suffit de voir au nom de l’islam ce qu’est en train de faire de la Turquie Monsieur Erdogan, rien de moins qu’une dictature, avec un nombre de prisonniers politiques qui en fait l’un des pays les plus liberticides au monde.
On emprisonne en Tunisie pour avoir fumé ou mangé la journée pendant le ramadan, on s’entretue en Irak entre sunnites et chiites, on met une société par terre au nom de la religion en Syrie, on fait de l’intégrisme religieux le fer de lance de la lutte contre l’Etat hébreux en Palestine, en Afghanistan la guerre n’en finit pas en raison de fous de dieu, on applique la charia en Arabie saoudite, pays qui fait partie de ceux qui pratiquent le plus massivement la peine de mort.
"L’homicide, le viol, le vol à main armée, le trafic de drogue, la sorcellerie, l’adultère, la sodomie, l’homosexualité, le sabotage, et l’apostasie (abandon de la foi islamique) y sont punis de mort" [2] En voilà un amalgame, bien réel, ignoble, et qui transpire la mort brutale et furieuse, au nom d’une religion. "Les exécutés sont très généralement décapités d’un coup de sabre, ou lapidés. L’assistance d’un avocat avant le procès et la représentation légale en salle est régulièrement déniée aux prévenus..." Un pays qui siège aux Nations Unies, qui a même pu être élu à la Commission des droits de l’homme de cet organisme, mieux encore, s’est fait élire dans la Commission des droits de la femme pour la période entre 2018 et 2022. Quelle imposture ! Nous parlons du pays de la Mecque où des millions de musulmans vont faire leur pèlerinage sans que ces violences ne provoquent la moindre manifestation de leur part.
Daech enfin, mène une guerre totale au monde entier au nom de cette religion, avec de nombreux soutiens dans la plupart des pays du monde. Bien sûr, on dira qu’il faut hiérarchiser et faire la part des choses, mais cela fait beaucoup.
La religion par principe porteuse de paix, un leurre dangereux qui profite aux intégristes.
Soyons sérieux ! Il ne s’agit nullement d’amalgamer et de jeter l’opprobre sur qui que ce soit, mais de sortir de ce déni permanent de nos dirigeants et des grands médias qui entendent nous faire croire qu’une quelconque religion serait avant tout prédestinée à répandre la paix. En ces temps de crise des repères et des valeurs collectives, pour cause de crise économique et sociale, où le politique se cherche, on voudrait que la solution soit dans le retour du religieux pour encadrer les consciences, ce que l’on nous vend derrière cette vision angélique de l’islam.
Lorsque l’on défend le multiculturalisme comme solution à tout, on a tendance à faire des concessions et à fermer les yeux sur la réalité des communautés, à s’en faire l’avocat contre toute critique, en espérant, en retour, acheter la paix sociale. C’est un leurre, comme le révèlent les critiques allemandes et anglaises de ce système qu’ils pratiquent, qui cache plus encore, derrière le mur des communautés fermées, les risques et les dangers qui montent.
A défendre cette fable du lien automatique entre les religions et la paix, on donne les coudées franches à ceux qui, militants de l’islam politique et du communautarisme, surfent sur cette image unilatéralement positive, pour tranquillement répandre leur poison. Dire que l’islam n’est pas le monde des « Bisounours », c’est ni plus ni moins donner une chance à ceux qui, concitoyens musulmans en nombre, entendent que l’on respecte et fasse respecter leurs droits et libertés contre ceux qui font de la religion un instrument de rejet des valeurs de notre République. Il en va donc de la liberté de tous.
L’écho de ce qui nous questionne dans la Une de Charlie Hebdo est à rechercher dans les faits
Voilà à quoi la Une de Charlie Hebdo fait écho et nous alerte, en interrogeant cette affirmation selon laquelle l’islam serait une religion de paix. Car il y a danger, celui de se raconter des fadaises à propos des religions qui - l’histoire nous le rappelle, ancienne ou contemporaine - dès qu’elles se mettent à vouloir devenir politiques, amènent la guerre et ses dévastations, avec la pire d’entre-elle, la guerre civile.
Faut-il le rappeler ? Nous avons nous-mêmes dû, en France, faire face il y a quelques siècles, et ce n’est pas si loin, à huit guerres de religion s’étalant sur près de quarante ans, entre catholiques et protestants, avec des massacres d’une extrême violence. Alors, au vu de tout cela, Monsieur Le Foll, sachons raison garder, et gardons-nous d’écorner la liberté d’expression, et de dédouaner l’islam d’une réalité, pour le moins contrastée, sans l’examen de laquelle cette religion ne trouvera jamais sa place dans notre pays ou ailleurs, et la radicalisation avec ses dangers ne cessera d’occuper avec terreur, le devant de l’actualité."
Lire "Attentats en Espagne : une Une de Charlie Hebdo qui nous réveille !".
[1] « Attentats en Espagne : Charlie Hebdo accusé d’« amalgames » entre Daech et l’Islam », Le Parisien, 23 aout 2017.
[2] « Peine de mort en Arabie Saoudite », Wikipédia, Site Death Penalty Worldwide. https://fr.wikipedia.org/wiki/Peine_de_mort_en_Arabie_saoudite.
Lire aussi "En France, on a le droit de critiquer les religions" (J. Dion, marianne.net , 23 août 17) (note du CLR).
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