Tribune libre

La laïcité en Allemagne, Suisse et Autriche : un tour d’horizon (I. Ermen)

par Ilse Ermen. 1er février 2017

Les trois pays dits "germanophones" ont certains traits communs, dus à des moments d’histoire commune :

  • tous les trois sont des pays fédéraux, les lands (D, A) ou cantons (CH) [1] ont un poids particulier ainsi qu’une certaine autonomie même dans la législation,
  • en Suisse et en Allemagne, pays mères de la réformation, le protestantisme s’est imposé très tôt comme nouvelle religion contre le catholicisme. Longtemps, l’Allemagne et la Suisse étaient majoritairement protestantes, l’Autriche est toujours de majorité catholique,
  • tous les trois ont un système partiellement laïc : en principe, Etat et religion sont séparés, mais les églises sont co-financées par l’Etat. L’Etat perçoit la "taxe d’église", versée par les adhérents des cultes différents, il finance une partie des salariés ecclésiastiques ainsi que l’enseignement religieux dans les écoles, assuré par des théologiens des différents cultes.

Ceci pose une série problèmes évidents, car le système est en contradiction avec les constitutions respectives, déclarant la séparation de l’Etat et de la religion. Les églises forment des lobbys puissants, se réservant des droits particuliers. En outre, ce système sert de prétexte aux revendications des communautés islamiques désirant avoir accès aux mêmes privilèges.

Pour ne plus payer de taxe d’église, il faut "sortir de l’église" : on va dans un bureau se désinscrire comme on part d’une association. Puisque le protestantisme est devenu une pépinière du doute, il y a davantage de sorties protestantes au détriment des anciennes majorités. Les sorties catholiques se font remarquer de scandale en scandale : les excès financiers et l’enseignement réactionnaire du célèbre "bischof bling bling" Tebartz van Elst [2] à lui seul a coûté 50 000 ouailles de plus que d’habitude à l’Eglise catholique allemande, une histoire de pornographie ecclésiastique en 2004 a doublé les sorties catholiques autrichiennes de cette année. En général, il y a en moyenne 400 000 sorties annuelles en Allemagne, 60 000 en Autriche. Ceci ne reflète pas forcément l’agnosticisme ou l’athéisme : de nombreux chrétiens sortent par désaccord avec l’Eglise, tandis que les indifférents ont juste la paresse d’accomplir l’acte administratif. Car la taxe ne s’ajoute pas aux impôts généraux, mais compensée avec ces derniers : on paie autant d’impôts étant membre de l’Eglise ou non. Sinon, il n’y aurait plus de membres. Le pourcentage des non confessionnels est de 36 % en Allemagne, 12 % en Autriche, 22 % en Suisse [3].

Les institutions religieuses exigent de leurs employés (assistantes sociales, infirmières, jusqu’aux jardiniers) au moins l’appartenance à un culte quelconque (la Caritas catholique ne pourrait travailler sans employées musulmanes), pourtant ces employés sont salariés par l’Etat. Ceci est une violation nette du code de travail et fut la raison de plusieurs procès contre les églises en Allemagne. Qu’une partie des licenciements pour cause confessionnelle a été reconnue comme légitime prouve le pouvoir des lobbys religieux. En revanche, on peut constater un changement lent : il y a de plus en plus de procès gagnants et les syndicats s’y intéressent d’avantage.

Puis, il y a des cours d’instruction religieuse dans les écoles, fournis par les clercs des religions respectives. Dans maintes institutions et conseils, les églises ont des sièges (conseil des médias, par ex., où les non confessionnels viennent de décrocher un siège), leur influence est beaucoup trop grande par rapport au nombre de leurs affiliés.

Vu ces conditions, il est évident que la lutte pour la laïcité cible avant tout les institutions autochtones : les non confessionnels réclament leurs droits, les contribuables leur argent détourné. Les revendications les plus importantes sont donc l’abolition de la "taxe d’église", la fin du co-financement étatique, la liberté religieuse des employés des institutions ecclésiastiques et le remplacement de l’enseignement religieux par des cours d’éthique et d’humanisme.

Les organisations militantes pour la laïcité sont avant tout la Giordano Bruno Stiftung (GBS : fondation Giordano Bruno, www.gbs.de, site en anglais) et le "Conseil central des ex-musulmans" (http://www.exmuslime.com) en Allemagne, les Libres Penseurs en Suisse (http://www.librepensee.ch/fr/) et en Autriche (http://www.freidenker.at). Des actions communes sont fréquentes. A noter : "Forum Musulman" et les très récents "Musulmans séculaires", ayant publiés une "Déclaration de Fribourg" de 2016 commune pour les trois pays ( http://saekulare-muslime.org ), se prononcent explicitement pour la laïcité.

Les organismes islamiques réclament les mêmes droits que les églises : financement par les fidèles et l’Etat, instruction religieuse dans les écoles, représentation dans le conseil des médias etc. Certains y voient un risque d’infiltration islamiste.

Surgissent des problèmes inattendus. Quoi qu’on en pense, les Eglises se sont réformées au cours des siècles, elles restent dans la plupart des cas dans le cadre constitutionnel et respectent un grand nombre des droits de l’homme. Même quand on parle du rôle de la femme comme mère et centre du foyer, personne ne songe à priver les femmes de leur droits de citoyennes, ce qui est le cas dans tout les Etats à majorité musulmane où les femmes sont sujets inférieurs, sous tutelle de leurs membres de famille masculins, n’ayant pas le même droit de divorce, mariage, contrat, polygamie et héritage. Les protestants acceptent l’ordination de femmes et des personnes ouvertement homosexuelles, le mariage homo se fait à l’église dans certaines communes.

Les idées des réactionnaires chrétiens ont à quelques exception près atteint le niveau des XIX-XXe siècles et largement dépassé celui du Moyen-Âge. A contrario, on est confronté à une religion qui s’est arrêtée il y a 1000 ans sans trop de réformes, un fait que la plupart des chrétiens et pas mal de laïcs ont du mal à comprendre : ce qui va de soi pour la majorité des fidèles chrétiens ne va pas de soi pour la majorité des musulmans, surtout hors d’Europe. Même une partie des militants laïques ne saisit pas la différence entre les 30 € de frais administratifs pour la sortie de l’Eglise et la peine de mort pour apostasie en islam, dont la mise en application en "terre de mécréants" est promulguée par de nombreuses fatwas. L’islam traditionnel et majoritaire (au niveau mondial) exige la soumission inconditionnée de la femme, considère l’homosexualité non seulement comme perverse, mais préconise des punitions sévères jusqu’à la peine de mort, ne tolère guère l’apostasie, enseigne le créationnisme et conteste l’Evolution [4], prêche la supériorité des musulmans et maintes autres idées médiévales, s’oppose ouvertement aux constitutions des Etats européens modernes. Quand on inspecte le site du ZMD (Conseil central des musulmans en Allemagne), qu’on peut considérer comme conservateur modéré et non wahhabite, on constate qu’il n’y aucune prise de position claire pour les droits de l’homme (et surtout pas pour ceux de la femme) ni pour la Constitution, on n’y trouve que de la phraséologie sophiste. Cette organisation est citée dans tout les médias ("L’islam est une religion de la paix") et se veut porte-parole de tout les musulmans d’Allemagne quoiqu’elle n’en représente que 15 %. Elle s’engage dans des liaison dangereuses avec les tiers-mondistes et antiracistes. On a failli attribuer au DITIB, organisation financée par l’AKP et encore plus réactionnaire que le ZMD, le statut d’association religieuse, le putsch d’Erdogan y a mis fin.

Deuxièmement, il n’y a pas de personnel religieux formé pour un enseignement religieux à venir. Il est un fait connu que chaque vendeur de fruits et légumes peut se faire imam, mais un vendeur de fruits et légumes ne peut devenir prof de lycée en Teutonie. En Allemagne, on a créé une "théologie islamique" universitaire pour y remédier. Il paraît que l’enseignement ressemble plutôt aux "Mille et une nuits" qu’à une théologie critique : les connaissances d’arabe ainsi que des sources islamiques, de l’appareil critique et de l’histoire islamique laissent à désirer. La critique du texte, un des éléments de base des théologies juive et chrétienne, est souvent absente, on déroule un pot-pourri des plus beaux passages du Coran et du Hadith, on prêche que "l’islam est une religion de la paix". Le port du voile est de mise dans ces séminaires surtout féminins. On dirait que cette théologie sert d’abord à préparer les jeunes filles à leur futur rôle de mère et épouse musulmane.

La lutte contre les privilèges des institutions religieuses est donc urgente, la laïcité étant le meilleur moyen de combat contre toute revendication religieuse.

Sur le port de signes religieux, les pays, lands et cantons sont divisés : dans la courte majorité des lands allemands, ils sont interdits dans le service public ; la Bavière a interdit le foulard, mais a laissé les crucifix. En Autriche, le voile est permis. En Suisse, la permission varie de canton en canton [5].

La Suisse a récemment interdit le voile intégral par décret constitutionnel (2016). En 2009, la construction de minarets a été interdit par vote populaire (référendum) bien avant la vague d’attentats Daech en Europe. Une interdiction du foulard islamique passerait au référendum sans problème. Les référendums suisses mettent en évidence les écarts entre discours médiatisé et opinion publique. En Allemagne, ce serait la même chose s’il y avait des référendums (51 % préconisent une interdiction du voile dans le service public, selon le magazine Focus).

Concernant les médias et les faiseurs d’opinion, le discours est plus ou moins le même qu’en France : excusisme, communautarisme et relativisme culturel soutenus et propagés par des tiers-mondistes et une certaine gauche ainsi que les écologistes (une force majeure en teutonophonie) et les Eglises. En pays protestant, l’impact des églises se fait sentir plus dans la gauche et dans les associations des droits de l’homme que dans la droite, on peut parler de "chrétienno-gauche". Ils sont souvent pro homo, pro réfugiés mais pro liberté religieuse et pour le port du voile. Excusisme par rapport aux sociétés parallèles, négationnisme de violences commises par des immigrés ou réfugiés ("C’est la faute du pays d’accueil"), inquisition par rapport aux critiques de l’islam : diffamations et psychologismes. La nuit de Cologne a eu, pourtant, un effet réveil, ainsi que l’attentat de Berlin. Les procès staliniens très populaires en France actuellement ne sont pas encore à la mode.

Pour les médias, même combat qu’en France : ce sont plutôt les journaux de droite et du centre qui critiquent l’islam : FAZ, Welt, NZZ (suisse, décidément laïque) ou alors dans de nombreux blogs ; omertà et islamophilie honteuse dans l’islamo-chrétienno-gauche : Süddeutsche Zeitung, Taz, Woz (CH), Die Zeit. Le Spiegel ne sait pas où il en est ; il n’y a que le Tagesspiegel berlinois parmi les dit "de gauche" qui informe de manière différenciée.

Comme partout ailleurs, parmi les voix les plus critiques face au danger islamico-islamiste, pour qui ni la laïcité ni les droits de l’homme ne sont des privilèges d’ex-chrétiens, se trouvent un bon nombre de personnalités d’origine orientale. Les premières lanceuses d’alertes en Allemagne, la sociologue Necla Kelek et l’avocate Seyran Ateş, eurent droit à des persécutions et diffamations pour leurs publications sur les communautés turques (mariages forcés, meurtres d’honneur), attaques comparables à l’inquisition lancé contre Kamel Daoud. Et le politologue émérite Bassam Tibi qui défend un islam reformé européen et critique sévèrement l’islamogauche, l’historien d’origine égyptienne Hamed Abdel-Samad, auteur du fameux Fascisme islamique dont la traduction n’a pu paraître en France [6], le psychologue Ahmed Mansour (ces derniers apparaissent souvent dans les talk-show) et enfin la très courageuse et intrépide Mina Ahadi, exilée iranienne et présidente du Conseil central des ex-musulmans. D’autres sont le sociologue marxiste Hartmut Krauss, auteur d’une étude comparative de national-socialisme et intégrisme, le journaliste Siegfried Kohlhammer (plus par la qualité que par la quantité), l’essayiste Ralph Giordano († 2014), victime du national-socialisme, qui s’est fait traiter de nazi pour ses critiques courageuses, et enfin l’islamologue Tilman Nagel, meilleur connaisseur de la littérature islamique et son critique le plus acerbe. Nagel livre de formidables argumentaires contre les prétentions islamiques et des mythes répandus, il met en évidence les contradictions entre textes canoniques islamiques et les droits de l’homme, les constitutions démocratiques, la notion de l’individu. Le recueil d’essais Angst vor Allah ? ("Peur d’Allah ?") mérite la traduction dans d’autres langues.

Bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive.

Ilse Ermen

[1D : Allemagne, A : Autriche, CH : Suisse.

[2"Surnommé « l’évêque de luxe » ou encore « Mgr Bling Bling » par la presse, Mgr Tebartz-van Elst a la réputation d’avoir un style de vie somptueux" (Wikipédia) (note du CLR).

[4Selon une enquête de l’institut FOWID parmi les candidats au titre de prof de lycée, de foi musulmane, turcs et allemands, 75% des premiers et 59 % des derniers contestent l’évolution.


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