5 août 2016
"Les éditions Piranha devaient publier la traduction du best-seller d’Hamed Abdel-Samad le 16 septembre. Avant de faire marche arrière.
Un best-seller allemand sur l’islam pourrait-il ne pas être publié dans la patrie de Voltaire ? Les éditions Piranha avaient annoncé la traduction du Fascisme islamique qui devait paraître le 16 septembre prochain. Une « analyse » du Germano-Égyptien Hamed Abdel-Samad qui dresse des parallèles entre l’idéologie fasciste et l’islamisme, des Frères musulmans (apparus dans les années 1920) en remontant jusqu’aux racines du Coran. L’auteur, fils d’imam et ancien membre des Frères musulmans, est devenu un critique de l’islam très médiatisé outre-Rhin, ce qui lui a valu de vivre sous protection policière à la suite de fatwas pour hérésie et de menaces de morts de la part des djihadistes.
Mais fin juillet, la petite maison d’édition française (spécialisée dans les traductions de l’allemand, mais aussi dans des documents remarquables comme l’enquête du journaliste Lawrence Wright sur la scientologie) fait brusquement marche arrière, annonçant à l’auteur qu’elle ne mesure pas les risques en matière de sécurité, mais aussi qu’elle ne souhaite pas « apporter de l’eau au moulin » de l’extrême droite. La décision a provoqué un tollé dans la presse germanique, qui a rappelé que l’essai a été publié en Allemagne par un grand éditeur (Droemer Knaur) et qu’une traduction anglaise a pu paraître sans problème aux États-Unis début janvier.
Au Point, Jean-Marc Loubet, patron de Piranha, confie avoir acquis les droits de l’ouvrage il y a deux ans, mais que le contexte « a depuis changé avec la multiplication des attentats ». « À l’époque, ça nous paraissait être un livre iconoclaste qui pouvait faire débat, même si on ne partageait pas forcément ses thèses et qu’il pouvait prêter à des raccourcis historiques sur l’islam. Mais, après Nice, j’ai vu monter les polémiques politiciennes et une parole de haine des musulmans. Ça a libéré des choses... » L’éditeur, qui a reçu le soutien « à l’unanimité » de sa petite équipe, se défend de toute autocensure, expliquant que le livre existe en allemand et en anglais. « Je suis désolé pour l’auteur, mais son livre devrait rapidement trouver un nouvel éditeur en France. »
Hamed Abdel-Samad comprend l’argument sécuritaire. « C’est plus facile de cibler une petite maison d’édition qui n’a pas les moyens de s’assurer une protection à sa porte », nous explique-t-il. « Si Jean-Marc Loubet avait fini son mail là-dessus, j’aurais dit OK et accepté sans problème ce retrait. Je vis sous protection policière, j’ai reçu des menaces de mort, et je ne peux pas demander aux autres de prendre le même risque. Moi, je prends ce risque, car je crois intimement qu’être effrayé face à des menaces n’arrangera pas les choses. Au contraire, plus nous serons silencieux et plus nous aurons peur, plus les islamistes seront brutaux, car ils ne fonctionnent que selon cette logique : tuer et effrayer. C’est la stratégie du terrorisme. Mais j’aurais compris la décision de Jean-Marc Loubet, car c’est une affaire de vie ou de mort. »
En revanche, l’auteur est furieux contre la deuxième justification avancée par Piranha. « Jean-Marc a écrit qu’il ne voulait pas apporter de l’eau au moulin de l’extrême droite. Ça, c’est l’argument typique d’un chantage moral auquel je suis sans cesse confronté. Je suis un penseur libre, qui n’appelle pas à la violence, qui ne stigmatise pas les musulmans – au contraire, je les défends comme êtres humains –, mais qui s’en prend à une idéologie que j’estime violente. J’ai le droit, en Allemagne, plus de 200 ans après Kant et 230 ans après Voltaire, de publier ces pensées sans devoir avoir peur et être terrifié. C’est pour ça que je suis tellement en colère. Je trouve ça très dangereux comme façon de penser, notamment venant d’un éditeur qui, plus qu’aucune autre profession, devrait être le garant des débats de qualité et de la liberté d’expression. »
Dans un éditorial au vitriol intitulé « Déjà perdu », l’hebdomadaire de référence Der Spiegel s’est indigné de cette volte-face de Piranha. « Ce livre a été controversé en Allemagne, et on reproche régulièrement à Abdel-Samad d’être islamophobe. Il est possible que cela soit vrai. Mais il est aussi possible que cela ne change en rien la pertinence de certaines de ses thèses. On peut débattre là-dessus. C’est pourquoi de tels livres existent. Mais il faut vouloir ce débat. Le Fascisme islamique. Une analyse apporte de l’eau au moulin de l’extrême droite peut-on lire dans le mail de Loubet envoyé à Abdel-Samad. C’est un peu comme si on se prononçait pour la reconduite à la frontière des migrants pour que les nazis soient privés d’arguments. Qui s’exprime ainsi a déjà perdu – contre l’islamisme comme contre l’extrême droite. »"
Lire "Pourquoi "Le Fascisme islamique" ne paraîtra pas à la rentrée".
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