Revue de presse

"L’islamisme à bas bruit : les habits neufs des djihadistes" (Charlie Hebdo, 5 jan. 22)

8 janvier 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Hugo Micheron, Le Djihadisme français, quartiers, Syrie, prisons, Gallimard, 2019, 416 p. 22 e.

Anne-Clémentine Larroque, Le Trou identitaire. Sur la mémoire refoulée des mercenaires de l’Islam, PUF, 2021, 192 p., 19 e.

"L’échec de Daech serait dû à une mauvaise stratégie, une violence prématurée, un projet pas assez fédérateur pour l’ensemble des musulmans ! Ces propos glaçants, ce sont les djihadistes aujourd’hui détenus dans les prisons françaises qui les tiennent. Ils ne regrettent aucunement leur projet de califat, seulement le fait d’avoir été trop vite en besogne.

Laure Daussy

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[...] Pour ces djihadistes, l’incarcération est l’occasion de repenser leur stratégie. Certains, une dizaine, se présentent comme « doctrinaires » de l’ère post-Daech, ils élaborent derrière les barreaux ce que pourrait être le djihad français de demain. Ils délaissent les attentats terroristes, pour miser sur une influence à bas bruit, discrète, une conquête des esprits, via l’islamisme.

Pour eux, l’échec de l’État islamique (EI) n’est pas l’échec d’une utopie, mais d’une stratégie. Ainsi, Youssef, 28 ans – ­incarcéré dans le quartier ultrasécurisé de la prison de Lille-Annoeullin –, qui incarne, selon Micheron, « la figure des théoriciens de l’avenir », explique au chercheur : « L’absence de soutien de l’EI, ça a été causé par la violence, les attentats, les décapitations, ça n’a pas marché. » Il ajoute : « Pour moi, le 13 Novembre, c’est de la précipitation. Les commandos ont été envoyés par des ahmaq, des idiots. C’était pas ce qu’il fallait faire. » Les attentats ne sont donc plus une priorité pour eux. Ils seraient… contre-productifs. Abdel, interrogé aussi par Micheron, estime que « les erreurs ont été nombreuses avec Dawla [Daech], mais les frères apprennent vite de leurs erreurs. […] Dawla est un ­proto-État islamique. […] Au final, c’était un test, la version bêta. »

Ces djihadistes expliquent que leur combat doit présenter deux étapes : d’abord idéologique, avant d’être un affrontement armé. Ils se fondent sur des catégories coraniques utilisées dans les années 1960 par les frères Qotb, idéologues des Frères musulmans radicalisés. La première période correspond à celle dite « mecquoise », une lutte idéologique, et la seconde, la période « médinoise », est celle de l’affrontement généralisé. Ils font une sorte de mea culpa en estimant qu’ils se sont crus trop tôt dans la phase armée. « Le djihad, ce n’est pas la finalité. C’est un moyen. Ça veut dire que quand on peut arriver à cette fin [la destruction de l’Occident], sans le djihad, il le faut », précise ainsi Youssef.

« J’ai plus de sympathie pour un Blanc catholique aux yeux bleus qui vote FN que pour une Arabe de gauche. »

Leur stratégie consiste surtout à convaincre la population musulmane. « L’échec de Daech, ce n’est pas le contenu du projet, c’est qu’il n’a pas rassemblé. Si tu n’as pas 10 % de musulmans qui te soutiennent, l’État islamique est condamné », dit Youssef. Lassana, un djihadiste de 30 ans, reproche ainsi à Daech d’avoir ciblé en majorité des musulmans en s’attaquant au Stade de France. « La population qui va au Stade de France, c’est 80 % de muslims. […] tu peux pas faire ça  ! » Leur objectif revendiqué est de détourner lentement mais sûrement les musulmans français d’une adhésion à la République. « En France, les musul­mans, ils ont une mentalité différente de certains autres pays européens, les muslims français, ils sont trop attachés à leur pays, et c’est un problème », déplore un certain Mohamed, toujours interrogé par Micheron. Intéressant aussi de constater que ces djihadistes veulent combattre « le modèle social français du vivre-ensemble ». D’ailleurs, sans surprise, ils s’en prennent aux musulmans qui ne pensent pas comme ils le voudraient. Mohamed déclare ainsi : « J’ai plus de sympathie pour un Blanc catholique aux yeux bleus qui vote FN que pour une Arabe de gauche. » Militants de Zemmour et de Marine, sachez que vous êtes appréciés des djihadistes.

C’est donc une guerre idéologique qui s’engage, une stratégie à long terme. Ils évoquent notamment l’école, avec des établissements privés musulmans hors contrat et l’enseignement à domicile. Micheron cite Hicham, un autre djihadiste : « Mohamed Qotb, il est dans une logique d’éducation. […] Il est favorable à l’éducation religieuse, notamment des femmes. Il considère que c’est un long combat. Et quand on voit l’Égypte dans laquelle vivait Qotb il y a cinquante ans et celle de maintenant, on peut dire que ça a bien fonctionné. Eh bien, c’est la même chose pour l’Europe », dit-il. Lassana, membre de la filière dite des Buttes-Chaumont, prévient : « On est la génération sacrifiée, mais celle de nos enfants, on est en train de l’éduquer pour que quand ils auront nos âges, le rapport de force à l’État leur soit favorable, qu’ils soient tellement nombreux que l’État ne puisse même plus les mettre en prison. » Un autre se réjouit de la multiplication des voiles chez les jeunes générations : « Dans les quartiers, tu as la mère en boubou et la fille en niqab. Quand tu vois ça, tu te dis qu’il se passe un truc de ouf. » Youssef affirme clairement une stratégie d’entrisme au cœur des institutions républicaines. « Y en a [des djihadistes] maintenant qui jouent avec des juristes qui font des études et qui deviendront avocats. » Youssef lui-même fut surveillant en milieu scolaire. Il parle de « réarmer idéologiquement » les croyants contre la France, de « changer la communauté musulmane de l’intérieur », par « l’habillement, la nourriture, l’éducation des jeunes ». Leur objectif, analyse Micheron, est d’abord de renforcer l’assise salafiste au sein de la société française, de créer une sorte d’« avant-garde djihadiste », pour ensuite passer à la djihadisation du salafisme.

N’en déplaise à certains idiots utiles, l’islamisme, en tant que projet politique et prosélyte, est donc bien une sorte d’anti­chambre du djihadisme. Des ponts existent entre les deux, comme le souligne également la chercheuse Anne-Clémentine Larroque, auteure du Trou identitaire. Sur la mémoire refoulée des mercenaires de l’Islam (éd. PUF). Elle détaille : « Des structures légales, comme l’association des Musulmans de France, l’association des tablighis, ou encore des librairies où l’on vend de la littérature salafiste, vont œuvrer pour qu’il y ait une culture islamiste au sein de la société. Le djihadisme est le passage à l’acte le plus violent, le mode opératoire le plus extrême que les gens retiennent, mais l’objectif des djihadistes est d’islamiser la société, et même de « l’islamistophiliser », rendre l’islamisme en quelque sorte séduisant  ! C’est un message idéologique qui correspond à une recherche identitaire. » L’exemple le plus flagrant de l’imbrication entre islamisme et djihadisme, c’est ce qui s’est passé avec Samuel Paty, rappelle-t-elle. « On peut en effet constater l’intrication de plusieurs entrepreneurs communautaristes et islamistes, a priori ne se connaissant pas au préalable. Cette dynamique a créé les conditions propices à l’assassinat de ce professeur d’histoire-géo sur notre territoire national, à 17 heures, en pleine rue. »"

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