par Gérard Durand. 30 avril 2021
[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Gilles Kepel, Le prophète et la pandémie, éd. Gallimard, janvier 2021, 336 p., 20 €.
L’an 2020, marqué par la COVID 19 et l’effondrement du marché pétrolier, est celui de tous les bouleversements, depuis le Moyen-Orient jusqu’aux banlieues de l’Europe.
Le conflit israélo-palestinien se fragmente avec, d’un côté, les "accords d’Abraham" qui vont des Etats Unis à Abou Dhabi, au Maroc et au Soudan en passant par Israël en agrégeant l’Egypte et l’Arabie, et de l’autre côté un axe fréro-chiite qui rassemble Gaza, Qatar, Turquie et Iran, avec le soutien ponctuel de la Russie.
C’est dans ce chaudron que nous plonge l’auteur en nous donnant, dans un cahier central, les cartes nous permettant de suivre la géographie d’une situation qui évolue presque au jour le jour. Mais lui s’y retrouve et nous guide dans cette série de crises répartie sur trois niveaux. Celui des querelles ancestrales entre Chiites et Sunnites, Kurdes et leurs diverses branches (wahhabites, soufis) etc. Celui des puissances régionales Arabie, Iran, Turquie aux fortes ambitions dont chacune rêve d’avoir le leadership du monde musulman. Enfin celui des grandes puissances, assoiffées de pétrole et ne reculant pas devant une action militaire directe comme la France en Libye ou la Russie en Syrie.
Le lecteur va progressivement se familiariser avec ces situations complexes et aboutir avec l’auteur à cette nouvelle notion qu’est l’ "islamisme d’atmosphère", qui constate la difficulté pour l’Occident, ennemi commun à l’un et l’autre camp, de comprendre et encore plus de combattre une propagande massive et constante, sur les réseaux sociaux, dans les médias de masse ou des actes symboliques, comme la réislamisation de Sainte Sophie. Le but est de rassembler les musulmans en déclenchant de façon ponctuelle des attentats conduits par des individus isolés décidant de passer à l’acte. Entretenir la peur fait partie de la méthode, même si elle est moins spectaculaire. Pour une opinion occidentale attachée à la vie humaine, la suppression de quelques individus, ou même d’un seul, déclenche presque la même émotion qu’un massacre de groupes.
La France est particulièrement visée, notamment à cause de la laïcité, notion incompréhensible pour la plupart des musulmans, qui attribuent à l’islam un rôle civilisationnel, bien au-delà de la religion. Pourtant nos « élites » n’ont rien fait pour lui fournir les armes idéologiques permettant de comprendre et donc d’agir efficacement contre ce « french bashing » permanent. L’indigence des études islamiques, voire le mépris des arabisants, ne lui permettent pas de s’exprimer en arabe, l’inculture de la haute administration est totale. Le terme « islamiste », par exemple, par lequel nous désignons l’islam politique et les Frères musulmans, n’a pas d’équivalent en arabe, et celui de séparatisme ne peut se traduire que par des approximations souvent confuses. Résultat, le séparatisme islamiste dont a parlé Macron dans son discours des Mureaux a été perçu comme une attaque contre les musulmans dans leur ensemble.
Pourtant le problème est bien l’islamisme. Et c’est là que doit porter le combat, sans se laisser distraire, comme la presse le fait souvent, par des problèmes annexes comme le burkini ou les "mamans" voilées lors des sorties scolaires. Mais il faut dans ce combat éviter les provocations inutiles. Si Charlie Hebdo doit être soutenu au nom de la liberté d’expression on est en droit de se demander si la republication de desseins obscènes et dégradants était bien nécessaire. Pour un athée comme Gilles Kepel, la réponse est non. Pour moi aussi.
L’histoire n’est pas finie et ce livre a sa place dans votre bibliothèque.
Gérard Durand
Comité Laïcité République
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