(La Croix, 4 nov. 24) 26 novembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Quatre ans après la mort de Samuel Paty, l’école face à la radicalisation islamiste".
Analyse Comment les établissements scolaires gèrent-ils certains signes de radicalisation chez des élèves ou des parents ? Alors que s’ouvre ce lundi 4 novembre le procès de l’attentat contre Samuel Paty, la question reste plus que jamais d’actualité, car les mineurs impliqués dans des projets terroristes sont de plus en plus nombreux.
Pierre Bienvault
L’État a-t-il failli en ne protégeant pas Samuel Paty ? Les ministères de l’intérieur et de l’éducation nationale ont-ils sous-évalué la menace qui pesait sur l’enseignant poignardé puis décapité le 16 octobre 2020 près du collège où il enseignait, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) ? Ces questions vont forcément planer sur le procès qui s’ouvre lundi 4 novembre devant la cour d’assises spéciale de Paris. Même si les cinq magistrats n’auront pas pour mission de répondre à ces interrogations qui, quatre ans après, continuent de tarauder une partie de la famille de Samuel Paty. Le rôle de la cour sera de juger huit personnes soupçonnées, à des degrés divers, d’avoir joué un rôle dans l’assassinat du professeur d’histoire-géographie par un jeune homme de 18 ans, russe d’origine tchétchène, tué par la police quelques minutes après son passage à l’acte.
Mais la justice va quand même se prononcer sur d’éventuels manquements de l’administration. En avril 2022, dix membres de la famille Paty ont porté plainte contre X pour « non-empêchement de crime et non-assistance à personne en péril ». « Une instruction est en cours. Cette famille veut savoir ce qui aurait pu être fait pour éviter ce qui s’est passé. Peut-être aurait-il fallu protéger Samuel Paty ou, au minimum, le changer d’établissement durant quelques semaines », estime leur avocate, Me Virginie Le Roy.
« La principale a lancé toutes les alertes qu’elle pouvait lancer »
En auditionnant la principale du collège ainsi que plusieurs enseignants, la cour d’assises va se faire une idée de la manière dont l’institution a réagi face à l’emballement ayant suivi la présentation par le professeur, les 5 et 6 octobre 2020, à deux classes de quatrième, de caricatures du prophète Mohammed publiées dans Charlie Hebdo. Face aux vidéos très virulentes diffusées contre lui sur les réseaux sociaux, la principale n’est pas restée inerte. Dès le 8 octobre, elle a alerté le rectorat avant de prévenir le lendemain le maire qui, dans la foulée, a fait remonter l’information au renseignement territorial.
Le 13 octobre, la principale s’est aussi rendue au commissariat pour déposer plainte avec Samuel Paty qui, trois jours plus tard, a été tué par ce jeune djihadiste venu d’Évreux (Eure) et extérieur au collège. La réalité de la menace a en fait été sous-estimée par le renseignement territorial qui, dans une note du 12 octobre au préfet, estimait que la communication entre la direction du collège et les familles avait « permis d’apaiser les tensions ».
« Dans cette affaire, la principale a lancé toutes les alertes qu’elle pouvait lancer », estime Carole Zerbib, membre du Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN), qui ne cache pas le traumatisme qu’a constitué la mort de Samuel Paty. « On s’est rendu compte que les enseignants pouvaient être des cibles au même titre que les policiers ou les militaires. Ce qu’a confirmé en 2023 la mort de Dominique Bernard », indique Carole Zerbib.
Comment l’école gère-t-elle désormais les problèmes de radicalisation ? Quatre ans après la mort de Samuel Paty, la question est d’une particulière acuité. Aujourd’hui, en effet, la menace terroriste émane en bonne partie d’individus présents sur le territoire qui, de l’avis des services de renseignements, sont de plus en plus jeunes.
En 2023, 15 mineurs ont été mis en examen pour des faits de terrorisme. En 2024, on en est à 16. Alors que les années précédentes, seuls deux ou trois mineurs étaient mis en cause. « Face à ces jeunes qui se radicalisent de plus en plus tôt, l’école a un rôle à jouer de prévention et de détection, car elle peut être confrontée à l’émergence de propos ou de comportements pouvant alerter », indique Séraphin Alava, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Toulouse et membre de la chaire de l’Unesco sur la prévention de la radicalisation.
« Pour certains professeurs, c’est un crève-cœur de faire un signalement »
Pour aider le personnel éducatif à repérer des signes de radicalisation, une fiche pratique a été diffusée en 2018 dans les établissements. « Le problème est qu’il n’est pas toujours facile de faire la distinction entre un comportement réellement problématique et une attitude qui relève de la simple défiance à l’autorité ou un mal-être qu’on voit souvent à l’adolescence », indique Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat Snes-FSU.
« C’est la raison pour laquelle il est très important qu’un enseignant, ayant des doutes, croise ses informations avec tous les autres membres de l’équipe éducative », ajoute Carole Zerbib. « Pour certains professeurs, c’est un crève-cœur de faire un signalement. Ils se disent que leur rôle premier est d’éduquer et que les gamins signalés vont garder à vie l’étiquette de “radicalisé”, explique Séraphin Alava. À ces enseignants, je dis que signaler, ce n’est pas condamner. Au contraire, cela peut aider un ou une jeune à la dérive. »
Quand un chef d’établissement fait un signalement au rectorat, l’information est transmise, comme cela a été le cas pour Samuel Paty, au renseignement territorial (RT), qui va faire une enquête de proximité. « On va rassembler tous les éléments disponibles sur le jeune et sa famille. On va regarder si celle-ci a, par exemple, une pratique religieuse fondamentaliste. On va regarder ce que le jeune a pu diffuser sur les réseaux sociaux », explique Alain Pissard, référent national sur le RT pour le syndicat Un1té.
Dans un grand nombre de cas, les policiers vont constater que les jeunes visés par l’enquête ne présentent pas de dangerosité et ont juste agi par une sorte de « bêtise adolescente anti-profs », souligne Alain Pissard. « On voit encore aujourd’hui certains jeunes menacer un enseignant en disant : “Je vais te faire une Samuel Paty”. Dans bien des cas, il s’agit juste de gamins qui sont dans une défiance immature et qui savent qu’en faisant cette référence terrible, ils risquent de faire peur à leur prof », explique le policier.
En 2024, un projet d’attentat déjoué après un signalement de l’éducation nationale
Mais ce travail d’évaluation peut aussi révéler une situation problématique ou un début de radicalisation chez l’élève. Dans ce cas, celui-ci sera orienté vers la cellule départementale de suivi pour la prévention de la radicalisation et l’accompagnement des familles (CPRAF). « Toutes les semaines ou tous les quinze jours, dans tous les départements, le RT a une réunion avec les autres services de renseignements. Tous les cas sont présentés et évalués. Et si la situation d’un jeune apparaît vraiment problématique, la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure, NDLR) peut se saisir du dossier et mener des enquêtes judiciaires avec davantage de moyens », indique Alain Pissard.
L’an passé, trois adolescents, l’un âgé de 15 ans et les deux autres de 16 ans, vivant en Touraine, ont été mis en examen pour un projet d’attentat contre l’ambassade d’Israël à Bruxelles. Selon une note de la DGSI, révélée par Le Parisien, deux de ces jeunes s’étaient fait remarquer par un comportement prosélyte inquiétant dans leur collège. Ce qui avait entraîné un signalement de l’éducation nationale.
Editorial
Première ligne
Anne Ponce, directrice de la rédaction de La Croix.
Lundi 4 novembre s’ouvre à la cour d’assises spéciale de Paris le procès de huit personnes soupçonnées d’avoir joué un rôle dans l’assassinat de Samuel Paty. Le souvenir du professeur d’histoire-géographie, tué par un jeune homme de 18 ans, reste vif. Dans tout le pays. Et tout particulièrement dans le monde scolaire et le milieu enseignant.
La prise de conscience que les professeurs pouvaient être des cibles des terroristes, à l’instar des représentants des forces de l’ordre, a créé un traumatisme profond. Et si la mémoire de Samuel Paty – tout comme celle de Dominique Bernard – reste présente, c’est que l’actualité avive la blessure. La question de la radicalisation islamiste reste en effet malheureusement présente en milieu scolaire.
Face à elle, les établissements ont pris la mesure du danger, les procédures de signalement se sont affinées, les liens avec les forces de l’ordre ont été renforcés. Il n’empêche, ce qui se passe dans l’enceinte d’une classe ou dans le bureau d’un CPE fait reposer une lourde charge sur les épaules des professeurs et des éducateurs.
Nous savons que nous n’honorons pas assez ces professionnels à qui sont confiés l’instruction et l’avenir de nos enfants. Mais nous avons peut-être moins conscience encore du rôle de prévention qu’ils remplissent pour faire barrage à l’obscurantisme et au radicalisme. Une tâche qu’ils n’avaient pas forcément anticipée au moment de choisir leur profession.
Mais un rôle qui découle du cœur de leur métier : transmettre des savoirs, partager une culture, cultiver l’esprit critique, éduquer à la citoyenneté. Sur toutes ces missions confiées par la nation, enseignants et acteurs de l’école sont en première ligne. Ils ne doivent pas être seuls, éducation et prévention sont l’affaire de tous.
Voir aussi dans la Revue de presse « Ce n’est pas normal d’avoir peur d’enseigner » (La Croix, la-croix.com, 4 nov. 24) dans Profs menacés, les dossiers Les profs d’histoire en première ligne dans Ecole : Histoire dans Ecole : programmes, Atteintes à la laïcité à l’école publique, dans la rubrique Ecole (note de la rédaction CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales