Revue de presse

« Ce n’est pas normal d’avoir peur d’enseigner » (La Croix, la-croix.com, 4 nov. 24)

(La Croix, 4 nov. 24). Stéphane (1), Professeur d’histoire en région parisienne 26 novembre 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "« T’es mort comme Samuel Paty » : le témoignage d’un professeur victime de menaces".

Récit Alors que le procès de l’attentat contre Samuel Paty s’ouvre ce lundi 4 novembre, La Croix a recueilli le témoignage d’un professeur d’histoire-géographie qui, fin 2023, a été contraint de quitter son lycée et placé sous protection policière après avoir reçu des menaces de mort.

Pierre Bienvault

Stéphane (1), Professeur d’histoire en région parisienne

C’était en octobre 2023, juste avant les vacances de la Toussaint. Professeur d’histoire-géographie de 32 ans dans un lycée de la région parisienne, Stéphane (1) fait alors un cours à une classe de première, prévu dans le programme, sur la deuxième guerre de Tchétchénie au début des années 2000. « J’ai parlé de cette guerre en Tchétchénie en disant que parmi ceux qui se battaient contre les Russes et pour l’indépendance de leur pays, il y avait aussi des islamistes qui étaient motivés par des raisons religieuses », explique l’enseignant en ajoutant avoir dit à ses élèves que certains pays, dont la France, ont alors pu faire preuve d’une certaine naïveté face au « terrorisme islamiste » dans les années suivantes.

Puis il évoque rapidement un événement qui, comme beaucoup d’enseignants, l’a « terriblement secoué » : la mort quelques jours plus tôt de Dominique Bernard, professeur de français, tué à Arras par un jeune homme d’origine ingouche ayant revendiqué son passage à l’acte au nom de l’organisation État islamique.

« T’es more (sic) comme Samuel Paty »
« Sur les 25 élèves de la classe, quatre ou cinq ont réagi. Une élève s’est levée en disant qu’il n’était pas possible de dire que ce qui venait de se passer à Arras était un attentat islamiste. Elle a ajouté qu’il y avait des vidéos sur TikTok disant le contraire. Elle était très virulente avec un manque de respect à mon encontre. Je l’ai donc exclue du cours. Puis d’autres élèves ont poursuivi en parlant de ce que faisait Israël à Gaza en riposte à l’attaque du 7 octobre par le Hamas. Ils disaient que “des fous et des morts, il y en a partout”. J’ai répondu que ce n’était pas le moment d’aborder le sujet du conflit israélo-palestinien. Une élève a alors dit qu’“il faudrait que le Hamas se débarrasse de tous les Juifs… ” Face à ces propos inacceptables, je l’ai exclue elle aussi. »

Après les vacances, Stéphane retrouve sa classe. La première élève exclue est présente. « Elle avait retiré ses propos en affirmant que derrière le terme islamiste, elle avait ressenti une attaque contre l’islam et contre tous les musulmans », explique Stéphane. La deuxième élève, qui ne renie rien de ce qu’elle a dit, passe en conseil de discipline et est sanctionnée d’une exclusion assortie d’un sursis. Puis rien ne se passe jusqu’à l’apparition, en décembre, d’un tag sur un mur du lycée. Le nom de famille de Stéphane y figure suivi de l’inscription « T’es more (sic) comme Samuel Paty, fdp (« fils de pute », NDLR) ».

« L’institution a réagi vite et avec efficacité »
Aussitôt la découverte du tag, dont le ou les auteurs ne seront jamais identifiés, le proviseur adjoint dit à Stéphane qu’il doit être extrait immédiatement de l’établissement pour sa sécurité. « Je pense que le rectorat avait tiré les leçons de ce que qui s’était passé avec Samuel Paty et qu’il était effectivement plus raisonnable que je cesse de venir au lycée, au moins temporairement. Je me suis donc retrouvé chez moi du jour au lendemain. Le commissaire de la ville où j’habite m’a appelé en me disant qu’une patrouille de la Bac (brigade anticriminalité) passerait tous les jours devant chez moi. C’est ce qui s’est passé. Tous les soirs, les policiers frappaient à ma porte pour voir si tout allait bien. J’ai eu le sentiment que l’institution avait réagi vite et avec efficacité concernant ma protection. Même si, sur le coup, j’étais choqué et révolté d’être ainsi assigné chez moi, sans pouvoir faire cours. Alors que j’avais juste fait mon métier d’enseignant. »

Après quelques négociations avec le rectorat, Stéphane a été affecté cette année dans un lycée d’une autre ville où il se sent bien. « On a convenu de refaire le point sur ma situation dans deux ans », confie l’enseignant qui a pu mesurer dans cette épreuve la difficulté de parler de certains sujets aujourd’hui, en classe. « En tant que professeur d’histoire-géographie, on se sent forcément exposé. La mort de Samuel Paty m’a beaucoup marqué, c’est évident. Quand cela est arrivé, c’était la deuxième année que j’étais en poste. Puis ensuite, il y a eu Dominique Bernard tué par ce jeune homme qui, d’après les témoignages, est ensuite entré dans le lycée à la recherche d’un prof d’histoire-géo… », constate Stéphane qui, bien qu’encore jeune dans la profession, mesure à quel point le regard sur les enseignants a changé. « J’ai l’impression que, pour certains élèves, nous ne sommes plus regardés comme des personnes qui sont là pour transmettre le savoir mais comme des représentants de l’État et d’une autorité qui doit être défiée. Une peu comme c’est le cas pour les policiers. »

Malgré ce qu’il a vécu, Stéphane dit qu’il n’a « pas peur » de se présenter chaque jour devant ses élèves. « Je sens bien que, peut-être, certains professeurs, consciemment ou inconsciemment, s’autocensurent. Ils évitent peut-être certains sujets. Il y a sans doute une crainte chez certains d’être accusés d’islamophobie ou de racisme par des élèves car c’est alors difficile de se défendre. Ce qui est sûr, c’est que cela n’est pas normal, aujourd’hui dans un pays comme la France, d’avoir peur d’enseigner. »

(1) Le prénom a été modifié.



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