Revue de presse

L. Bouvet : Le discours de la gauche consistant à nier les problèmes a implosé durant ce quinquennat (lefigaro.fr/vox , 27 oct. 16)

Laurent Bouvet, universitaire, auteur de "L’insécurité culturelle" (Fayard). 29 octobre 2016

"[...] Le livre choc Un président ne devrait pas dire ça révèle une profonde incohérence entre ce que François Hollande dit aux journalistes et ce qu’il dit aux Français, notamment à propos de l’immigration, de l’islam et de la laïcité. Cet écart de langage, voire ce déni, ne touche-t-il pas la gauche en général, victime d’un certain nombre de tabous ?

Ce qui apparaît sur ces sujets comme sur bien d’autres à travers ce livre, c’est le caractère totalement cynique du président de la République. Comme s’il n’avait absolument aucune conviction, aucune idée, sur rien, et que tout en politique n’était qu’affaire de tactique pour conquérir ou se maintenir au pouvoir. On voit d’ailleurs, au passage, où cela le mène en termes simplement d’efficacité. Il a certes conquis le pouvoir mais pour en faire quoi ? Cela confirme, si besoin en était, que la tactique pour la tactique conduit toujours à une impasse en politique.

Sur les sujets que vous évoquez, on a pu penser, pendant longtemps, que François Hollande ne s’y intéressait pas ou qu’il était très prudent compte tenu des clivages très aigus que cela suscite à gauche. Les deux hypothèses étaient plausibles. Que ce soit par économisme et indifférence ou inconscience au regard de tels enjeux ou par ce qu’il fallait ménager, pour rassembler la gauche, des positions très différentes. Il n’y a pas plus en effet de consensus au sein de la gauche, des élus sur le terrain, de l’électorat plus encore, sur les questions économiques que sur les questions liées à la laïcité et à la place de l’islam aujourd’hui dans la société française. Le discours tenu par les responsables nationaux des partis de gauche qui visait essentiellement à nier les problèmes pendant longtemps - et qui a permis au FN de progresser - a implosé durant ce quinquennat. On peut ainsi espérer que les clivages qui apparaissent désormais nettement au sein de la gauche entre républicains et communautaristes ou multiculturalistes normatifs, entre défenseurs de la laïcité et partisans de toutes sortes d’accommodements avec l’islam, entre tenants d’un commun et promoteurs du différentialisme seront les clivages structurants de la refondation attendue, à hauteur au moins de ceux renvoyant aux questions économiques et sociales.

C’est aussi l’art vanté à une époque de la « synthèse hollandaise » qui implose. Le Parti socialiste peut-il se remettre de ce quinquennat ?

La « synthèse hollandaise » était, bien avant le quinquennat, essentiellement un art de mettre sous le tapis les questions gênantes et les clivages réels à gauche afin de gagner une fois de plus des élections. Cela a créé une illusion que la victoire aux élections locales pendant les années 2000 puis nationales en 2012 de la gauche reposait sur un projet, un corpus idéologique construit et capable d’inspirer l’action publique. Il n’en a rien été comme chacun peut le constater désormais. On notera d’ailleurs que beaucoup de déçus aujourd’hui du hollandisme, y compris chez les « frondeurs », les écologistes, à la gauche de la gauche… y ont cru ou ont fait semblant d’y croire, espérant avec la conquête du pouvoir faire avancer leur propre agenda. C’est donc aussi leur échec.

Ainsi, la « synthèse hollandaise » a-t-elle conduit le PS à ignorer l’avertissement grandeur nature du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen en prétendant réunir les partisans du « oui » et ceux du « non », et leur faire accepter celui de Lisbonne reprenant l’essentiel du TCE. Et chacun a participé à cette tartufferie en espérant que ce ne serait bientôt qu’un mauvais souvenir. On sait maintenant ce qu’il en a été. Le refus, d’entrée de jeu, en juin 2012, du président Hollande fraîchement élu de renégocier avec Angela Merkel, comme il s’y était d’ailleurs engagé pendant sa campagne le « traité budgétaire » signé par son prédécesseur, a plombé le quinquennat. Plus rien n’était possible dès l’été 2012. L’art hollandais de la synthèse n’était en fait, une fois le voile levé sur sa réalité, qu’un acte de soumission à une logique pourtant refusée explicitement par les Français en 2005 par référendum puis en 2012 par le vote pour le candidat de gauche contre Nicolas Sarkozy.

François Hollande est comme un joueur de bonneteau qui a étourdi pendant des années tous ses camarades et adversaires au sein du PS mais qui une fois élu président s’est lui-même perdu dans ses tours de passe-passe. Le problème, c’est que l’enjeu n’était plus simplement le pouvoir au sein du PS mais le sort du pays. Et cela, c’est tout simplement impardonnable pour nos concitoyens. [...]

Dans les sondages, Jean-Luc Mélenchon progresse et atteint des scores assez haut, autour de 15% au premier tour. Peut-il fédérer les déçus du hollandisme ?

Oui, une partie sans doute. Ce qui pourrait le placer plus haut qu’en 2012 sans toutefois espérer jouer les premiers rôles. La gauche de la gauche n’est pas en meilleur état que la gauche de gouvernement, malgré la bonne tenue de Jean-Luc Mélenchon qui a compris qu’il fallait sortir de la logique délétère des primaires à gauche. On remarquera d’ailleurs que les deux seules personnalités qui bénéficient d’une dynamique favorable sont Mélenchon et Macron, tous deux hors primaires.

Le souci pour Mélenchon, ce n’est ni son équation personnelle ni sa stratégie, excellente, de se présenter directement devant les Français, c’est toute la nébuleuse « gauche de la gauche » autour de lui. C’était son souci au Front de gauche, entre Parti communiste et groupuscules divers. Ce sera à nouveau son souci demain, dans cette présidentielle. On sait par exemple que si lui-même adopte un discours authentiquement républicain et laïque, nombre de ses alliés passés et futurs dans ce secteur de la gauche sont bien davantage enclins à un multiculturalisme accommodant voire à des complaisances assez détestables avec l’islam politique notamment. Ce sera pour Mélenchon un handicap considérable aux yeux de l’immense majorité de nos compatriotes."

Lire "La gauche survivra-t-elle à François Hollande ?".



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