Culture

Johnny ou la France des jours heureux (Th. Martin)

par Thierry Martin. 8 décembre 2022

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

La sublime Laetitia ranime la flamme, réalise un documentaire pour M6 et veille sur son homme qui repose dans son paradis blanc à Saint Barthélémy.

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Ce jour-là, la France s’est arrêtée. Il y avait ceux qui grossissaient la foule, que tout le monde a comparée avec celle qui, 130 ans plus tôt, s’était spontanément massée derrière le corbillard qui transportait le cercueil de Victor Hugo, et ceux qui comme moi - fatigué des embouteillages parisiens organisés par la mairie socialiste - avaient préféré tout voir, mieux voir, devant leur grand écran plat, qui retransmettait la cérémonie des funérailles de Johnny Halliday en direct. Ce qui faisait 80 % des Français en tout.

Mes amis Gilbert et Sylvie, de La Croix Valmer (Saint Tropez), de passage à Paris pour affaires, se laissèrent emporter par la foule au point de se retrouver au pied du parvis de la Madeleine. Une fois n’est pas coutume Paris était bloqué pour la bonne cause. Nous en tirâmes la conclusion que nous ne pourrions pas nous voir. La veille, j’avais assisté, transi, aux funérailles de Jean d’Ormesson dans la cour d’honneur des Invalides ; l’écrivain avait échappé à un hommage funèbre de Hollande, sa hantise.

Face à Thierry Ardisson, Jean d’Ormesson racontait vouloir choisir le moment de sa mort. C’était en octobre 2008. L’homme de lettres déclinait alors sa théorie sur les bons et les mauvais jours pour mourir. « L’écrivain doit faire attention à tout ce qu’il écrit. Il doit faire attention à tout ce qu’il dit. Et il doit faire attention à la façon dont il meurt. » Prenez Jean Cocteau, qui est mort en même temps qu’Edith Piaf. « Vous savez, c’est très mauvais pour un écrivain de mourir en même temps que Piaf. » Le 11 octobre 1963, l’interprète de La Vie en Rose, alors âgée de 47 ans, avait « volé la vedette » au poète de 74 ans. 

La cérémonie de l’église de la Madeleine, cette église aux allures de temple grec, et la ferveur qui l’a entourée, montre que le catholicisme a encore cette vertu de rejoindre dans notre pays, bien au-delà des pratiquants, les gens dans leur quotidien. Tous ces gestes de fraternité, de solidarité, d’amitié, que Johnny savait si bien chanter. Une piété « populaire ». Au fond, dans la célébration des funérailles du chanteur, il s’est dit l’essentiel : l’espérance. Car l’émotion, le chagrin, l’amour qui transparaissait dans cette foule immense, exprimait mieux que tout discours que la mort n’aurait pas le dernier mot. C’est bien à ce moment où nos perspectives humaines sont atteintes par la mort, que l’on a besoin d’éprouver, collectivement, cette radicalité lumineuse qui veut que l’on « espère contre toute espérance ».

C’est un pays imprégné de l’histoire, de la culture, des symboles, – des sacrements – catholiques ; un pays où l’Église reste présente au moment des grands passages de la vie des gens, et en particulier pour le plus grand de ces passages, qui est apparu.

Le chanteur n’allait vraisemblablement pas tous les dimanches matin sur les bancs d’une paroisse. Mais la foi n’est pas réservée à un petit nombre de parfaits, une sorte d’élite de croyants, mais doit toucher tout un chacun. On se souvient d’une époque où l’Église refusait de célébrer les funérailles des « saltimbanques ».

La France reste un pays catholique. Catholaïque si vous voulez [1]. Ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas [2], tout le monde était là, derrière Johnny, aux côtés de la pieuse Laetitia.

Saint Barth, son cimetière blanc aux couleurs des oiseaux de paradis, fleurs exotiques, locales ici, n’est pas qu’un paradis fiscal. Johnny a forcément rejoint Michel Berger dans son Paradis blanc. La Rock’n’roll attitude des bruits des pots d’échappement des Harley Davidson vient à nouveau de retentir sur l’île en hommage à Johnny et comme pour chasser le diable.

Choisissons-nous notre femme ou est-ce elle qui nous choisit ? Une chose est sûre, c’est qu’il est important de bien choisir sa veuve. Nos femmes nous survivent selon les lois de la démographie, mais quand elles sont beaucoup plus jeunes, cela nous laisse l’assurance qu’elles nous survivront et qu’elles présenteront un visage juvénile et souriant pour commémorer notre postérité.

Quand on a vingt ans on épouse une jeune femme parce qu’elle est belle et qu’on a envie de lui faire des enfants, à trente-cinq ans on épouse une autre jeune femme parce qu’on l’aime et parce qu’elle s’occupera aussi bien de nos enfants que des siens, à cinquante ans on épouse sa future veuve, celle qui s’occupera de nous, de nos enfants et de notre propriété artistique et garnira de fleurs notre blanche tombe.

Le film documentaire intimiste de Laetitia qui sort sur M6 offre des séquences comme celle où Johnny explique à l’une de ses filles, Jade, sa passion pour Elvis et Georges Brassens.

Pour le grand public, Johnny, grand ami de Sarkozy, n’a jamais fait mystère de ses sympathies pour la droite, et la gauche ne le lui a jamais pardonné. Malgré tout, en 1991, à la fête de l’Humanité, Georges Marchais fera la première partie du concert de Johnny devant une foule immense impatiente de voir et d’entendre l’idole des Français.

Anecdote moins connue, lors de sa première visite en Israël en 2012, Johnny confia qu’il avait "failli" venir soutenir l’Etat hébreu au moment de la Guerre des Six Jours en juin 1967 : "J’ai beaucoup d’amis ici. J’ai failli venir au moment de la Guerre des Six jours, mais c’était fini avant que j’arrive". Toujours en retard. "C’est une occasion formidable de venir ici. Je regrette de venir si tard mais mieux vaut tard que jamais", a ajouté "l’Elvis français" - comme l’a surnommé la télé israélienne.

Le temps des copains

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Johnny Hallyday, c’était Happy days version française. Le jeune homme en retard qui était derrière mais tout en haut de la photo de groupe de Jean-Marie Perrier pour Salut les Copains où ne manque que Sardou, fût finalement appelé le taulier. Le patron.

En 1961 les auteurs-compositeurs Cy Coben, Fernand Lucien Bonifay, Robert Finet lui écrivaient ça :

« Souvenirs, souvenirs
Vous revenez dans ma vie
Illuminant l’avenir
Lorsque mon ciel est trop gris
On dit que le temps vous emporte
Et pourtant ça, j’en suis certain
Souvenirs, souvenirs
Vous resterez mes copains »

Les copains, à l’époque on ne disait pas encore Friends, mais c’en était déjà la traduction.

Les compagnons de la Libération de De Gaulle, les camarades du Parti communiste, les frères de l’Eglise ou des Loges, les potos de Boris Vian, aucun de tous ces vocables ne résista face au copain, non pas les copains de Brassens qui n’étaient pas des « amis choisis par Montaigne et La Boétie », ni le bon copain plus fidèle qu’une blonde traduit de la chanson allemande Ein Freund, ein guter Freund reprise en 1936 dans La Belle équipe, mais vous, les « copains ». « Vous les copains je ne vous oublierai jamais Di doua di di doua di dam di di dou, que chantait Sheila ». Scat ou yaourt ?

Enfant, ma mère me faisait danser le twist sur la table de la cuisine.

« Venez les copains
Tapez des mains
On va faire le twist
C’est le nouveau rock
Rien n’y résiste »

Garçon, 45 tours en place, bras de l’électrophone posé, saphir épousant le sillon de vinyle, je balançais « Oh ! Ma jolie Sarah », son à fond, depuis la fenêtre de ma chambre, pas exactement en vis-à-vis, mais en quinconce par rapport à celle de ma voisine Cathy qui me provoquait, pouah ! avec son Michel Delpech « Pour un flirt avec toi Je ferais n’importe quoi » sorti cette même année 1971.

Face B « Que j’aie tort ou raison » (une faute d’orthographe sur la pochette - Que j’ai tort ou raison au lieu de Que j’aiE tort ou raison - contraint la maison de disque à sortir une seconde édition du 45 tours). Retrouver cette pochette chez mes parents. Espère ne pas l’avoir revendue aux puces.

L’été 76, celui de la canicule – l’année avait commencé avec Requiem pour un fou et se terminerait avec Gabrielle – nous nous réjouissions en rejouant Happy Days, la série américaine, improvisant un campement de fortune sur la place du Docteur Roux devant la maison de Patrick B. avec mes cousins et mes copains rockers. Il y avait Patrick bien sûr, Gilles M., Lionel S., Gilles et Jacky mes cousins, j’ai oublié le nom de quelques-uns qui n’étaient pas dans ma classe, mais je n’ai pas oublié leurs visages. Nous étions dans le Milwaukee des années 1950. La famille Cunningham c’était celle de Patrick. Howard, son père, Marion, sa mère, femme au foyer. Il était leur fils Richie, nous étions ses amis Potsie et Ralph. "Fonzie" le mauvais garçon du coin, c’était Dominique, le grand frère de Gilles M.

Au mois de juin nous étions tous allés voir A Nous les petites anglaises de Michel Lang au Cinéma Américain. J’ai acheté le 45 tours Sorrow de Mort Schuman.

Me souviens qu’en Bretagne j’arborai fièrement un tee-shirt célébrant le bicentenaire de la révolution américaine. Mince, les cheveux longs, je faisais la connaissance de Nadine, une jolie Parisienne, son oncle avait un bateau.

Puis je suis passé au lycée à Lille, la grande ville, de retour au pays j’avais d’autres fréquentations. Très vite l’usine, l’armée, le mariage rattrapèrent mes copains et mes cousins. Mes nouveaux amis étaient aux hippies ce que mes copains et cousins étaient aux rockers. Je passais de Johnny, Elvis et la musique country, à la pop music, les Stones, les Who, même si perso je me suis fixé sur les Beatles ou David Bowie, avant The Clash. Je découvrais au passage Brel, Brassens, Ferré, Ferrat, nous serions la dernière génération à aimer la chanson française dite à texte. Reggiani, Montand, Brigitte Bardot, Gainsbourg, Lavilliers, chansons qui meublèrent mon émission Dissonance, la chronique des étudiants impertinent, sur Radio Campus.

Entretemps on a oublié que Johnny était un grand chanteur de ballades, que ses paroliers étaient Aznavour, Goldman, Sagan, Marc Lavoine ou Miossec, quand il ne mettait pas le feu au stade de France avec Zazie. Sans oublier Jean-Jacques Debout son grand copain - L’Idole des jeunes - qui fut aussi le parolier de Sylvie Vartan, l’autre femme de Johnny, la première.

Plus tard, dans ma chambre de bonne du XVIe arrondissement de Paris, j’écouterai en boucle l’excellent Retiens la nuit que lui avait écrit Aznavour. C’est après 26 ans qu’on devient nostalgique. Je comprends que ma voisine Laetitia, serveuse mannequin, finit par tambouriner sur mon mur.

« Ne me demande pas d’où me vient ma tristesse
Ne me demande rien, tu ne comprendrais pas
En découvrant l’amour je frôle la détresse
En croyant au bonheur, la peur entre en mes joies »

Revoir Johnny au cinéma

« C’est une joie et c’est une souffrance », c’est ce qu’à travers ses films a voulu nous montrer François Truffaut, mon réalisateur préféré. Johnny tournera plutôt avec Godard, Détective. D’où viens-tu Johnny ? popularisera Pour moi la vie va commencer de Jean-Jacques Debout en 1963 ; L’Aventure c’est l’aventure de Lelouch où une bande de truands, Brel, Lino Ventura, Charles Denner et leurs sous-fifres Aldo Maccione et Charles Gérard, vont enlever Johnny avec sa complicité, pour faire sa promotion ; Jean-Philippe où il incarne un Jean-Philippe Smet qui ne serait pas parvenu à devenir Johnny Halliday. Et encore dernièrement le film franco-hongkongais de Johnnie To, Vengeance sorti en 2009.

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A revoir pour cette scène vers la fin où en quête des tueurs localisés à Hong Kong, Francis Costello (Johnny Hallyday), blessé gravement, reconnaît sa veste, celle qu’il portait quand il s’est fait tirer dessus. La veste d’un des malfrats a un trou de balle. La balle qui l’a traversée en le blessant. « This is my jacket » dit-il, impassible, en abattant l’individu avant de récupérer et d’enfiler calmement sa veste.

Thierry Martin [3]

[3Auteur de BoJo, un punk au 10 Downing Street. Boris Johnson, le Brexit, et l’après, Amazon, 2022, 312 p. 14,98 €.



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