Jean-François Kahn, journaliste (fondateur de Marianne) et écrivain. 20 mars 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"[...] Conçoit-on les dégâts qu’a provoqués le texte collectif inouï, signé de toute une mouvance universitaire , qui, avec une violence verbale qui rappelait celle d’un autre temps, déniait (venant après tant d’autres dénis) l’existence même d’un phénomène idéologique que 70 % des Français prennent, eux, en considération (comme une certaine droite refuse d’admettre l’émergence d’un courant néofasciste), rejetait le droit même de l’évoquer, refusait en conséquence tout débat sur ce sujet et en réservait l’éventuel examen à un entre-soi corporatisto-aristocratique ?
C’était, disait ce texte, faire le jeu de l’extrême droite que de ne pas s’enfermer dans ce déni.
Le jeu de l’extrême droite ?
Parlons-en : qui fait le jeu de qui ?
Peut-on impunément recycler systématiquement aux différentes marges de la gauche, et surtout de l’extrême gauche, presque tout ce qui identifiait hier la droite la plus réactionnaire, y compris le cléricalisme, sans se désarmer soi-même face à la montée des néofascismes ?
Quand, comme le font les tenants de la nouvelle gauche identitaire, on centralise le concept de race , ce qui constituait la spécificité de la droite extrême, elle aussi identitaire, comment, ensuite, disqualifier son racisme ?
Comment faire barrage aux poussées de nationalisme xénophobe quand, en vertu de l’essentialisation des identités ethniques, sexuelles et confessionnelles , on jette allègrement l’ universalisme au rebut ?
Quand on réhabilite la pratique de la non-mixité, fût-ce prétendument à l’envers, comment stigmatiser efficacement le ségrégationnisme d’extrême droite ?
De qui fait-on le jeu quand, pour disqualifier des laïcs intransigeants, on reprend le terme de « laïcard », popularisé par la droite extrême ?
Depuis des années, systématiquement, que fait-on ? On livre à l’extrême droite toutes les valeurs fondatrices du combat démocratique et républicain pour peu qu’elle ait, cette extrême droite, tactiquement, mis, ne fût-ce qu’un petit doigt dessus : la nation, la laïcité, la sécurité, la République. Ce qui induit cette invite : vous qui avez régulièrement trahi la nation, comploté contre la République, refusé la laïcité, justifié l’insécurité sociale, vous vous êtes avisés, soudain, de prononcer ces mots-là… Tope là, on vous en fait cadeau, on vous les laisse, c’est à vous ! Et on y ajoutera même en prime : la valeur travail ou la famille. Servez-vous !
Qui fait le jeu de qui ? L’aspiration universelle à la sécurité, les déchirures sociales provoquées par la dynamique des flux migratoires, l’angoisse d’une perte d’identité, autant de réalités concrètes qu’il fallait non pas occulter, exorciser, mais affronter pour leur apporter des réponses démocratiques et progressistes. Au lieu de quoi, toute une fraction de la gauche et de l’extrême gauche intello-médiatique a jeté l’interdit, l’anathème sur toutes les velléités d’affronter frontalement ces questions et, ce faisant, en a livré l’exclusivité au Front national [aujourd’hui Rassemblement national, NDLR], à ses alliés et à ses acolytes.
Qui fait le jeu de qui ?
Ce qui singularisait l’extrême droite et le néofascisme, c’était l’intolérance, l’appel à la censure, à l’interdiction, la pratique de l’exclusion, la violence excommunicatrice, le rejet de la libre expression… Et voilà que ces pratiques sont récupérées par plusieurs affluences d’un radicalisme prétendument de gauche sans susciter la levée de boucliers qui s’imposerait. Pire : ce qui caractérisait le mal devient l’une des formes acceptables de la manifestation du bien !
Qui fait le jeu de qui ? [...]"
Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Une enquête sur l’"islamo-gauchisme" à l’université (2021),
Enseignement supérieur : « Sur l’islamisme, ce qui nous menace, c’est la persistance du déni » (collectif, Le Monde, 1er-2 nov. 20), "Appel de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires" (Le Point, 14 jan. 21),
les rubriques Censures à l’université dans Enseignement supérieur, Atteintes à la laïcité à l’école publique dans Ecole, "Islamo-gauchisme" dans Gauche et islamisme dans Gauche ;
le Colloque du CLR "L’université sous influence" (Paris, 15 juin 2019), le Colloque du CLR « Laïcité et enseignement supérieur » (Paris, 30 mai 15) (note du CLR).
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