Humanisme (GODF)

J.-P. Sakoun : "Verdun, histoire de visions..." (Humanisme, n°312, août 16)

7 octobre 2016

[Les échos des initiatives proches sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le 29 mai 2016 devait avoir lieu à Verdun un concert de variété, plus précisément de rap, à la suite des cérémonies de commémoration du centenaire de l’une des batailles les plus sanglantes de l’histoire humaine. Parmi les cérémonies, on notait aussi la mise en scène de la course de plusieurs milliers de jeunes gens dans les grands cimetières militaires, au milieu des tombes.

Black M et Sexion d’assaut

L’artiste choisi pour distraire, égayer, fêter… on ne sait trop quel mot choisir, porte le nom de Black M.

Le développement de ce nom de scène est « Black Mesrimes », une contraction entre le nom de Jacques Mesrine et les mots « rimes » et « Black ». On sait que Jacques Mesrine, désigné ennemi public N°1 par la police, fut le symbole de la rébellion violente et du combat contre l’ordre républicain, pour une frange de l’ultragauche. Sa mort, dans une souricière tendue par la police, le 2 novembre 1979 à la porte de Clignancourt à Paris reste dans les mémoires, par la violence spectaculaire de l’action policière. Jacques Mesrine est l’auteur d’un ouvrage publié en 1977, dont le titre programmatique est L’instinct de mort.

Black M, donc puisque c’est le nom qu’il s’est choisi, a débuté avec un groupe de rap créé en 2002, auquel il appartient encore, même si, comme d’autres membres du groupe, il mène en parallèle une carrière en solo depuis 2013. Ce groupe s’est donné pour nom « Sexion d’assaut ». L’analyse sémantique la plus superficielle permet d’isoler deux références dans la constitution de ce nom.

La référence évidente aux « Sections d’assaut », connues sous le nom de SA, en allemand « SturmAbteilung ». Les SA sont les troupes de voyous sanglants qui par la terreur et la violence criminelle ont imposé le nazisme à l’Allemagne de Weimar. Les « Chemises brunes », sous les ordres de leur chef, le psychopathe antisémite Ernst Röhm, furent le bras armé du NSDAP de Adolf Hitler, pour tuer, violer, torturer, asservir leurs opposants communistes et socialistes et les juifs. Créée en 1921, par des officiers démobilisés qui avaient participé à l’écrasement des Républiques conseillistes d’Allemagne, la SA devint si incontrôlable que ses chefs furent liquidés sur les ordres d’Hitler en 1935, durant la « nuit des longs-couteaux », par les SS, deuxième troupe de terreur créée par le NSDAP et totalement inféodée au Führer, elle. Voici donc la première référence de ce groupe.

La seconde interprétation tient évidemment au remplacement du « ct » de Section par le « x » de sexion, renvoyant clairement au sexe. Mais à un sexe violent, à un « assaut » du sexe, qui fait référence à la domination des femmes par les hommes dans la sous-culture du rap violent noir américain auquel se réfèrent et Sexion d’assaut, et Black M, ce qui est manifeste dans les clips, les vidéos, les chansons des rappeurs.

Nous voici donc en face d’un artiste dont le nom et la référence de groupe renvoient clairement à :

  • La division raciale face à la laïcité française (Black) ;
  • Un malfrat assassin, ancien « ennemi public n°1 », magnifié pour sa haine de la société ;
  • La pire milice politique de l’histoire du monde, dont l’idéologie fut fondée sur la haine des juifs, des rouges, des homosexuels, de l’égalité entre les êtres humains et dont l’action fut un des éléments qui conduisirent l’Allemagne au nazisme et le monde à la plus effroyable guerre connue ;
  • La violence sexuelle comme instrument de domination des hommes sur les femmes.

Cette analyse que chacun d’entre nous peut faire est renforcée par les paroles d’un certain nombre de chansons de Black M et de Sexion d’assaut, dont nous donnons un florilège ci-dessous :

  • On t’a humilié : « Je crois qu’il est grand temps que les pédés périssent, coupe leur le pénis, laisse les morts, retrouvés sur le périphérique »,
  • « Il y a à mon goût beaucoup trop de pédés »,
  • « Il est devenu gay, à croire qu’ça manque de chattes »,
    Le groupe enfonce le clou en déclarant « On est homophobes à 100% et on l’assume »
  • Je ne dirai rien : « Tu te crois super intelligente et mature. Hélas, la seule raison pour laquelle on t’écoute sont (sic) tes obus. Sinon t’as pas un 06 j’crois que j’ai l’coup de foudre. Euh non bon ok va te faire foutre » ;
  • Dans Ma Rue : « Dans ma rue, les Chinois s’entraident et se tiennent par la main, les Youpins s’éclatent et font des magasins, et tous les lascars fument les mêmes joints » ;
    Doc Gynéco, autre rappeur, auteur de cette chanson et qui s’était désolidarisé de Sexion d’assaut et de Black M à la suite de sa reprise par ces derniers, ajoute « avant de commencer un projet, il faut savoir où tu vas. Ils n’ont pas du tout l’intention d’arriver au but où mon album a amené ceux qui l’ont aimé et qui l’aiment toujours ».

Ou encore :

  • « Anormal, comme ce peuple qui veut ce monde, celui qui gère les ondes, si tu causes de ces bâtards, tu tombes »,
  • Désolé : « Je me sens coupable quand je vois ce que vous a fait, ce pays de kouffars… »,
  • Le ghetto s’exprime : « je veux baiser cette conne de France ».

Ces extraits ne sont que les plus connues des paroles des chansons du groupe, dont les allusions plus ou moins transparentes, antisémites, sexistes, homophobes, se comptent par dizaines.

Le racisme et l’antisémitisme de Black M et de Sexion d’assaut n’ont pas été découverts à l’annonce du concert que le premier devait donner à Verdun. Dès 2010, le groupe fut très critiqué pour ses positions homophobes, à la suite d’une interview donnée à « International hip hop » dans lequel il déclarait « Pendant un temps, on a beaucoup attaqué les homosexuels parce qu’on est homophobes à cent pour cent et qu‘on l’assume. Mais on nous a fait beaucoup de réflexions et on s’est dit qu’il était mieux de ne plus trop en parler parce que ça pouvait nous porter préjudice. Pareil pour les autres religions, on ne les attaque pas parce qu’on respecte quand même un minimum les autres et qu’on ne peut pas les forcer à être dans le vrai et musulmans comme nous. (…) Il y a quand même des gays qui viennent nous voir ! On ne peut pas se permettre de dire ouvertement que pour nous, le fait d’être homosexuel est une déviance intolérable ».

Plus récemment et plus précisément, la chanson reprise par le rappeur Black M faisant allusion aux « youpins » (voir plus haut), a été interdite d’antenne sur les radios belges, en octobre 2015.

J’irai courir sur vos tombes

Parallèlement au choix de Black M pour commémorer le sacrifice de 379 000 morts, disparus et blessés français, métropolitains et ultramarins et de 333 000 Allemands, le « Comité des Fêtes », serions-nous tenté d’écrire, a confié au cinéaste allemand Volker Schlöndorff, la « mise en scène » du clou de la commémoration, sous la forme de la course romantique de 3 400 jeunes gens et jeunes filles sur les tombes de quelques-uns des 306 000 morts de la bataille.

À la fin de leur course légère et colorée, ces jeunes gens, français et allemands, se laissaient tomber, pour symboliser la mort, puis se relevaient et s’embrassaient, pour symboliser la vie et la réconciliation des peuples…

Ce « spectacle », conçu comme tel, devait permettre d’émerveiller les spectateurs, qui se seraient probablement ennuyés autrement…

Responsabilité et polémique

Face à ce paysage bouleversé de la commémoration de Verdun, nous pouvons légitimement nous demander dans quel esprit a pu germer un tel ensemble de manifestations. La question ne reçoit pas de réponse claire. Le comité interministériel, le Grand Verdun, la ville de Verdun, la Département et la Région se renvoient cette responsabilité. Ce qui est certain, c’est que la Mission du Centenaire 14-18 a dès le 13 mai 2016, retiré au concert de Black M son soutien, à hauteur de 67 000 €.

Que s’est-il donc passé ?

Le 10 mai 2016, L’Élysée annonce le programme de la commémoration du centenaire de la bataille de Verdun.
« Cette commémoration verra se succéder moments de recueillement et discours, en présence des plus hauts représentants des deux pays belligérants, le Président de la République française, M. François Hollande, et la Chancelière de la République d’Allemagne, Mme Angela Merkel.
« La journée aura lieu en présence de 3 400 jeunes citoyens, représentant symboliquement cette jeunesse de deux pays, sacrifiée sur l’autel de la rivalité franco-allemande.
« Les cérémonies seront suivies d’un concert de variété donné par le rappeur Black M choisi par la mairie de Verdun pour donner à la manifestation « un caractère populaire tourné vers la jeunesse ».

Le 11 mai, le Front national sort de ses gonds et dénonce une invitation « insupportable », laissant la parole à ses habituels bateleurs, outranciers, agressifs, xénophobes et racistes, Robert Ménard, Marion Maréchal-Le Pen et les autres…

Dès le 12 mai, les réseaux sociaux s’enflamment mais, au-delà des torrents de boue racistes des Frontistes et de leurs proches, une autre musique se fait entendre. Les Républicains laïques les plus opposés au FN, quelle que soit leur couleur politique, dont le Comité Laïcité République, le Printemps républicain, Laïcart, et des voix telles que celles de Laurent Bouvet, Laurence Marchand-Taillade, Céline Pina, Gilles Casanova, se rassemblent pour refuser ce qui leur apparaît comme un naufrage de la pensée républicaine et du devoir de respect dû à nos morts.

Pourtant, dès ce moment, se déchaîne une campagne menée par quelques-uns des plus fervents soutiens du gouvernement, avec l’aide du parti socialiste, élus, personnalités, pour accuser quiconque s’oppose à ces manifestations ou simplement les critique, de racisme anti-noir contre Black M, anti-jeune contre les participants, voire anti-allemand et en tout cas d’appartenance à l’extrême-droite la plus rance, rassise, pétainiste et stupide.

Nous donnons ci-dessous avec son autorisation, la lettre qu’un citoyen accablé a envoyée à la Mission du Centenaire, dès le jeudi 12 mai et qui nous semble résumer la position de l’immense majorité des Français :

« Madame Monsieur,
Je suis humilié, honteux et révolté du choix des autorités françaises de confier au rappeur Black M, du groupe « Sexion d’assaut » (sic), « l’animation musicale » de la commémoration centenaire de la Bataille de Verdun.
Cette victoire française, qui fut obtenue au prix de 379 000 morts, disparus et blessés français, métropolitains et ultramarins, mérite probablement mieux qu’une célébration sous la forme d’un concert de rap lorsqu’on attendrait le recueillement, confié qui plus est à un artiste dont les chansons contiennent les paroles suivantes :
« Je crois qu’il est grand temps que les pédés périssent. Coupe-leur le pénis, laisse-les morts, retrouvés sur le périphérique » ;
« Quand je vois ce que vous a fait la France, ce pays de kouffars… » ;
« Dans ma rue, les Chinois s’entraident et se tiennent par la main, les Youpins s’éclatent et font des magasins ».
En outre, le nom du groupe de rap de cet artiste, « Sexion d’assaut », est un jeu de mot insupportable, de toutes les manières possibles, sur le nom d’une organisation nazie.
Au moment de se souvenir des centaines de milliers de soldats français et ennemis touchés dans leur chair, morts ou blessés, au moment de la célébration de la défense de la Nation républicaine et unie, au moment de l’appel à la dignité, au moment de la réconciliation du peuple français et du peuple allemand au-delà de nos mémoires nationales éternelles et chéries, est-il justement digne de cet événement d’humilier tant de familles recueillies, d’exposer aux oreilles et à la vue de tous cette sordide bassesse ?
Je demande au Maire de Verdun, aux autorités départementales, régionales et nationales de se ressaisir, pour que la France et le monde ne connaissent pas l’humiliation de voir cracher sur la tombe des 306 000 tués de Verdun, sur la mémoire des 406 000 blessés et sur le souvenir partagé de 65 millions de Français et de 80 millions d’Allemands ».
Je suis absolument découragé et désespéré que tant le Maire de Verdun que le porte-parole du Gouvernement s’emparent des propos xénophobes du FN pour justifier la honte et l’humiliation que représente ce concert, en traitant ceux qui comme moi sont depuis toujours des militants des droits de l’homme, de racistes, sous prétexte que notre opposition à la présence de ce chanteur serait liée à sa couleur de peau. Cette défense est une honte. »

Tentative d’analyse

Face à ces faits, que peut-on conclure ?

Que l’histoire des peuples n’a plus lieu d’être et qu’elle doit être soumise aux impératifs révisionnistes de la politique au jour le jour ;

Qu’il n’est plus possible de parler de victoire, de défaite, de sacrifice, d’union sacrée du peuple de France, de respect, sans passer pour un fasciste ;

Que seule a désormais voix au chapitre la dérisoire remarque de Papa Schülz, dans Babette s’en-va-t’en guerre, « ach, la guerre, gross malheur » ;

Que la politique et l’histoire ne sont plus rien et que seule doit exister l’instantanéité du plaisir pris à l’occasion d’une fête.

Que les citoyens républicains issus des Lumières, que la Liberté, l’Égalité, la Fraternité, ne sont plus rien face au bonheur de l’oubli et de la béatitude consumériste.

William Golding écrivit en 1954 un roman intitulé Sa majesté des mouches, dans lequel une bande d’enfants totalement isolés du monde, tentait de recréer une société sans aucune référence possible à leur histoire. Cette société sans passé devenait cannibale… L’auteur illustrait ainsi que sans passé, la civilisation disparaît au profit d’un retour à un état proche de l’animalité, que les plus fragiles ou les plus raisonnables paient de leur existence.

Achevons cette réflexion par deux citations :

  • Black M, la « victime » du racisme qui fit annuler sa prestation, lors d’une interview à L’Est républicain, durant la polémique : « je leur réponds [à mes détracteurs] tout simplement de venir participer au concert et je pense qu’ils ne vont pas regretter. Je les invite à venir me voir, qu’ils aiment ou pas ma musique, on va s’amuser » (c’est nous qui soulignons).
  • M. Gaston Monnerville, Président du Conseil général du Lot, Président du Conseil de la République, Président du Sénat, membre du Conseil constitutionnel, lors d’un discours prononcé à Verdun, le 21 juin 1953 : « En présence de ce monument dont l’éloquence nous écrase, s’imposerait le silence du recueillement ».

Précisons pour les plus jeunes d’entre nous, que ce grand homme de la République française, républicain, laïque, homme de gauche, résistant, opposé au pouvoir personnel du Général De Gaulle, était petit-fils d’esclave, Antillais né à Cayenne, et noir… totalement noir. Mais à l’époque, personne ne le voyait, du moins pas les démocrates et républicains qui font semblant de croire que la couleur de Black M joue le moindre rôle dans notre colère…"



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