Revue de presse / tribune

J.-P. Sakoun : "Médine ou l’étau identitaire" (marianne.net , 11 juin 18)

Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République. 11 juin 2018

"Un certain Médine, rappeur de son état, doit présenter son spectacle les 19 et 20 octobre prochains au Bataclan, la salle rendue au divertissement après l’effroyable attentat islamiste du 13 novembre 2015. Ce Monsieur dont le nom de scène est déjà tout un programme, est connu pour être en particulier l’interprète de Don’t laïk morceau dans lequel on trouve, entre autres, les paroles suivantes :

« Crucifions les laïcards comme à Golgotha. […]
Je scie l’arbre de leur laïcité avant qu’on le mette en terre
Marianne est une femen tatouée "Fuck God" sur les mamelles
Où était-elle dans l’affaire d’la crèche ?
Séquestrée chez Madame Fourest… »

Une autre de ses chansons, Bataclan, d’apparence douce et pacifique, relève en fait de la classique inversion du réel pratiquée par les tenants de l’islamisme politique. Mais tout se passe implicitement, ce qui permettra à l’auteur, en cas d’attaque, ou de simple critique, de se victimiser et de pointer du doigt, comme il sait le faire de manière fort rentable, les "laïcards islamophobes obsessionnels" [1]. Il réussit le tour de force en effet de ne pas y faire mention des 90 morts et des centaines de blessés du massacre du 13 novembre 2018.

Ajoutons que Médine se réclame du djihad, comme le montre l’image accompagnant son album où on le voit vêtu d’un tee-shirt sans ambiguïté, et a participé à la défense et à l’illustration de tout ce que la France compte d’obscurantistes radicaux islamistes, de Dieudonné à Tarik Ramadan en passant par une longue liste de prédicateurs incendiaires. Mentionnons pour mémoire le chapelet de "quenelles" qu’il inflige régulièrement à ses concitoyens.

Un débat paralysé

Aussitôt connue la programmation de ces spectacles dans un lieu porteur d’une telle charge symbolique, tragique, affective et morale, l’extrême droite et la droite extrême se sont jetées sur l’événement pour saturer les réseaux sociaux et la presse de diatribes racistes et xénophobes, prenant prétexte de ce spectacle pour mettre en accusation tous les « Arabes », tous les « Musulmans », essentialisés et volontairement confondus avec les islamistes politiques.

Aussitôt publiées ces injures et ces insultes, les islamistes et leurs amis d’une certaine extrême-gauche ont dénoncé la « fachosphère » et dénié toute validité à la critique d’un tel spectacle, considérée comme une manifestation évidente d’« islamophobie… »

Les uns et les autres ont ainsi paralysé toute parole politique responsable, comme d’habitude.

Au milieu, pris en étau entre ces deux identitarismes qui se renvoient la balle dans une sorte de jeu délétère où chacun justifie l’autre, l’immense majorité des Français, laïques, républicains, souffrent.

Ils ne demandent pas, par raison, par respect de la loi et au nom de la mémoire des journalistes de Charlie, l’interdiction ou la censure de ce spectacle. Ils ont trop d’expérience et de mémoire pour perdre le fil de la démocratie et appliquer à ceux qui se présentent comme ses ennemis les mesures que ces derniers rêvent d’imposer.

Ils se demandent, simplement, humblement, comment la « common decency » a pu échapper à ce point aux producteurs de ce spectacle pour infliger aux familles des victimes du massacre, aux Français en général, un tel camouflet. Cette question prend sur les réseaux la forme d’une immense colère, alimentée par le sentiment qu’ils ont d’être humiliés, moqués par les islamistes politiques d’un côté, et privés de leur droit à l’indignation par une extrême-droite qui leur vole la laïcité.

Souvenons-nous, il y a deux ans, de la programmation de Black M pour commémorer Verdun. Le même processus d’étau des identitarismes et de réduction des laïques et des citoyens au silence s’était immédiatement mis en place. Le spectacle avait fini par être, très raisonnablement, annulé. Ce n’est même pas ce que nous demandons.

Imaginons simplement que Black M ait été programmé à Verdun en 1919. C’est la même violence qui est faite au peuple français en faisant monter, moins de trois ans après le massacre, le rappeur Médine sur les planches de cette scène, qui sont aussi celles d’un grand cercueil, contenant les restes des victimes de la barbarie islamiste, victimes dont nous sommes tous la parentèle et que le rappeur Médine insulte et humilie.

Lorsqu’un certain humoriste, connu pour sa proximité avec le président de la République, vient ajouter son grain de sel à cette affaire, défendant comme à son habitude l’indéfendable, les citoyens se demandent où est la parole de leurs autorités. Il serait tellement simple, apaisant rassérénant, d’entendre un membre du gouvernement dire, simplement dire, que ce spectacle, à cet endroit, est une honte…"

Lire "Médine ou l’étau identitaire".

[1Isabelle Barbéris, chercheuse en arts du spectacle.



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