Revue de presse / tribune

J.-P. Sakoun : "L’idéal laïque des élus s’est affaibli" (lexpress.fr , 10 mai 18)

Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République. 10 mai 2018

"Ce 10 mai 2018, M. Macron reçoit le prestigieux prix Charlemagne, que les dirigeants européens s’échangent aimablement pour se féliciter les uns les autres de leur engagement européen.

Ce prix est décerné depuis 1950 à Aix-la-Chapelle après la tenue d’une messe, le jour de l’Ascension. A cette époque en effet les démocrates-chrétiens qui le créent sont à la recherche d’un idéal commun. Les premiers récipiendaires seront d’ailleurs tout ce que l’Europe compte de chrétiens engagés en politique, de De Gasperi à Monnet, Adenauer, Spaack et Schumann... Le pape lui-même s’est vu remettre le prix en 2016...

Quelques Français l’ont reçu, Jacques Delors, Simone Veil en tant que présidente du Parlement européen, François Mitterrand en même temps qu’Helmut Kohl en 1988 et Valéry Giscard d’Estaing, avec retard, en 2003.

Il n’est donc pas surprenant qu’Emmanuel Macron en soit honoré en 2018, puisqu’à peu près tout ce qui préside en Europe reçoit un jour ou l’autre ce prix de bonne conduite européenne. Notons cependant que ses deux prédécesseurs, MM. Sarkozy et Hollande, s’en sont vu privés.

Il n’y aurait donc à première vue rien à dire de cet événement sinon "business as usual" ; après tout, fort peu de gens s’étaient émus de son pesant aspect religieux jusqu’à présent. Mais le caractère éminemment chrétien de ce prix entre en résonance avec les prises de position récentes du président de la République.

Depuis la campagne présidentielle, il ne cesse de parsemer ses discours d’indices convergents à propos de son penchant pour les enseignements de l’Église, en particulier dans la vie politique et dans le champ social. Rappelons les manifestations les plus récentes de cette propension à tenir compte de l’influence religieuse, malgré l’article 3 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen [1], l’article premier de notre Constitution [2] et l’article 2 de la Loi de 1905 [3].

• Son étonnante critique d’une "laïcité d’abstention", manière dont Paul Ricoeur avait en 2004 critiqué l’interdiction des signes religieux à l’école, qui s’opposerait une "laïcité de confrontation", devant les protestants réunis à l’occasion de la célébration des 500 ans de la Réforme.

• Ses voeux aux représentants des cultes qualifiés officiellement d’"autorités religieuses" - ce qui est une nouveauté dans la République laïque ! -, au cours desquels il aurait fait part de sa crainte devant la "radicalisation de la laïcité", à quelques jours de la commémoration des massacres de janvier 2015, qui nous rappellent que ce n’est pas une pseudo "laïcité radicale" qui tue en France.

• Son discours des Bernardins du 10 avril 2018 devant les évêques de France au cours duquel parmi beaucoup d’autres déclarations surprenantes, il a déploré "le lien abîmé" entre l’Église et l’État et l’importance pour lui comme pour les "Monsignori" de le réparer... alors que ce lien n’existe plus depuis 1905.

• Le président a enfin annoncé le 2 novembre 2017 son acceptation du titre de chanoine de Latran, renouant ainsi avec une tradition que ni Georges Pompidou ni François Mitterrand ni François Hollande n’avaient jugé bon de remettre à l’honneur.

Les Français se reconnaissent laïques à près de 80 %, avec constance, de sondages en enquêtes. Si cette messe et ce prix prennent un relief particulier, c’est bien parce que M. Macron a laissé s’installer chez nos concitoyens une grande inquiétude sur sa fermeté laïque.

Depuis Clemenceau l’idéal laïque de nos élus s’est bien affaibli, alors qu’il est LA pierre angulaire de notre contrat politique et social, ouvrant ainsi grand la porte aux dérives de l’État et des collectivités dans ce domaine.

De même que la Loi de 1905 ne fut pas contrairement à ce que disent certains le résultat d’une négociation entre la République et les églises, mais d’un débat parlementaire entre élus de la République, de même la délibération citoyenne ne peut être soumise à l’avis des forces religieuses. Qu’en serait-il aujourd’hui de libertés et de progrès tels que la contraception, l’IVG, le mariage pour les couples du même sexe, les modestes avancées de la loi Leonetti s’il en avait été autrement ?

M. Macron a dit récemment à propos des débats éthiques, en s’adressant aux protestants, "la manière que j’aurai d’aborder ces débats ne sera en rien de dire que le politique a une prééminence sur vous". Nous pensions - peut être naïvement - qu’au-dessus des lois divines, il y avait les lois de la République. La Concorde républicaine n’est pas le Concordat."

Lire "L’idéal laïc des élus s’est affaibli".

[1"Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément."

[2"La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale..."

[3"La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte."



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