Jean-Pierre Obin, ancien Inspecteur général de l’Éducation nationale, auteur du rapport "Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires" (juin 04), Prix national de la Laïcité 2018. 15 octobre 2020
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Jean-Pierre Obin, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, éd. Hermann, 2 sep. 20, 166 p., 18 €.
"Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur général de l’Education nationale, est inquiet. Il s’exprimera ce mardi à la Sorbonne à l’occasion du séminaire des référents laïcité. A la retraite, il a une parole libre et franche.
Par Vincent Mongaillard
En 2004, Jean-Pierre Obin, alors inspecteur général de l’Education nationale, remettait un rapport sur les signes religieux en milieu scolaire à son ministre de l’époque, François Fillon. Un document recensant déjà des contestations de la laïcité en classe, qui était resté lettre morte, enterré par son destinataire. Seize ans après, ce lanceur d’alerte « de gauche », à la retraite donc libre de s’exprimer, s’inquiète de la montée en puissance de ces atteintes au principe républicain dans un livre offensif intitulé « Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école » (éditions Hermann).
Il est invité à en parler ce mardi à la Sorbonne à Paris lors du « séminaire national des coordonnateurs des équipes Valeurs de la République » animées, entre autres, par les référents laïcité en action dans chaque académie. Une nouvelle fois lors de cette rencontre ouverte par le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, l’ancien haut fonctionnaire appellera la République « à réagir ».
Les atteintes à la laïcité à l’école se sont-elles multipliées ces dernières années ?
JEAN-PIERRE OBIN. Depuis mon rapport de 2004 sur les signes religieux, c’est indéniable ! Aujourd’hui, le primaire est très largement concerné avec plus d’un tiers des signalements. A l’époque, on avait très peu de témoignages à ce niveau-là. Notre enquête était qualitative, avec un état des lieux dans une soixantaine d’établissements. Aujourd’hui, on a une meilleure connaissance du phénomène grâce à des études plus approfondies et des sondages.
Les remontées au ministère de l’Education demeurent, pourtant, très faibles…
Les enseignants parlent plus facilement sous le sceau de l’anonymat qu’à leur chef d’établissement. Dans le sondage Ifop de 2018, plus du tiers des enseignants ont déclaré s’être déjà autocensurés « pour éviter des incidents ». En zone d’éducation prioritaire, ils sont même majoritaires avec 54% ! Une bonne partie des faits passe ainsi sous les radars.
Quelles sont les nouvelles dérives ?
La très grande majorité des cas est liée à l’islamisme, en particulier à des exigences de pureté marquées par l’influence croissante du salafisme dans un certain nombre de quartiers. C’est de la viande halal qui est réclamée à la cantine et quand elle ne l’est pas, il ne faut surtout pas qu’elle ait été mélangée aux légumes. C’est l’histoire des « Trois Petits Cochons » qui est critiquée parce qu’un opuscule salafiste a martelé que c’était un conte impur. Ce sont les cours de natation séchés massivement par les filles sous prétexte d’allergie au chlore. Le président de la République vient d’ailleurs de dire qu’il voulait mettre fin aux certificats médicaux de complaisance ! Récemment, il y a aussi la revendication de vestiaires séparés musulmans et non-musulmans. Des cours de biologie et d’histoire sont parfois contestés quand ils abordent l’évolution des espèces, la reproduction, le Moyen Orient, les guerres de décolonisation… Des élèves peuvent refuser d’examiner dans leur manuel le plan d’une église ou d’accepter que l’écriture a existé avant l’écriture arabe.
Comment en est-on arrivé là ?
Cela fait plus de vingt ans que la République se laisse attaquer sans réagir, il est grand temps qu’elle passe à l’action ! J’y vois la responsabilité des hommes politiques, de droite et de gauche, qui ont adopté des attitudes idéologiques faisant le lit des islamistes ; celle d’enseignants par manque de courage, idéologie ou manque de formation et enfin celle de chefs d’établissement et de cadres de l’institution qui ont fermé les yeux par couardise. Il faut tout de même rendre hommage à Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem qui ont su réagir aux attentats de 2015, ainsi qu’au ministre actuel de l’Education, Jean-Michel Blanquer, plus pragmatique et moins idéologique que ses prédécesseurs.
Où ces contestations sont-elles les plus fréquentes ?
Dans ces quartiers ghettos qui sont devenus des enclaves salafistes.
Que peut faire l’école pour lutter contre ces phénomènes ?
Rien ne pourra se faire si l’archipellisation de la société et la ghettoïsation des quartiers se poursuivent. Il faut vraiment introduire davantage de mixité sociale dans les établissements scolaires, par ailleurs facteur premier de la réussite scolaire. Et former les enseignants à la laïcité. Seulement 6% ont suivi un stage sur cette question. Dans les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), seulement un quart des étudiants ont reçu des cours sur la laïcité. Parmi eux, plus de la moitié affirment qu’ils étaient de mauvaise ou de très mauvaise qualité. Je propose qu’on instaure à tous les concours de l’enseignement une épreuve sur la laïcité. Evidemment, l’école ne résoudra pas toute seule le fléau de l’islamisme. On a besoin d’une politique globale avec des solutions à long terme. Et c’est aussi un combat à mener avec d’autres pays.
En pointant du doigt des faits très minoritaires, ne craignez-vous pas de stigmatiser les musulmans ?
Pas du tout, je fais la différence entre l’islam, qui est une grande religion, et l’islamisme, qui n’est pas une religion, mais un projet politique se servant de l’islam avec l’ambition de prendre le pouvoir. Les musulmans sont les premières victimes de l’islamisme. En 40 ans, les attentats islamistes ont fait 167000 morts dans le monde, 92% d’entre eux étaient des musulmans ! Je ne les stigmatise pas en engageant ce combat, au contraire, restaurer le principe de laïcité contribue à les protéger.
Que pensez-vous de l’interdiction de l’école à la maison annoncée par Emmanuel Macron dans son discours sur les séparatismes ?
C’est une très bonne chose, je n’avais pas pensé à la proposer dans mon livre, car c’est à la limite de la constitutionnalité. Ce qui est sûr, c’est que dans beaucoup de cas, c’est un prétexte pour placer les enfants dans des écoles clandestines et les confier à des prédicateurs salafistes.
Le président de la République vient aussi de répéter qu’il ne souhaite pas interdire le voile aux mères accompagnant les sorties scolaires. Et vous ?
Comme l’analyse le président, la plupart de ces mères portent le voile sans vision prosélyte, mais s’insinuent parmi elles des militantes islamistes. C’est aux directeurs d’école aujourd’hui de faire le tri en prenant le risque de voir leur décision contestée par ces femmes puis invalidée par la justice. Je pense qu’il faut débattre de cette question au Parlement, car si ce ne sont pas les parlementaires qui décident, ce sont les juges qui le font. Je préfère pour la démocratie que ce soit les élus du peuple qui tranchent."
Lire "Atteintes à la laïcité à l’école : « La majorité des cas est liée à l’islamisme »".
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier "Islamisme à l’école, ce qu’on ne veut pas voir" (Le Point, 27 août 20), Jean-Pierre Obin : « En 2004, notre rapport nous a valu d’être taxés d’islamophobes » (Le Figaro, 23 jan. 15) ; dans les Documents “Rapport Obin” : Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires (juin 04), Ecole : audition de Jean-Pierre Obin (Sénat, 5 mars 15) ; dans la rubrique Prix de la laïcité VIDEO Prix de la Laïcité 2018. Jean-Pierre Obin : Aucune alternative à la laïcité pour assurer la paix civile (note du CLR).
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