Revue de presse / tribune

J.-E. Schoettl : Conseil des sages, « La laïcité n’est ni une vieillerie, ni un corset » (lopinion.fr , 18 av. 23)

Jean-Eric Schoettl, ancien Secrétaire général du Conseil constitutionnel, membre démissionnaire du Conseil des sages de la laïcité. 22 avril 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

PNG - 6.4 ko

Lire "« La laïcité n’est ni une vieillerie, ni un corset ». La tribune de Jean-Eric Schoettl".

"Le Conseil des sages de la laïcité (CSL) a défendu jusqu’ici une conception simple et ferme de la laïcité à l’école.
Celle-ci peut être résumée par les deux convictions suivantes :

  • La neutralité religieuse – et, doit-on ajouter, politique – de l’école publique est une condition de la transmission des connaissances, de la formation de l’esprit et de la construction du sentiment d’appartenance à la nation.
  • Cette neutralité doit caractériser tous les aspects de la vie scolaire : l’attitude des enseignants et des personnels, les contenus et les méthodes d’enseignement, la vie scolaire et ses rythmes, enfin le comportement des élèves : ceux-ci doivent s’abstenir de faire ostentation de leurs convictions. Nul ne peut exciper de ses croyances pour s’exonérer de la règle commune.

Précisons que cette conception de la laïcité, si ferme soit-elle, n’est pas une arme braquée contre la foi religieuse. Nombre de membres du CSL sont croyants ou restés proches de leurs sources spirituelles. Je conserve personnellement un grand attachement et une grande tendresse pour la tradition chrétienne de mon enfance. Nous n’avons rien à voir avec les laïcards qui s’acharnent, au contentieux, contre la statue de Saint-Michel [1].

Pour autant, nous sommes résolument partisans de la séparation entre le temporel et le spirituel. La religion a comme domaines le for intérieur, la famille, les lieux de culte et ce qu’on appelle les « entreprises de conviction ». Elle doit se faire discrète dans l’espace public, plus encore dans la sphère publique et surtout à l’école publique.

La religion dominante a eu du mal à y consentir, mais son ADN évangélique s’y prêtait : "Tu rendras à César ce qui appartient à César." L’islam a plus de mal, car la pratique musulmane demande à s’extérioriser. Nous devons l’aider à s’acclimater, non céder à ses exigences par une complaisance qui exacerberait les tensions. L’équilibre de la société française est en jeu.

Notre conception de la laïcité à l’école publique se rattache à une conception plus large de la laïcité : la laïcité dans la Nation. Nous pensons que la laïcité est un principe d’organisation nationale en lien étroit avec chaque item de la devise de la République :

  • Le lien avec la liberté, c’est la construction de l’autonomie de la personne et de l’esprit critique, tout particulièrement à l’école, grâce à l’apprentissage de disciplines dégagées des croyances, grâce à la mise à distance des assignations identitaires, grâce au « droit d’être différent de sa différence »  ;
  • Le lien avec l’égalité, c’est la commune appartenance à la Nation et le partage de la citoyenneté, de ses devoirs comme de ses droits  ;
  • Le lien avec la fraternité, c’est ce souci d’autrui qui me conduit à privilégier ce qui nous rassemble et à mettre au second plan ce qui pourrait nous opposer ou même simplement le gêner. Ce qu’on peut appeler le « pacte de discrétion ».

Le chef de l’Etat avait utilisé une belle formule pour définir cette laïcité qui est philosophique plus encore que juridique : « Laisser à la porte les représentations spirituelles de chacun, pour définir un projet temporel commun ». Dira-t-on, avec tel nouveau membre du CSL, que c’est là définir une laïcité carcan  ?

Cette ligne était tenue par Jean-Michel Blanquer. Elle ne l’est plus, ce n’est pas un mystère, par l’actuel ministre de l’Education.

Du coup, tous ceux qui, à des degrés divers, voient dans la laïcité une vieillerie, un corset, un obstacle au vivre-ensemble, voire le pavillon de complaisance du néo-colonialisme et de l’islamophobie, ont repris du poil de la bête.

Sans faire de procès d’intention, cet état d’esprit me semble partagé, à des degrés divers, par certains des nouveaux membres du CSL.

Pour le CSL, dans sa composition actuelle, la laïcité est la condition de l’intégration des populations, non un obstacle au « vivre-ensemble ». La laïcité, entendue comme une stricte obligation de neutralité dans la sphère scolaire, est non un héritage encombrant, mais une condition de la cohésion sociale particulièrement nécessaire à notre temps.

Jusqu’ici consensuelle au sein du CSL, cette vision universaliste de la laïcité va désormais faire l’objet de disputes en son sein. Or, elle est indispensable à la vigueur et à la cohérence de son action, qui n’ont pas été prises en défaut à ce jour.

La présidente du CSL (Dominique Schnapper), les deux secrétaires généraux (Alain Seksig et Iannis Roder) et ses membres actuels ont admirablement payé de leurs personnes jusqu’ici. Ils se maintiennent pour sauver ce qui peut l’être et éviter la reconstitution d’un Observatoire de la laïcité tenant d’une laïcité édulcorée, retournée comme un gant (sous prétexte de lutte contre les discriminations). J’admire leur courage, mais je me sens personnellement trop las et trop pessimiste pour guerroyer à leurs côtés."

[1Voir le dossier Les Sables-d’Olonne dans Localités dans la rubrique Séparation. Loi de 1905, art. 28 : "Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions" (note du CLR).



Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales