Haut Conseil à l’Intégration

Séminaire du HCI "Laïcité dans la fonction publique" (9 déc. 11) : intervention de Patrick Kessel

Président du CLR 16 janvier 2012

Intervention de Patrick Kessel, président du CLR, au séminaire "Laïcité : de la définition du principe à son application pratique dans la fonction publique" (Haut Conseil à l’Intégration, Paris, 8 et 9 déc. 11).

Ce colloque est une belle façon de fêter l’anniversaire de la loi de 1905. Il s’inscrit également dans la lignée de la création, il y a vingt ans, du Comité Laïcité République. Nous n’imaginions pas à l’époque que vingt ans plus tard, la laïcité demeurerait un thème aussi vif.

Je vous proposerai une approche plus idéologique que les précédentes, mais aussi plus proche de celle qui est perçue par l’ensemble de nos concitoyens. Pour rencontrer de nombreuses associations en province, je peux témoigner de l’énorme décalage qui oppose sur le sujet l’opinion publique de l’opinion publique telle qu’elle est relayée par les médias.

L’actualité nous sert. Des pièces de théâtres jugées blasphématoires sont données sous protection de la police. Des journaux satiriques sont brûlés lorsqu’ils caricaturent des figures religieuses emblématiques. Par ailleurs, nous voyons le risque que les "printemps arabes" que nous avons soutenus ne débouchent sur des automnes islamistes. La laïcité est interpellée au quotidien sans que la presse ne fasse montre d’assez de rigueur dans son approche de ces sujets.

Il convient cependant de rappeler que la laïcité n’est pas la religion des non-croyants, mais la liberté d’avoir une opinion. Il s’agit là d’une valeur essentielle liée à la Révolution française et aux Lumières. Les femmes et les hommes sont désormais libres et égaux en droit et la laïcité est au service de cette éthique. Les républicains définissent la nation comme l’ensemble des femmes et les hommes libres et égaux en droit et non pas comme l’addition de communautés.

La laïcité est d’abord liée à l’idée de citoyenneté. La première fonction de l’école publique est de former les citoyens à la citoyenneté. Cela explique qu’il y ait eu une longue guerre entre l’Eglise et la République avant de décider qui aurait la responsabilité de l’éducation des enfants. L’universalisme de la citoyenneté est en jeu dans la question du service public. De ce fait, les élèves sont citoyens avant que d’être chrétiens ou musulmans… Or, depuis la Seconde Guerre mondiale, plusieurs lois sont venues rééquilibrer la responsabilité de l’éducation scolaire au profit des institutions religieuses. Cela met en danger la laïcité.

Deux types de déni de laïcité sont aujourd’hui actifs. Il y a d’un côté les ennemis de la République et de l’universalisme. Pour eux, l’identité nationale doit être blanche, catholique apostolique et romaine. Pour eux, la laïcité est l’ennemie de l’Eglise. A cet égard il est frappant que le débat sur l’identité nationale est venu polluer le débat sur la laïcité. Pour d’autres, laïcité rime avec islamophobie.

Il convient cependant de rappeler, comme l’a fait Catherine Kintzler, que la laïcité n’est pas antireligieuse. Bien au contraire, la laïcité garantit le libre exercice des cultes comme le rappelle la loi de 1905. Cependant, c’est la liberté de conscience qui garantit la liberté de culte et non l’inverse. La laïcité n’interdit pas la religion. Elle garantit même la libre expression des religions minoritaires, ce qui est rarement le cas dans un pays où la religion est d’Etat. De ce fait, la laïcité est souvent défendue par des hommes et des femmes qui ont la foi. La laïcité est d’abord l’école de la liberté absolue de conscience. La laïcité n’interdit pas, mais elle sépare ce qui relève du public et du privé, de l’Etat et du religieux. Comme le disait Victor Hugo : « L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle ».

La laïcité n’est pas menacée par la pratique religieuse. Cependant, il est important que ceux qui sont chargés de faire appliquer les lois laïques continuent de le faire. Les divers services publics sont aujourd’hui confrontés à de grandes difficultés pour faire respecter la laïcité. Pour faire écho à cet embarras, deux grands rapports ont été publiés ces dernières années.

Le rapport Obin a été réalisé par une douzaine d’inspecteurs généraux de l’Education nationale. Il s’est fait connaître grâce à l’action d’Alain Seksig. Ce rapport rend compte de la situation catastrophique de la laïcité dans les quartiers et dans l’école publique. Il convient de faire connaître cette situation en assumant une posture politiquement incorrecte. Rester muet dans cette situation reviendrait à faire le lit du populisme. Le rapport aborde la situation dans les hôpitaux, la situation dans les quartiers, la situation des jeunes filles, la situation des droits de la femme dans certains quartiers. Il faudra aborder dans le débat à venir les solutions politiques pour renforcer la foi laïque de l’identité nationale.

Le rapport du HCI montre à son tour que la question de la laïcité ne se pose plus seulement dans le service public, mais aussi dans les entreprises. Dans de nombreuses entreprises de moins de cent salariés, les conflits sociaux prennent des formes de conflits de communautés et d’appartenances religieuses.

Les problèmes de laïcité que nous relevons s’additionnent dans un contexte idéologique très difficile. Il est bien que la laïcité revienne sur le devant de la scène, mais cela se fait dans une grande confusion. On entend actuellement parler de « laïcité ouverte », de « laïcité sereine », de « laïcité revisitée », de « laïcité nouvelle », de « laïcité positive »…

Cependant, à chaque fois qu’un qualificatif est ajouté à un mot pour lui donner plus de sens, cela finit paradoxalement par lui en enlever. Le trivial exemple de l’expression « je t’aime » est caractéristique à cet égard, puisque « je t’aime bien » peut signifier le contraire de « je t’aime ». De la même manière, ces nouvelles expressions associées à la laïcité visent souvent à contourner la loi de 1905 et notamment son article 2 qui stipule que la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte.

Aujourd’hui, de nombreux pouvoirs locaux financent des associations cultuelles sous couvert de financer des associations culturelles. Si cela est parfois compréhensible, cela s’avère souvent intolérable. Les pouvoirs publics n’ont pas à financer les commandos anti-IVG catholiques. Ils n’ont pas non plus à financer des associations islamistes qui, sous couvert d’alphabétisation, empêchent certaines femmes de s’émanciper. Par ailleurs, de nombreux types de discriminations positives remettent également en cause l’idée fondamentale d’universalisme précédemment évoquée.

D’autres mesures inquiétantes émanent d’une récente série d’évolutions réglementaires. Ainsi en est-il de la reconnaissance des diplômes du Vatican. Je citerais encore la circulaire du 21 avril 2011 du ministre de l’Intérieur. Elle mandate les Préfets pour qu’ils organisent une conférence départementale des libertés religieuses dans chaque département. Il s’agit là de réinsertion du religieux dans la sphère publique. Cela produit des mini-concordats locaux sans fondement réglementaire qui portent atteinte à la laïcité. Par ailleurs l’évolution des avis et des arrêts du Conseil d’Etat sur la laïcité, en particulier ceux de juillet 2011, est particulièrement inquiétante.

De ce fait, au nom d’une vingtaine d’associations laïques, le Comité Laïcité-République a demandé que les candidats à l’élection présidentielle s’engagent à intégrer dans la Constitution les principes des deux premiers articles de la loi de 1905. Dès lors, nous aurons les moyens juridiques de faire respecter la laïcité et de redonner sens à la citoyenneté et aux valeurs universalistes de la République.

Patrick KESSEL,

président du Comité Laïcité République,

membre du groupe de réflexion et de propositions sur la laïcité auprès du HCI.


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