Chronique

Guy Konopnicki : “La France des diverses cités” (Marianne, 28 juin 08)

2 juillet 2008

La commission chargée de moderniser le préambule de la Constitution ne remettra pas son rapport avant l’automne. La tâche semble plus complexe que ne l’imaginait Nicolas Sarkozy en confiant à Simone Veil la direction de ce groupe de travail chargé d’intégrer la reconnaissance de la diversité française à l’énoncé des principes de la République, une et indivisible. La diversité a frappé très fort dans un quartier de Paris où, depuis plus d’un siècle, toutes les immigrations s’intégraient [1].

A cet endroit, les jeunes juifs se promènent avec des signes distinctifs, ce qui n’est pourtant plus obligatoire depuis la reddition du général Von Choltitz, le 25 août 1944. D’autres jeunes gens, souvent affublés d’oripeaux identitaires, leurs disputent des territoires stratégiques, situés entre le Guignol et la pièce d’eau du parc des Buttes-Chaumont. Ça, c’est Paris aujourd’hui. Au pied des Buttes, tout est calme. On ne signale pas d’affontements sur la ligne de démarcation qui sépare les quartiers hétéros friqués du réduit gay branché.

Dans la capitale des « diversités », les groupes ennemis s’accrochent à leurs origines. Jadis, la municipalité de Paris a tout fait pour conforter les groupes et creuser les différences. Le maire, Jacques Chirac, alors soutenu par les élus socialistes, a favorisé et soutenu financièrement l’implantation dans le XIXe arrondissement, du plus grand lycée loubavitch d’Europe. Jusque-là, les juifs d’Europe orientale qui s’installaient à Paris abandonnaient les obscures traditions de Pologne et d’Ukraine, barbes, papillotes, caftans et chapeaux. Ils parlaient parfois un français incertain, mais entre le boulevard de Belleville et les Buttes-Chaumont on rencontrait rarement des juifs vêtus comme leurs ancêtres des ghettos. Aujourd’hui, on pourrait croire que la rue de Crimée doit son nom à une population qui semble sortir des Contes d’Odessa d’Isaac Babel. On ne saurait pourtant parler de retour des traditions. Les descendants des immigrés de Pologne et de l’Empire russe sont intégrés depuis longtemps, on les rencontre plus souvent à Saint-Germain-des-Prés que dans la rue de Crimée. Pour des mystérieuses raisons, les juifs venus du Sud se sont déguisés en ashkénazes de 1905 pour prendre leur part de ghetto en plein Paris.

L’immigration juive d’autrefois était, en tous domaines, un modèle d’intégration. Elle n’enfermait pas ses enfants dans les écoles confessionnelles. Trop heureux de trouver un pays où l’école et l’université ignoraient les discriminations, les immigrés juifs attachaient le plus grand prix à la réussite scolaire. Ils ne réclamaient pas des cantines casher, moins encore des établissements où l’on peut prier cinq fois par jour [2]. Ils aimaient cette école laïque qui permettait aux gosses des tailleurs polacks de devenir médecins, ingénieurs, d’intégrer l’aristocratie républicaine, celle du mérite et du concours.

Aujourd’hui dans ces mêmes quartiers où les jeunes juifs, vivant souvent dans des taudis, se préparaient à des études supérieures, on isole les enfants, de la crèche au lycée. On les enferme dans des écoles confessionnelles. Et cette désintégration a été conçue, financée par la Ville de Paris et par l’État. Des ministres socialistes ont accordé le bénéfice du contrat à des établissements où le costume religieux est obligatoire, la mixité interdite et où l’on prend des libertés avec l’enseignement de l’histoire et celui des sciences de la nature. Les élus parisiens, de droite et de gauche ont subventionné l’obscurantisme. Ils ont détruit ces pépinières de la République qu’étaient les quartiers populaires de Paris.

Alors, il y a des bandes, des affrontements. Tout le monde s’indigne, mais, quand on construit des ghettos, on prépare les pogroms.


Voir les rubriques rubrique 148 (dans Discriminations), Séparation, Ecole (note du CLR).


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