Revue de presse

G. Konopnicki : "La vertu, Thermidor et le homard" (Marianne, 19 juil. 19)

10 août 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Une recette de homard, élaborée près de cent ans après la chute de l’Incorruptible, célébrait thermidor et l’esprit muscadin, en un temps qui voyait les républicains revendiquer l’héritage et la vertu des jacobins. La photo de cinq crustacés géants posés sur la table de l’hôtel de Lassay avec de grands crus de Gironde, classe donc aussitôt M. François Goullet de Rugy parmi les jouisseurs des palais nationaux accaparant le bien public. Certes, nous ne sortons pas, loin s’en faut, d’une période où la vertu armait la Terreur, mais il y a une ambiance très Directoire sous ce gouvernement affairé à lever toutes les entraves à l’enrichissement d’une partie des citoyens. Et, comme sous le Directoire, ceux qui hier affichaient leur austérité, professant, comme de Rugy, une écologie fille du jansénisme, ne sont pas les derniers à croquer les joies du pouvoir avec un appétit de parvenus.

Cela s’est déjà vu en d’autres affaires, le personnel politique d’Emmanuel Macron manque d’un sens indispensable en politique, celui du symbole. Laurent Joffrin remarque fort justement dans Libération que le scandale n’aurait sans doute pas éclaté si l’on avait servi, à l’hôtel de Lassay, des soles normandes, dont le prix n’est pas inférieur à celui du homard. Mais il s’agissait d’un symbole du luxe.

Les vertus outragées me laissent toutefois songeur. Je lis, j’entends des protestations de gens que l’on surprend rarement à salir leurs manches sur la nappe graisseuse d’un boui-boui de banlieue. Il me semble avoir croisé certains gardiens des mœurs dans les réceptions et autres déjeuners donnés par les présidents et les ministres, sous les ors de la République et aux frais du contribuable. Dans l’ancien temps, bien sûr, celui des garden-parties de l’Elysée, des inaugurations de manifestations culturelles et autres réceptions de personnalités étrangères. Chacun, bien sûr, estimait être bien à sa place, légitimement invité, pour sa fonction politique, son influence éditoriale ou sa très haute qualité d’universitaire, d’écrivain et d’artiste.

N’ayant pas l’âme d’un délateur, je n’en citerai aucun, si ce n’est moi-même. Je reconnais avoir goûté les meilleurs crus des caves de l’Assemblée nationale, à l’invitation de son président d’alors, qui était également maire de Bordeaux. Jacques Chaban-Delmas, car c’était lui, ne dissimulait nullement le but de ces invitation, à savoir la promotion de la part de génie français concentrée dans chaque bouteille issue des chais de ses électeurs. Maintenant le convive rougit aussi sûrement que le homard, sort délicatement son téléphone et balance la photo de la table sur les réseaux sociaux. Même s’il révèle un véritable scandale, ce convive est tout de même un goujat. Dès que la photo circule, chacun se doit d’exprimer son indignation.

Les plus vertueux des donneurs de leçons ne voient aucun inconvénient à bénéficier de l’exploitation d’un Africain à peine rémunéré au Smic, qui transpire sang et eau sur son vélo pour leur livrer à domicile un repas végétarien bio. Le luxe des nouveaux bourgeois n’est pas le crustacé, mais la carotte issue de l’agriculture biologique, la courge cultivée sans engrais et les céréales sans pesticides, plantées à la main et récoltées à la faux. Le tout cuisiné et livré par une entreprise moderne reliée par smartphone à son personnel et ses clients.

Le néobourgeois, inquiet pour la planète et plus encore pour son propre organisme, ne se montre pas ripaillant dans des établissement de bon aloi, il consomme à domicile, sans la moindre considération pour le personnel invisible qui prépare ses repas. Il n’aperçoit que le livreur, et prend prétexte de la moindre minute de retard pour ne pas sortir une seule piécette de pourboire.

La morale, élevée au dessus du droit, serait, nous dit-on, suffisante pour éliminer tout homme politique qui la transgresse sans pour autant commettre de délit. Cette grande idée, répétée depuis la révélation des homards, me glace tout autant que les modèles nordiques de moralité politique. Les hommes politiques devraient être irréprochables, menacés qu’ils sont de tout perdre à la moindre faute. Comme s’il existait, de par le monde, une seule femme, un seul homme irréprochable. Comme si les citoyens ne s’arrangeaient pas eux-mêmes avec la morale, eux qui réélisent les corrompus en connaissance de cause. La vertu au pouvoir, cela s’est vu sous Robespierre. A tout prendre, je préfère le homard Thermidor !"

Lire "Homardgate : la vertu au pouvoir, cela s’est vu sous Robespierre".



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