Revue de presse

N. Polony : "Rugy et Mediapart : le tribun, la tribune et le tribunal" (Marianne, 19 juil. 19)

Natacha Polony, journaliste, essayiste, directrice de la rédaction de "Marianne", fondatrice de polony.tv 31 juillet 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"[…] "Il aurait dû tirer les conséquences dès nos premières informations, estime Edwy Plenel, mais il s’est entêté." Comment donc ? L’homme a voulu se défendre ? il n’a pas obtempéré face à la sentence de l’inquisiteur suprême de la morale publique ? On reste légèrement gêné face aux jugements en forme de couperet de notre Fouquier-Tinville du journalisme, même quand on apprécie le travail de ses enquêteurs. Sans doute parce qu’on perçoit dans les accents accusateurs du patron de Mediapart quelque chose qui relève moins de la fierté que d’une forme d’hubris devant ce pouvoir vertigineux du tombeur de puissants qui va jusqu’à écrire au procureur de la République pour réclamer des poursuites contre Jérôme Cahuzac. La technique de feuilletonnage qui permet à Mediapart d’augmenter son audience en enserrant la cible dans une nasse est une arme redoutable. Mais nous appartient-il à nous, journalistes, d’user d’armes ? Les informations qui sont d’utilité publique méritent d’être mises sur la table immédiatement et dans leur totalité. Ne serait-ce que parce que, parmi les droits démocratiques du mis en cause, il y a l’accès aux pièces du dossier.

La presse est un contre-pouvoir essentiel, mais elle-même n’a pas de contre-pouvoir, de sorte que les citoyens, heureux de voir dénoncer les excès ou les malversations de leurs élus, sont privés des moyens de fixer eux-mêmes les limites, c’est-à-dire de hiérarchiser ce qui tombe sous le coup de la loi et ce qui heurte la morale, de différencier les copinages peu reluisants et les dangereuses connivences entre le monde politique et celui des affaires. Là est sans doute le cœur du problème. Le mélange des pinces de François de Rugy à l’hôtel de Lassay est problématique. Mais les repas organisés à Bercy par Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, pour préparer son entrée en campagne, jusqu’à mobiliser de janvier à août 2016 80% des frais de représentation du ministère, relèvent d’une confusion des genres plus problématique encore. Car on entre là dans l’ordre du politique.

Le rôle des journalistes est moins de dénoncer des individus que de raconter comment une oligarchie peut parfois instrumentaliser la démocratie pour préserver ses intérêts. Comment des puissances industrielles ou financières peuvent utiliser leur entregent pour confisquer à leur profit ce qui appartient au bien commun. Comment, surtout, des choix politiques perpétuent, voire creusent, les inégalités. Quant à François de Rugy, le pire qu’il ait fait n’est pas d’avoir mangé du homard mais bien d’avoir, au nom du marché, entériné le détricotage de la loi Egalim et d’à peu près tous les textes qui prétendaient limiter les appétits des plus gros fossoyeurs de la planète."

Lire "Rugy et Mediapart : le tribun, la tribune et le tribunal".



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