Revue de presse

G. Chevrier : "Toutes ces erreurs que le Défenseur des droits commet dans son rapport sur la discrimination en France" (atlantico.fr , 26 juin 20)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 27 juillet 2020

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Quelle analyse portez-vous sur le rapport sur la discrimination présenté par Jacques Toubon ? Quels en sont les manques ?

Guylain Chevrier : Le rapport, intitulé « Discriminations et origines : l’urgence d’agir », du Défenseur des droits, expose que « Les personnes d’origine étrangère ou perçues comme telles sont désavantagées dans l’accès à l’emploi ou au logement et plus exposées au chômage, à la précarité, au mal logement, aux contrôles policiers, à un état de santé dégradé et aux inégalités scolaires », souligne une « dimension systémique » des discriminations en France, mettant en cause les « droits fondamentaux » de « millions » de personnes et la « cohésion sociale » comme la presse le rapporte. Lorsqu’on regarde de près son dernier rapport annuel, on constate des chiffres extrêmement faibles, seulement 5 448 réclamations en baisse (5 631 en 2018) et seules 14,5% concernent l’origine, les convictions religieuses, 2,6%. D’où vient le mystère de ce paradoxe aux lourdes conséquences ? Le rapport sur le même thème de la CNCDH qui s’inspire fortement de la lecture du dernier rapport annuel du Défenseur des droits présente la même contradiction. La première remarque d’évidence, est la décontextualisation des faits rapportés d’une analyse sociale d’ensemble, ou alors seulement pour avancer le concept « d’intersectionnalité » cher aux indigénistes et autres décoloniaux. Une étude statistique du ministère de l’Intérieur portant sur le diplôme selon le lien à la migration et les origines sociales permet aisément de montrer que tous les problèmes ne sauraient être rapportés à des causes discriminatoires, pour justifier leur caractère « systématique. », « Près d’un quart des parents d’immigrés n’a jamais été scolarisé. » sans compter qu’ils sont nombreux à ne pas maitriser le français. La France est-elle responsable d’une situation de fait qui précède l’accueil sur son territoire plus défavorable aux immigrés qu’à ceux déjà intégrés ou vis-à-vis des Français qui le sont depuis plusieurs générations ? « En tenant compte des différences de sexe, d’âge, d’origine sociale, du niveau d’études des parents et du lieu de résidence, l’obtention d’un diplôme du supérieur a les mêmes déterminants chez les immigrés et les personnes sans lien à la migration, bien que le poids de ces déterminants ne soit pas le même. », nous dit encore cette étude.

Entre 2012 et 2017, nous sommes passés de 193.120 titres de séjour délivrés à 262.000, la France est aussi devenue le premier pays en Europe pour le nombre de demandeurs d’asile qui a explosé passant de 80.075 en 2015 à 132.614 en 2019. Ceci sans une manifestation significative contre les immigrés. Sont-ce là les signes d’un pays raciste ? Ce n’est pas sérieux. Les déboutés du droit d’asile, les deux tiers, restent pour la plupart sur le territoire français en irrégularité et donc sous un statut de précarité qui favorise les situations négatives et dégradée d’existence. Plus de la moitié des « sans domicile fixe » sont ainsi des immigrés. La couverture santé au titre de l’Aide médicale d’Etat (AME) qui concerne 300.000 personnes « étrangères sans papiers ou en situation précaire de séjour" auxquels on donne cette protection au bout de trois mois passé sur notre territoire, révèle l’ampleur du problème. On s’imagine effectivement que ces personnes vivent dans des conditions qui ne sont pas bonnes, mais est-ce encore la faute de la France ? Crier aux discriminations tous azimuts sans analyser cela pose tout de même problème.

On parle de surexposition aux contrôles policiers des immigrés ou de leurs descendants, dit « contrôle au faciès », qui prédestine ainsi tout contrôle de ces personnes à être considéré comme discriminatoire, comme l’affirme la CNCDH et le Défenseur des droits. Les policiers dont la tâche est de faire respecter le droit, ont dans leurs missions le contrôle du statut de légalité des personnes se trouvant sur notre territoire. Est-ce du racisme ? Au vu de la délinquance qui explose dans certains quartiers à forte proportion immigrée, spécialement chez les jeunes, n’est-il pas logique que là où les policiers interviennent dans ce contexte ils soient amenés à plus les contrôler ? Et si on contrôle plus certains que d’autres, dans des procédures de police, tant que les personnes contrôlées sont en situation régulière et n’ont rien à se reprocher, et qu’il n’y a pas d’abus de pouvoir, où est le problème ? Evidemment cela demande aussi le respect d’une déontologie, de toutes les personnes. Les abus qui existent doivent être signalés, sanctionnés avec force, d’autant plus qu’il s’agit de représentants de la loi. On encourage à penser que nous aurions en France une police minée par le racisme, mais elle est aujourd’hui à l’image de notre société très diverse, en reflet de ce policier musulman pratiquant qui s’exclamait récemment dans le Parisien pour dire je « n’en peux plus des soupçons de racisme ! ».

Selon le Défenseur des droits, « près de la moitié des hommes actifs vus comme noirs, arabes ou asiatiques (48%) déclarent avoir été discriminés (tous critères confondus) dans le monde professionnel contre 24% de ceux qui sont vus comme blancs. » Pour justifier cette vision qu’on le veuille ou non subjective, qui présente le monde du travail comme un enfer traversé par discriminations dites « systémiques », relayant un autre concept des indigénistes et décoloniaux, il prend l’exemple de 25 travailleurs maliens en situation irrégulière sur un chantier de construction. Sur celui-ci, les travailleurs en question, irréguliers, ont été exposés à des risques et des accidents, révélant que leurs encadrants étaient deux personnes d’origine maghrébine et au-dessus d’eux les patrons. Ce qui a pu être interprété comme une organisation pyramidale discriminatoire, dont la conjoncture a été étayée par un sociologue politiquement très engagé défendant cette lecture, jugée recevable par le tribunal. Fait isolé, qui pourrait le cas échéant exister ailleurs, mais ne peut-être ainsi interprété pour généraliser cela au monde du travail. D’autant que, bien plus que la volonté discriminatoire, il est avant tout ici question d’exploitation de personnes en situation irrégulière et donc facilement soumises aux exigences de patrons peu scrupuleux.

Concernant le fait que les personnes dont le nom est à consonnance africaine aient moins de chances d’avoir un logement dans le privé, selon certaines enquêtes en testing, on ne saurait seulement avancer des intentions racistes qui sont l’arbre qui cache la forêt. Il est certain que l’image qui colle à ces personnes accueillies massivement dans le parc social, un peu en vase clos puisque l’on en a fait fuir les classes moyennes et donc la mixité sociale, avec des problèmes d’éducation voire d’intégration parfois bien réel, ne leur est pas favorable. Par-delà l’intention raciste qui peut exister, des acteurs économiques peuvent aussi se mettre dans une position de principe de précaution qui bloque parfois au regard de cette perception, inquiets des conséquences éventuelles à gérer. Il serait peut-être plus efficace d’agir sur les causes qui fabriquent ces représentations. Aussi, à force de faire monter ce procès en discrimination, on pousse à craindre un risque de contentieux sur l’argument du racisme à la première difficulté, ce qui contribue à produire des stratégies d’évitement. Pire, le Défenseur des droits appelle le législateur à modifier la loi pour faciliter les conditions de condamnation pour discrimination en matière pénale par le fait d’« alléger la preuve exigée » en permettant « le recours à certaines présomptions de faits ». Autrement dit, la victime aurait seulement à démontrer avoir subi un dommage, ce serait ensuite au défendeur de démontrer que celui-ci n’est pas fondé sur une discrimination. Ne rentre-on pas là dans une logique de discrimination positive dangereuse, créant un risque de contentieux permanent face à la personne vue comme immigrée, poussant au séparatisme et au ressentiment ? Ce sont 6107 affaires de discriminations qui viennent devant les tribunaux, dont environ 10% sont condamnées. Mais ce chiffre ne correspond pas à l’idée de victimisation, de toute évidence, qui guide la pensée de ce rapport.

Jacques Toubon souligne dans son rapport le désintéressement des politiques publiques des questions discriminatoires au profit des questions sécuritaires, de laïcité ou de déradicalisation. Partagez-vous ce point de vue ?

Le Défenseur des droits oppose de drôles de choses : « Dans un contexte politico-médiatique dominé par les débats autour de la lutte contre le terrorisme et de la laïcité, les discriminations en raison des convictions religieuses ne cessent d’augmenter » affirme-t-il. « 1% des personnes déclaraient des discriminations en raison de la religion en 2008 contre 5% en 2016 » (3,7% en réalité selon son rapport de 2016). Cette augmentation dite « considérable » (5% de 5203 réclamations, donc un impact qui reste extrêmement faible) « a principalement concerné les personnes de confession musulmane, traduisant une stigmatisation de plus en plus marquée à leur encontre. » dit-il. Il a vu ainsi apparaitre « la construction de nouvelles figures : « les Roms », « le jeune homme de banlieue, noir ou maghrébin », et « la femme voilée… » On reste sans voix. La laïcité n’a cessé d’être attaquée avec la volonté d’adapter la loi de 1905 à la montée des affirmations identitaires, particulièrement de l’islam, comme le président de la République l’a proposé, puis, a été amené à reculer. La lutte contre le terrorisme n’est pas une lune, mais une nécessité alors qu’il ne se passe pratiquement pas un mois sans un attentat en France. Opposer la laïcité et la lutte contre le terrorisme à une montée des discriminations qui n’auraient pu être prises en compte par les pouvoirs publics, est assez effroyable. Lecture susceptible d’encourager une victimisation qui ne pèsent pas pour rien dans la radicalisation.

Dans ce prolongement, il évacue la question du racisme antiblancs, et ce, malgré les appels au meurtre contre les blancs d’un Nick Conrad avec son clip « Pendez les blancs » relayés par toute une frange de la banlieue, ou encore l’action de la Ligue de Défense Noire Africaine se faisant applaudir devant l’ambassade d’Afrique du sud, en appelant les noires de ce pays qui s’entretuent à plutôt tuer les blancs. La LDNA avec le CRAN et le soutien inconditionnel de Rokhaya Diallo, l’égérie du nouvel « antiracisme » antiblancs, ont imposés, par rapport de force physique, la censure d’une pièce d’Eschyle, « les suppliantes », à la Sorbonne, parce que les comédiens s’étaient grimés en noir comme dans l’antiquité, pratique assimilée ici de façon ridicule à un Blackface par dénaturation du sens de l’histoire. Rien n’arrête ces militants qui entendent réécrire l’histoire sous leur logique raciale. Les interdits que subissent des universitaires face aux décoloniaux et autres indigénistes, parce qu’ils ne partagent pas leurs thèses, néant. Ce qui a pourtant poussé à la création, avec des centaines d’enseignants du supérieur et chercheurs, du réseau « Vigilance universités ». Rien dans le prolongement de ce qu’a vécu la jeune lycéenne Mila, qui, pour avoir critiqué vertement l’islam pour son caractère discriminatoire envers les sexes, a pu se voir menacée sur les réseaux sociaux d’être égorgée au nom d’Allah, au point de devoir changer de lycée, s’effacer du décor. Rien sur les conséquences du communautarisme, de la monté de l’islam politique et des groupes de pression qui imposent par le regard du quartier combien de discriminations au nom du respect d’interdits religieux…

Ce rapport reprend également à son compte certains arguments que l’on peut retrouver parmi les figures indigénistes, qui tendent à essentialiser la question des discriminations. Comment l’expliquer ?

Le Défenseur des droits nous dit que « Les discriminations liées à l’origine dans l’emploi doivent être replacées dans le contexte plus large des déséquilibres socio-économiques actuels et de l’histoire de l’immigration postcoloniale en France. Dans les années 1960, le recours à une main d’œuvre étrangère en provenance notamment des anciennes colonies a favorisé le développement d’une stratification du marché du travail, les ouvriers étrangers étant massivement concentrés dans les emplois peu qualifiés, précaires et faiblement rémunérateurs (…) Depuis, ces phénomènes ségrégatifs perdurent dans un contexte de concurrence économique exacerbée et de chômage de masse. » Ainsi, rien n’aurait bougé depuis la fin de la colonisation, vraiment ? Comment alors expliquer qu’a classe sociale égale les enfants d’immigrés réussissent aujourd’hui aussi bien que les enfants des non-immigrés, selon l’Observatoire des inégalités ? Et aussi que la promotion sociale ait fabriquée des classes moyennes qui n’existaient alors pas et ont totalement redistribué les cartes de l‘organisation économique et sociale de la France, dont tous ont profité y compris les immigrés, qui appartiennent à présent à toutes les couches de la société ? "Si les discriminations peuvent parfois être la manifestation d’une volonté assumée et consciente de désavantager une ou plusieurs personnes, les traitements discriminatoires sont la plupart du temps le résultat de réflexes et processus qui ne sont pas intentionnels" explique-t-il. N’est-ce pas ce que disent les racialistes qui accusent les blancs d’être consciemment ou inconsciemment les oppresseurs de minorités raciales, dans le prolongement de l’héritage colonial, dont ils demandent la reconnaissance en droit contre nos principes et valeurs. Jacques Toubon oublie aussi au passage que la France est ce pays qui a manifesté le plus contre le colonialisme, avec des morts bien français au métro Charonne le 8 février 1962 pour la paix en Algérie, montrant que l’on ne saurait tirer des grands traits sur l’histoire pour la théoriser dans le sens de ce que l’on veut prouver, en l’essentialisant. La crise économique semble ne pas exister comme paramètre essentiel perdurant depuis maintenant plusieurs décennies, du point de vue de son impact sur la vie de ceux qui partent avec plus de difficultés que les autres, les immigrés bien sûr mais aussi les catégories sociales défavorisées dont bien des Français de longue date font partie, qui subissent la désindustrialisation et la désertification des campagnes avec la suppression des services de l’Etat. La France n’a jamais été un pays de ségrégation, ni au moment de la décolonisation ni a fortiori aujourd’hui.

« Les discriminations fondées sur l’origine en France représentent une atteinte profonde à la réalisation du pacte républicain. Trop longtemps négligés par les pouvoirs publics, ces enjeux fragilisent la société toute entière et menacent l’égale dignité de tous et de toutes », avance-t-il, pour proposer la création d’un Observatoire des discriminations. Mais à grossir ainsi le trait en faisant des discriminations le problème principal des immigrés et de leurs descendants, sans prendre en compte ni le contexte ni les causes générales propres aux inégalités sociales globales, on rabat sur les discriminations une action de correction qui concerne l’ensemble des membres de notre société, on en fait un cas à part, prioritaire, opposable à l’ensemble des autres. L’absence aussi dans l’analyse du couple « droits et devoirs », sous le signe d’une victimisation de l’immigré qui semble en justifier l’économie, impacte en réalité l’idée même du contrat social, qui procède d’un engagement réciproque entre l’individu et l’Etat, qui seule permet de pousser dans le sens d’une dynamique de l’égalité dont on s’éloigne de plus en plus ici pour aller vers une politique de quotas.

Ce rapport au regard des thèses qui le traversent, et en font un tournant sur la question des discriminations, s’il relève de la bonne conscience souvent soutenue par quelques mauvais procès, s’il passe à côté du but qu’il proclame par excès, rend surtout un service inespéré à un libéralisme mondialisé qui conteste la souveraineté des Etats. Car il favorise un modèle multiculturel anglosaxon de divisions identitaires qui annulent la capacité à agir des forces sociales et de décision des citoyens, dont le corps commun n’existe plus. On voit combien c’est bien la République égalitaire, qui a fait tant d’efforts sur elle-même pour donner une place à chacun et toujours plus les mêmes droits bon an mal an, dont la lutte contre les discriminations est une des dimensions mais une seulement, qui est dans ce rapport, gravement attaquée."

Lire "Toutes ces erreurs que le Défenseur des droits commet dans son rapport sur la discrimination en France".



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