Revue de presse

G. Chevrier : « Stade de France : certains ne partagent plus les valeurs et les règles de leur société » (Le Figaro, 1er juin 22)

Guylain Chevrier, enseignant, formateur, consultant, ancien membre de la mission Laïcité du Haut Conseil à l’Intégration, vice-président du Comité Laïcité République. 2 juin 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Panique, tirs de gaz lacrymogène, pickpockets, des individus qui escaladent impunément les grilles du Stade de France : la finale de la Ligue des champions a été un drôle de spectacle. On retiendra les 170 personnes blessées, une centaine d’interpellations pour des actes de délinquance, particulièrement de mineurs. Et tout particulièrement ce qu’en a dit le maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin : « Il n’y avait pas assez d’effectifs de forces de police pour les problèmes de délinquance (…). Le stade de France était devenu un peu, le haut lieu du rassemblement des voyous de toute l’Île de France… » (TF1, le 30 mai). Un événement censé être une fête a tourné au fiasco.

On parle beaucoup des supporters anglais qui auraient eu en main des faux billets. Ainsi le problème serait venu d’eux. Force est de constater, que ceux qui se sont adonnés aux violences n’avaient rien d’anglais, mais étaient à l’image de ce qu’en dit le maire de Saint-Denis.

C’est l’État de droit qui semble ne plus tenir, parce que certains individus aux comportements hors-norme, ne respectent plus des limites qui faisaient, il y a encore peu, le socle de l’éducation, tenant au respect des autres et des biens collectifs. Un problème récurrent, qui s’est enraciné.

Mais d’où peut donc venir cet état de fait ? Ce qui nous saute à la figure, c’est, de façon de plus en plus flagrante, une socialisation qui n’est plus là.

Cela serait-il attribuable à une condition sociale défavorisée ? En France, il y a bien des dispositifs sociaux destinés à ceux qui sont dans le besoin, de nombreuses prestations familiales qui bénéficient aux familles des quartiers, et de façon générale à ceux en difficulté. C’est lorsque l’on ne partage plus les valeurs et les règles d’une société dans laquelle on vit, que l’on en vient à cette anarchie.

Les ouvriers des années 1950-1960 étaient loin d’être riches, on se lavait encore souvent à la cuvette avec un seul point d’eau dans l’appartement, on comptait ses sous, mais s’ils revendiquaient, ce n’était pas en s’en prenant à d’autres, en les agressant ou en les volant, mais en manifestant pour l’amélioration de leur condition. Pourquoi ? Parce qu’ils partageaient les mêmes repères que leur société, parce qu’ils s’y reconnaissaient, tout en voulant la faire évoluer, comme leur bien. C’est aussi cela qui a été perdu à travers ce que révèlent ces comportements. Le malaise est moins social qu’identitaire.

On a voulu intégrer par les différences, en ménageant les susceptibilités culturelles et religieuses, en laissant croire que l’intégration allait avec le temps marcher toute seule, ce qui a été un échec. D’un côté, on n’a pas assez insisté sur ce qui est à mettre en commun pour faire société, et de l’autre, on n’a pas assez fait pour y faire entrer ces jeunes de plain-pied, quitte à prendre de front la question identitaire.

On s’est trouvé des excuses comme le colonialisme, une France redevable d’on ne sait trop quoi, en croyant acheter à ce prix un semblant de cohésion sociale. On a au contraire encouragé un contentieux et alimenté des fantasmes identitaires. La résistance même de notre République à une logique de communautés séparées, propre au multiculturalisme anglo-saxon, au regard de quoi elle est bien plus exigeante, l’expose régulièrement à un procès en racisme.

La France se fonde avant tout sur des individus de droit, des citoyens, qui portent au-dessus de leurs différences l’idée de liberté, qui va avec ne faire qu’une nation, qu’un peuple. Elle a su dépasser de formidables contradictions devant l’histoire pour donner à tous l’égalité des droits, ce qui dans bien des pays d’origine de ceux qui vivent sur notre sol, en étant arrivés comme étrangers, n’existe pas.

On ne fait pas société en claquant dans les doigts. C’est un travail de fond, qui demande à faire respecter des règles et à relier droits et devoirs. Mais qu’a-t-on fait réellement pour faire passer ce message ? Quel collégien ou lycéen est capable de dire ce que sont les institutions, valeurs et principes de notre République, ce qui la définit, avec les convictions bien accrochées censées y correspondre au regard de ce qu’elle est, des millénaires d’histoire dont elle est le fruit ?

Dans un reportage diffusé sur France 2 intitulé « Les Français, c’est les autres » (février 2016) [1], on interroge une classe de collégiens de banlieue. Tout d’abord, « qui est Français ? », quasiment tous les élèves lèvent alors la main. Puis, « qui se sent Français ? », et là plus rien. On reste sans voix. Les problèmes sociaux ou même de discrimination qui peuvent exister ne sauraient justifier d’en arriver là. Il existe aussi une tendance à mettre toute difficulté au compte des discriminations, à se victimiser, pour justifier d’opposer à l’intégration des affirmations identitaires.

Benzema, qui jouait ce soir-là, est assez symbolique de ce qui peut influencer bien des jeunes des quartiers. Écarté de l’Euro 2016, dans le contexte de l’affaire de chantage présumé à la non-diffusion d’une sextape de Mathieu Valbuena, il avait accusé le sélectionneur français d’avoir cédé « à une partie raciste de la France ». Il a récemment réintégré les Bleus. Daniel Riolo, consultant pour RMC Sport évoque « la cristallisation, autour d’un joueur star, de pas mal de problèmes de notre société », avant d’expliquer que « bon gré mal gré, Benzema est un porte-voix, un symbole. Il incarne le binational en malaise avec la France […] Benzema, c’est la banlieue . Celle dont la France a raté l’intégration ».

Ça résume assez bien la situation finalement. Le foot en lui-même est assez symptomatique de ce que sous-tendent ces débordements, un sport-fric qui fait rêver les quartiers à coups de millions d’euros, qui est dans la démesure, et qui cristallise d’autant plus nombre de frustrations. Le foot est un sport populaire qui peut donner l’exemple, aider à dépasser les préjugés, pour rassembler, fraterniser. Mais cela n’est vrai que si derrière il y a une société qui a du sens, sinon on a ce fatras qui tient des jeux du cirque."

Lire « Violences au Stade de France : certains ne partagent plus les valeurs et les règles d’une société dans laquelle ils vivent ».




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