Revue de presse

G. Chevrier : "Baromètre de la Diversité : l’obsession contreproductive du CSA" (atlantico.fr , 19 jan. 19)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 24 janvier 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Dans son dernier rapport sur la diversité, le CSA se focalise sur la diversité ethnique, en oubliant la relative invisibilité de la France périurbaine, rurale et populaire.

Atlantico - Le rapport du CSA reproche à la télévision de ne pas représenter la France telle qu’elle est, dans sa diversité. Selon Mémona Hintermann-Afféjée, du CSA une représentation plus fidèle "contribue à créer de la cohésion sociale, pour que chacun trouve une image, une représentation de lui-même, qui soit dans le respect, dans la considération. Il faut arrêter d’effacer et d’écraser les classes sociales en France pour sur représenter ceux qui ont du pouvoir". Mais est-ce là le rôle des chaînes de télévision ?

Depuis une trentaine d’années en effet, on a entrepris au CSA une démarche, sous couvert d’égalité des chances, qui met en avant le concept de "diversité", comme valeur nouvelle dans l’ordre des droits humains, en affinité avec la notion de « minorités » qu’on ne cesse de faire monter, comme critère d’analyse de notre société. Ici Mme Mémona Hintermann-Afféjée insiste sur la notion de classes sociales tentant un mouvement de rééquilibrage du discours. Mais c’est bien sous couvert d’un critère de la « diversité » qui biaise déjà largement cette approche, que la notion de « classes sociales » est introduite. Une approche qui se voudrait plus fidèle en termes de répartition de la notoriété en fonction du niveau de pouvoir dans notre société. Cette sortie à connotation marxiste, n’est-elle à mettre en lien avec des Gilets jaunes qui justement brouillent complètement le jeu, en rappelant la prééminence de la question sociale sur celle d’une exigence de la diversité, dans les programmes télévisuels ou ailleurs ? On serait sans doute plus intéressé à ce que le CSA étudie la façon dont certaines idées dominantes sont entretenues par des grands médias de plus en plus discrédités, à n’être trop souvent que la caisse de résonance de celles-ci, via l’AFP, et d’un journalisme vendeur qui, par manque de moyens ou de volonté, est moins dans l’enquête que la mise en scène de ses propres opinions, à grand coups de jugements de valeurs, par effet d’émotion et de raccourcis. Ce qui d’ailleurs conduit de plus en plus de nos concitoyens à se détourner de l’information en adoptant une position de défiance, qui encourage même le complotisme. Rappelons-nous, il n’y a pas si longtemps au journal de France 3, sur une photo servant de décor de fond au journal, l’effacement de pancartes de manifestants en Gilets jaunes du mot « démission » sous celui de « Macron »… Même si la chaine s’en était le lendemain excusée, le mal était fait, dévoilant un état d’esprit de « toute-puissance » des grands médias et spécialement audiovisuels.

La démarche consistant à analyser la population française en la divisant entre "blancs" et "non-blancs" n’est-elle pas critiquable ?

Selon l’enquête, la proportion de personnes perçues comme « non-blanches » est de 17% en 2018. Elle est plus importante dans les fictions (20 %) que dans les autres programmes (sport 11 %, informations 13 %, magazines/documentaires 16 %, divertissement 16 %) nous dit-on. Mais comment se définit cette notion de personne « non-blanche » pour mener cette évaluation ? On comptabilise les personnes noires, arabes, asiatiques, autres… 19% tombent sous ce dernier critère, c’est beaucoup. Nous sommes déjà dans une certaine confusion. Mais puisqu’il n’existe pas de statistiques ethniques en France, sur quel critère de représentativité cela se fonde-t-il ? On voit combien ces éléments de flottement invitent déjà ici à mille précautions qui ne sont nullement prises.

Le Conseil a "inscrit la représentation de la diversité de la société française au cœur de son action en incitant chaque éditeur, tout en tenant compte de sa situation particulière, à favoriser concrètement l’expression de cette diversité". Qu’est-ce à dire ? On s’est lancé dans une démarche de discrimination positive à l’anglo-saxonne dont on connait les conséquences : l’encouragement à se penser d’abord comme appartenant à une communauté d’origine, religieuse, ou de couleur, au titre d’une égalité des chances qui du coup est complètement biaisée, puisqu’elle ne tient compte que de façon très secondaire de la notion de classes sociales. Ceci, même si on tend à proclamer haut et fort cette dernière notion, comme le fait Mme Mémona Hintermann-Afféjée, après l’explosion sociale des Gilets jaunes qui nous dit le contraire de la lecture du CSA classant les uns et les autres entre « blancs » et « non-blancs », où tous sont naturellement mélangés et rassemblés sur des revendications communes de conditions de vie.

Ce critère de « la diversité » est très contestable comme baromètre des inégalités dans ce domaine comme dans d’autres, et est souvent un argument servi comme l’arbre qui cache la forêt. Pour ne prendre que quelques exemples, lorsque l’on parle de la diversité, on parle de toutes les origines, et il se trouve qu’aujourd’hui la moitié de l’immigration en France vient de pays européens, particulièrement de l’Est, donc, des blancs. Seraient-ils exclus de cette lecture de la diversité sous prétexte qu’ils sont blancs ? Cyril Hanouna est classé comment, comme blanc, plus ou moins blanc, comme manifestation de cette diversité ? Se fonder ainsi sur le ressenti face à la couleur de la peau rajoute aux divisions et à l’esprit de fragmentation sociale qui domine la lecture politique et médiatique de notre société, où on veut à tout prix nous faire adopter une vision sociale des minorités, étrangère à une France qui ne les reconnait pas. Rappelons que le principe d’égalité trône tout de même à l’Article premier de notre Constitution et donc, au sommet de la hiérarchie des normes juridiques de notre République. C’est à se considérer comme des égaux que l’on se mélange et qu’il peut il y a avoir de la mixité sociale et culturelle, non en figeant la photo, à travers cette notion de la diversité qui oppose « blancs » et non-blancs », nourrissant les malentendus et un discours de culpabilisation « postcolonial » qui encourage aux divisions et à une balkanisation des esprits, et qui alimente une idéologie selon laquelle la France serait engluée dans un postcolonialisme dont l’argument sert souvent l’antisémitisme.

D’ailleurs, ne serait-ce pas de ce côté qu’il faudrait plutôt s’inquiéter. Dans le reportage diffusé sur France 2, « Les Français, c’est les autres » de février 2016 [1], on demandait à une classe de collégiens, bien le reflet de cette notion de « diversité », de dire si, entre le journaliste d’origine arabe et la réalisatrice d’origine juive, qui était arabe ou juif. Ces jeunes ont tous désigné le journaliste comme juif contrairement à la réalité, en le décrivant à l’appui de critères, entre autres physiques, tous plus discriminatoires les uns que les autres, dévoilant un antisémitisme plus qu’inquiétant complètement banalisé. C’est sans doute plus contre ce genre de stéréotype qu’il faudrait lutter dans les médias audiovisuels, où il y a un vrai travail à faire pour que l’on se pense plus comme citoyens dans cette société que comme issus de telle ou telle minorité, de façon suicidaire pour notre cohésion sociale.

Rappelons tout de même que parmi les dix premières personnalités préférées des Français, se trouvent essentiellement des personnes issues de cette fameuse diversité, ce qui devrait un peu modérer cette visée qui résonne d’une victimisation de certaines populations peu fondée en matière de notoriété. Enfin, selon l’Observatoire des inégalités, à classes sociales égales, les enfants d’immigrés réussissent aussi bien que les autres. Il faudrait donc sans doute chercher l’erreur ailleurs.

Trouvez-vous symptomatique que le rapport du CSA consacre toute sa première partie à la diversité ethnique, pour évoquer seulement ensuite la diversité sociale et territoriale ? A l’heure du mouvement des gilets jaunes, la télévision ne devrait-elle pas s’attaquer en priorité à la relative invisibilité de la France périurbaine, rurale et populaire ?

Dans les faits, tout est brouillé, et on stigmatise certaines populations par ce critère de « diversité », tout en créant ailleurs de la frustration ? Ce qui risque d’avoir l’effet inverse de celui recherché, qui serait de lutter contre les stéréotypes et le risque de rejet en raison d’une différence. On sort d’un système au mérite pour entrer dans un système de la promotion selon sa différence. Rare est l’étudiant qui voudrait penser avoir réussi au nom de sa différence et non au nom de ses qualités, compétences. Il y a là une question de justice morale, qui est au-dessus même d’une justice sociale, et renvoie au désir de l’individu d’être considéré à sa juste valeur, sinon le sentiment d’être surclassé peut être tout aussi dépréciatif qu’un déclassement social.

On fait aussi dîsparaitre derrière le thème de la diversité une implacable réalité, l’absence de cette France périphérique qui s’est récemment fait entendre, et que certains avaient bien vu venir, mais à quoi on préférait le discours binaire d’une société riche face à des ghettos sociaux essentiellement d’immigrés et donc non-blancs, comme expression essentielle de la pauvreté en France. Ceci étant agrémenté par la disparition de l’ouvrier ou du paysan comme références collectives, non seulement dans les programmes mais dans l’information à quelques exceptions près, avec souvent une vision dépréciative, d’inutilité sociale, de dépassement par « la modernité », comme l’agriculture dite raisonnée et bio opposée à l’agriculture traditionnelle, le rural ou l’ouvrier enkystés dans des visions du passé, pendant que tout se jouerait au cœur des métropoles à la dynamique inscrite dans une économie de la mondialisation reposant sur les services, qui seule compterait. Ce sentiment de déclassement propagé par des médias à la déontologie peu scrupuleuse et désinvolte, reflétant parfaitement l’arrogance d’un pouvoir qui les ignorait, n’est pas pour rien dans la révolte populaire à laquelle nous assistons.

Il y a tout de même l’oubli aussi dans tout cela d’une certaine identité de la France, qui fait partie de cette arrogance du pouvoir mais aussi des grands médias. Un oubli qui accompagne ce mouvement visant à imposer une lecture sociale fondée avant tout sur le critère de « diversité », que rejettent beaucoup de nos concitoyens. Il y a là comme une poussée de bonne conscience de la part du CSA qui semble n’avoir pas bien vu les choses jusqu’alors et ne les voir pas mieux pour ce qui est devant nous, en matière de correction des inégalités de traitement télévisuel."

Lire "Baromètre de la Diversité : l’obsession contreproductive du CSA".



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