Gérard Biard, rédacteur en chef de "Charlie Hebdo". 16 février 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Quand on aime l’humour absurde, les élucubrations de la gauche américaine « woke » – qui ne sait plus quoi inventer pour ne vexer personne, pour être le plus furieusement « inclusive » à l’égard de toutes les communautés et pour expier les péchés de ses ancêtres colonisateurs et esclavagistes – peuvent parfois toucher au génie comique. Le coup d’éclat du conseil des écoles de San Francisco, par exemple, qui a décidé de débaptiser 44 établissements de la ville – soit un tiers du parc scolaire, pour un coût estimé à 1 million de dollars… – portant le nom de « personnages problématiques », n’a rien à envier aux délires les plus « nonsensiques » des Marx Brothers – lesquels étaient loin d’être irréprochables, puisqu’ils pratiquaient un humour obstinément blanc, et juif, pour ne rien arranger. Parmi les personnalités arrachées des frontons scolaires pour être épinglées sur le mur de la honte, on trouve ainsi Abraham Lincoln, que son action pour l’abolition de l’esclavage n’excuse pas d’avoir laissé pendre 38 Sioux en 1862, Paul Revere, héros de la guerre de l’Indépendance qui a eu le tort d’écrire un poème où il parlait d’« Esquimaux » et non d’Inuits – il aurait au moins pu écrire « Eskimo.de.s » –, ou encore Thomas Edison, qui a « pris plaisir à électrocuter des animaux ». Si un jour on apprend que Martin Luther King pêchait à la mouche, ça va devenir compliqué…
Pantalonnades purement américaines ? Les récurrentes divagations d’universitaires, de syndicats étudiants, d’intellectuels et de journalistes bien de chez nous plaident davantage pour un virus mondialisé. Au chapitre du franchement bouffonnesque, on peut d’ailleurs se plonger dans la double page publiée le 3 février dans Libération, consacrée au racisme dans la cuisine. Elle s’articule autour d’un ouvrage intitulé Voracisme [sic]. Trois siècles de suprématie blanche dans l’assiette – comme quoi certains sont prêts à tout pour faire un calembour, y compris écrire un livre –, signé Nicolas Kayser-Bril, « datajournaliste » s’adonnant pour l’occasion à la sociologie culinaro-décoloniale. Il nous apprend donc que le sucre était récolté par des esclaves, que « Y’a bon Banania », c’est un cliché raciste, que c’est aux immigrés qu’on refile les boulots les plus ingrats, et même que « le rock’n’roll a été créé par les Noirs américains » – naaaaan ? Le scoop !!! S’ajoutent à ces révélations fracassantes quelques grands classiques de la nouvelle tambouille progressiste, comme le scandale des cuisiniers blancs qui confectionnent des sushis et se livrent de ce fait à une odieuse appropriation culturelle, ainsi que d’étranges lubies de rangement : l’auteur semble s’indigner que les pâtes ne soient pas au rayon « produits exotiques » de son supermarché, alors qu’il y trouve la paella…
Si l’on n’est pas contre une bonne tranche de rigolade de temps en temps, il faut bien avouer que tout ceci commence à être franchement fatigant. Le racisme et les discriminations sont des réalités, historiques et contemporaines. Mais ces réalités n’expliquent pas toutes les injustices sociales, économiques et territoriales, pas plus qu’elles ne constituent le socle uniforme sur lequel reposent nos sociétés occidentales. L’obsession racialiste et communautariste qui a gagné toute une partie de la gauche est sans doute bien pratique pour s’affranchir d’autres luttes, devenues plus difficiles à mener aujourd’hui – notamment sur le terrain économique. Mais elle risque de ne pas peser bien lourd face à d’autres réalités, qui touchent aussi les « dominants non racisés », en d’autres termes moins universitaires, les « petits Blancs ». Si elle ne retrouve pas un minimum de sérieux et quelques fondamentaux, la gauche a peut-être ses chances dans un concours de stand-up, mais pas à une élection présidentielle."
Comité Laïcité République
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