Revue de presse

Cavanna : "Je peux pas piffer les calembours" (Charlie Hebdo, 12 juil. 71 - 7 août 19)

11 avril 2020

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"[...] Et si l’humour, c’était tout simplement l’intelligence ? […]

Une règle : je ne lis que les pas cons. Non, pas une règle. Un instinct. De conservation. Les pas cons, c’est-à-dire les marrants, et de préférence ceux qui ne le font pas exprès. Je veux dire ceux qui sont comme ça sans faire systématiquement dans l’humour. […]

Alors, Dupaf, pourquoi tu l’aimes pas, le calembour  ? Justement. Parce qu’il ne me fait pas rire. Je dis pas que j’apprécie pas le travail. Je ris pas, voilà. Et j’ai jamais vu que ça ait fait rire qui que ce soit. Attention, je dis « rire ». Pas le murmure flatteur. Pas le « Hum  ! » d’admiration respectueuse. Le rire, le beau grand rire-orgasme qui se déclenche tout seul quand on chatouille la glande qu’il faut.

Le calembour, c’est de l’acrobatie. J’ai rien contre les acrobates. Ils m’emmerdent, c’est tout. C’est difficile ce qu’ils font, ils risquent leur peau, oui, d’accord. Que voulez-vous que j’y fasse, je bâille, je trouve le temps long. J’aime mieux les clowns, s’ils sont bons. (Ils ne le sont jamais, mais c’est une autre histoire. Et quand ils se veulent pensants, et culturels, à la mime Marceau ou à la Pierre Étaix, j’ai envie de tuer.) Parlé, oui, ça va. Vite fait, sans appuyer, entre copains, comme en s’excusant. Dans le feu de l’action, quand on est un peu bourré et qu’il y a des putes, vous savez ce que c’est. L’esprit n’est que de l’esprit, c’est-à-dire pas grand-chose. C’est pourtant ce qui s’apprécie, en France, en fait d’humour. Ça vous classe un peuple. Parmi ce qu’on appelle « jeux d’esprit », les jeux de mots sont les pires. Parmi les jeux de mots, le calembour est le pire de tous. Et le plus facile.

Parfaitement. Le calembour foisonne. C’est l’éviter qui est difficile. On marcherait dedans à chaque pas si on ne se surveillait pas. Si vous saviez tous ceux que je sarcle comme mauvaises herbes  ! Si vous nous entendiez, entre nous, rue Montholon, quand on se laisse aller  ! L’air en est plein, on peut difficilement mettre deux mots l’un à côté de l’autre sans que ça s’accouple bâtard. Suffit d’être branché dessus. De penser calembour. À partir de là, on n’en revient pas de tout ce qu’on ramasse.

L’humour, ça n’a rien à voir avec ces jeux de patience pour notaires en retraite. L’humour va au-delà du langage, au-delà des mots et des bizarreries de surface. L’humour a pour matériaux les faits, les situations, les idées. Il plonge au fond des choses, extirpe les monstres pleins de pattes de leurs sales trous noirs et les jette en plein soleil. L’humour fait mal. L’humour fait peur. Toujours. Parce que l’humour, c’est le réel. Le réel débarbouillé du masque de l’habitude. La vérité, non seulement toute nue, mais son et lumière, mais éblouissante, mais insoutenable. Un coup de poing dans la gueule, c’est ça, t’as tout compris. C’est pourquoi l’école du Canard enchaîné, avec sa manie sénile de conchier le moindre texte satirique de calembours qui n’ont rien à voir, le casse, le tue, le désamorce, éparpille l’attention, rend tout futile, niais, anodin, petit vieux. « Le calembour, cette fiente de l’esprit qui vole », a dit grand-papa Victor, qui savait comme pas un se foutre de la gueule du monde. Qui vole bas. […]"

Lire "Un été avec Cavanna : « L’humour, c’est le réel »".


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