Revue de presse

Florence Bergeaud-Blackler : « Les Frères musulmans veulent rendre nos sociétés “charia-compatibles” » (Le Figaro, 17 mai 23)

Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue, chargée de recherche au CNRS. 28 mai 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Florence Bergeaud-Blackler, Le Frérisme et ses réseaux. L’Enquête, éd. Odile Jacob, jan. 23, 416 p., 24.90 €.

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Lire « Les Frères musulmans veulent rendre nos sociétés “charia-compatibles” ».

"[...] Ayant au fil de quatre décennies couvert le territoire d’associations, de centres islamiques, d’activités sociales, sportives et éducatives pour les jeunes issus principalement de l’immigration maghrébine et africaine, les Frères ont imposé leur conception légaliste, intégraliste et politique du religieux, souvent en rupture avec la religion parentale. Ce sont les enfants qui sont priés de ramener leurs parents à la « vraie religion ». Le résultat est que de nombreux jeunes Français musulmans réislamisés se considèrent comme des ambassadeurs de l’islam en France.

Les plus convaincus se sentent pleinement français à condition que la France leur offre la possibilité de vivre dans le monde du halal, en inclusion en quelque sorte, sans s’assimiler. Le nombre de 50.000 que vous citez et qui émanent des renseignements territoriaux semble trop élevé pour désigner les Frères assermentés de la confrérie qui vivent dans le secret absolu de leur mission, et trop peu élevé pour désigner tous ceux qui servent le projet confrérique sciemment ou non. Ce projet est celui d’instaurer progressivement la société islamique mondiale et mondialisée, en rendant nos sociétés démocratiques « charia-compatibles » jusqu’à ce qu’elles se convertissent naturellement à la théocratie, dussent-elles prendre plusieurs siècles pour y parvenir. [...]

Le mot taqiya (dissimulation) ne me satisfait pas. Je préfère, comme vous l’avez remarqué, parler de « ruse », cet art particulier de la guerre adapté à un environnement perçu comme hostile mais trop puissant pour être battu par la force. Celui qui y a recours privilégie un mode opératoire discret en retournant la force de l’adversaire, ses errements ou ses erreurs, contre lui-même. Pour les Frères, la ruse est une façon d’éviter une confrontation qui, en raison d’un rapport de force non favorable, serait fatale à l’unité même du mouvement, cette unité qui est leur obsession. Car ce que veulent les Frères, c’est rassembler toutes les composantes de l’umma (la communauté, NDLR), des plus littéralistes aux plus libérales, chacune avec ses atouts, pour accomplir la prophétie califale, l’instauration d’une société islamique.

Rusé, le frérisme ne refuse pas une alliance provisoire avec certains de ses ennemis (une partie de la gauche anticapitaliste) si les chances de victoire à long terme sont plus grandes que les pertes du moment. Qu’on ne s’y trompe pas, ces théocrates ne pourront jamais s’accommoder d’aucune démocratie, leurs alliés démocrates restent des ennemis, à moins qu’ils ne se convertissent. Ils n’abandonneront jamais leur raison d’être, leur vision religieuse, leur identité suprémaciste, leur plan califal. Leurs alliés utiles du moment feraient bien de le comprendre et de ne jamais l’oublier… [...]

En réfléchissant à la mise en place de sa loi contre le séparatisme, l’État français a ainsi reconnu une chaîne de responsabilité allant du martèlement victimaire de l’islamiste en costume à la main du bourreau djihadiste. [...]

Nicolas Sarkozy a cru qu’en notabilisant les Frères en les faisant entrer au Conseil français du culte musulman (CFCM), il contribuerait à en faire des républicains et même des démocrates, c’est une erreur que font d’ailleurs beaucoup de nos maires par calcul électoral. C’est ne rien comprendre à la vision, à l’identité et au plan frériste qui ne se limitent pas à l’appât de l’argent ou au pouvoir que confère une mandature.

Comprendre que nous parlons à des théocrates et non des démocrates peut tout changer dans notre appréhension du phénomène et dans notre dialogue avec les acteurs fréristes. Il n’y a qu’une réponse à apporter à ces théocrates, c’est que tant que nous serons laïques et républicains, nous ne pourrons jamais donner droit à un pouce de charia. Au-delà de l’erreur d’avoir fait entrer les Frères de l’UOIF au CFCM en 2003, nous payons surtout le prix de notre aveuglement continu depuis un demi-siècle face à la claire avancée des tendances fondamentalistes dans le paysage islamique français, avancée que la normativité halal montrait très bien depuis les années 1990. [...]

Le pire est l’autocensure du monde académique. Car au risque de perdre la vie, s’ajoute celui devenu quasi systématique d’être ostracisé, banni par l’université, ne plus pouvoir travailler, enseigner, publier. C’est une véritable catastrophe pour la recherche, pour la connaissance au moment où nous avons le plus besoin de comprendre ce qui nous arrive. [...]"



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