Revue de presse

"En polémiste antitrans, Dora Moutot vire à droite toute" (M Le Magazine du Monde, 1er juin 24)

(M Le Magazine du Monde, 1er juin 24) 2 juin 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La créatrice du compte Instagram @tasjoui, en perte de vitesse médiatique, se lance avec “Transmania” dans la hasardeuse dénonciation d’un “lobby trans”. Par conviction ou simple calcul ?

Par Sevin Rey-Sahin

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Encerclés par des CRS, une centaine de manifestants huent les noms de Dora Moutot et Marguerite Stern venues présenter leur livre Transmania, publié en avril aux éditions Magnus (ex-Ring), le 6 mai à l’université Paris-Panthéon-Assas. L’influenceuse et l’ancienne colleuse d’affiches y dénoncent un soi-disant « lobby trans » et la menace qu’il ferait peser sur la société. La conférence, suivie par une cinquantaine d’étudiants, est organisée par le syndicat d’extrême droite La Cocarde étudiante. Son président, Edouard Bina, n’a pas lu l’ouvrage, mais a tenu à inviter ses autrices, qui ont longtemps appartenu au mouvement féministe, car il considère qu’elles ont « plus d’influence qu’une figure de La Manif pour tous ». Il estime qu’« elles sont capables de convaincre les personnes de la gauche des dérives de leur propre camp ».

Une prise de guerre, en quelque sorte. Après avoir participé à lancer le mouvement des collages contre les féminicides, l’ancienne Femen Marguerite Stern s’est mise en retrait début 2020 : elle jugeait que les débats sur ce qu’elle nomme le « transactivisme » y prenaient trop de place. Dora Moutot a créé le compte Instagram @tasjoui, des témoignages d’expériences sexuelles de femmes, suivi par cinq cent mille personnes à son apogée, début 2019, avant de connaître une baisse d’audience.

Puis elle a pris un vrai virage et ne s’est plus concentrée que sur un même sujet, la transidentité. Invitée avec sa consœur par la presse Bolloré (CNews, Europe 1, Le Journal du dimanche…), saluée par l’hebdomadaire Valeurs actuelles, elle fait aujourd’hui son grand retour médiatique. Selon les chiffres de GfK, l’ouvrage connaît un petit succès, avec dix mille exemplaires vendus en six semaines.

Dans un café parisien, le 16 mai, Dora Moutot reconnaît le caractère « provocateur » du personnage du livre : un certain Robert qui transitionne pour se masturber dans des cabines d’essayage des femmes. Elle prétend pourtant que le profil de Robert existe. Elle l’aurait croisé quand elle s’intéressait aux sexualités transgressives et nous raconte ces hommes en tutu dans des toilettes des femmes. Elle se défend d’être transphobe, mais lance, en niant le consensus médical : « Il faut avoir une maladie psychiatrique pour se couper le pénis. »

SOS Homophobie s’apprête à porter plainte pour diffamation contre les deux autrices. Marie Cau, maire transgenre de Tilloy-lez-Marchiennes (Nord), qui a également porté plainte contre Dora Moutot pour incitation à la haine à la suite des propos tenus à son encontre dans l’émission « Quelle époque ! », sur France 2, en octobre 2022, voit dans cette caricature des personnes transgenres une volonté de créer la polémique. « Après avoir perdu le fonds de commerce qu’était son compte @tasjoui, elle ne peut plus qu’exister dans des médias d’extrême droite, en alarmant sur un prétendu danger trans », se désole-t-elle.

Avant son virage, Dora Moutot était connue pour sa capacité à créer des communautés. Elle est née en 1987, aux Etats-Unis, de parents français, un père économiste au FMI et une mère pédiatre, et son adolescence est marquée par le divorce « violent » de ses parents. Malgré une scolarité chaotique, elle obtient un diplôme en journalisme de mode à Central Saint Martins, à Londres. En 2008, à l’âge de 21 ans, elle lance « La Gazette du mauvais goût ».

Ce blog, où elle republie les styles les plus kitsch de la Toile, séduit quarante mille abonnés sur Facebook. Six ans plus tard, elle devient rédactrice en chef adjointe de Konbini (de 2014 à 2018), après un an au Monde Académie, dispositif qui forme des jeunes de tous horizons au sein du quotidien. En 2018, elle écrit son premier livre, A fleur de pet (Guy Trédaniel), sur sa maladie chronique des intestins. Cette même année, Dora Moutot lance le compte @tasjoui et devient une figure féministe. Elle gagne alors bien sa vie grâce à des partenariats avec des marques, payés, précise-t-elle, entre « 1 000 et 10 000 euros le post ».

L’éditeur de Papacito et de Laurent Obertone
Tout bascule en mars 2019, quand elle relaie, comme d’autres, la campagne « It’s not a bretzel », lancée par l’éditrice Julia Pietri, 37 ans, pour sensibiliser à l’anatomie féminine. Le texte « Toutes les femmes ont un clitoris » provoque l’ire de femmes transgenres. Beaucoup de comptes ayant relayé cette campagne plaident la maladresse. Pas Dora Moutot. Celle qui, sur son compte Instagram personnel (quatre-vingt mille abonnés) avait l’habitude de parler de sa vie, ne s’intéresse désormais plus qu’à la transidentité.

Sur son compte professionnel, @tasjoui, elle perd quelques contrats, dont celui de la boutique de sextoys Passage du désir et plus de soixante-dix mille abonnés. Dora Moutot crie alors à la censure. Dès 2022, elle lance une cagnotte en ligne pour enquêter sur le « lobby trans », avec Marguerite Stern. Aujourd’hui, elle dit gagner le smic, grâce à ce financement participatif (toujours en cours), auquel s’ajoute l’avance qu’elle affirme avoir bien gérée avec les éditions Magnus (qui publient aussi un influenceur d’extrême droite, Papacito, et l’essayiste Laurent Obertone).

L’autrice ne voit pas d’inconvénient à avoir la même attachée de presse que le parti d’Eric Zemmour, Diane Ouvry, ni à ce que Marion Maréchal publie sur X une photo d’elle lisant Transmania. Pourtant, elle se défend d’être d’extrême droite : « Je n’ai jamais voté. » Selon une ancienne amie, la journaliste free-lance Elvire Duvelle-Charles, la radicalité de Dora Moutot est en réalité une stratégie calculée : « Dora Moutot et sa coautrice ont tout à gagner à semer la zizanie. Elles adoptent une position de lanceuses d’alerte martyres qui suscite l’empathie de leur communauté, prête à les soutenir financièrement. Et cela leur offre une exposition médiatique qui leur fait vendre des livres. »"



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