24 avril 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"La secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse réagit à la publication d’un rapport réalisé par trois universitaires et publié le vendredi 21 avril par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire.
Propos recueillis par Amandine Hirou
Lire "Sarah El Haïry : "A la lecture de ce rapport sur la laïcité, j’ai ressenti un certain effroi"".
Analyser en quoi les mondes de l’éducation populaire sont traversés par les questions associées aujourd’hui à la laïcité et au fait religieux" : tel était l’objectif d’une enquête [1] réalisée par trois universitaires entre 2015 et 2021, et publiée vendredi 21 avril par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) – organisme qui dépend du ministère de l’Education nationale et de la jeunesse. L’étude libre (ce qui veut dire que le ministère n’en connaissait pas le contenu avant publication) réalisée par Lila Belkacem, Séverine Chauvel et Francine Nyambek-Mebenga se fait le porte-voix d’une défiance importante des professionnels de ce secteur vis-à-vis de la laïcité perçue comme "une question imposée de l’extérieur".
"Celle-ci est particulièrement sensible dans la mesure où elle fait peser un risque de stigmatisation et de discrimination sur les musulman-e-s, et révèle des inégalités sociales et ethnoraciales plus larges au sein de la société française", avancent les auteurs, se basant sur leurs observations et des entretiens menés sur le terrain. Une analyse très critique vis-à-vis de ceux qu’ils appellent "les défenseurs d’une nouvelle laïcité" qui, disent-ils, "sont parvenus à mettre à l’agenda politique et médiatique le "problème de l’islam" et à associer la question de la "laïcité" à celle du supposé "défaut d’intégration" de certaines populations catégorisées comme issues de l’immigration". Enfin, les chercheurs font état de vives tensions observées lors des formations aux valeurs de la République et de la laïcité organisées auprès des acteurs de l’éducation populaire depuis les attentats de 2015.
Interrogée par L’Express, Sarah El Haïry, secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et du service national universel, fait part de son "effroi" à la lecture de ce rapport et s’érige contre ce qu’elle estime être un "dévoiement" du principe de laïcité et des lois qui la régissent.
L’Express : Les auteurs de cette étude, réalisée durant les sept années qui ont suivi les attentats terroristes de 2015, décrivent un contexte où les "défenseurs d’une nouvelle laïcité" se sont mis à vouloir restreindre les "libertés religieuses au-delà des seuls agents du service public". Êtes-vous d’accord avec cette analyse ?
Sarah El Haïry : Absolument pas. Il est important de rappeler que la laïcité n’a pas besoin de qualificatifs ni de quelconques interprétations plus ou moins contextualisées. Et j’insiste très vite sur le fait que ce rapport est une recherche universitaire, dont les propos n’engagent que leurs auteurs et non pas l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, bien que cet organisme leur ait apporté son financement. Je le dis avec d’autant plus de force que, à la lecture de ce travail j’ai ressenti un certain effroi. Ce qui y est décrit représente tout l’inverse de ce que représente la laïcité : une valeur vouée à protéger ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, qui permet de lutter contre les discriminations liées à la couleur de peau, à l’orientation sexuelle ou à l’égalité femmes-hommes. Les propos relayés dans ce texte constituent un dévoiement de ce principe.
L’étude explique que les questions liées au respect de la laïcité entreraient "en tension avec les valeurs de l’éducation populaire" basées sur des "principes d’ouverture à tous" et "d’émancipation par l’éducation". Ces deux aspects sont-ils vraiment contradictoires ?
Mais pas du tout ! L’éducation populaire ne s’oppose absolument pas à la laïcité qui, encore une fois, est l’un des principes les plus fondateurs et les plus protecteurs de notre République. Quant à l’éducation populaire, à quoi sert-elle ? A ouvrir les esprits, à dispenser une éducation informelle complémentaire de la formation assurée par l’école, à proposer des parcours de citoyenneté, à permettre à des jeunes de partir en colonies de vacances, à apprendre à se connaître, à transmettre le goût du collectif. Le fait que ce rapport mette en avant des discours de victimisation, présage de discriminations futures liées à une confession qui est celle de l’islam, est totalement contre-productif et même extrêmement dangereux.
Des ennemis de notre République laïque cherchent aujourd’hui à fragmenter notre société et on ne se laissera pas prendre dans ce piège. Venant moi-même d’une famille de confession musulmane, j’assume avec d’autant plus de force le fait de dire que notre pays protège, au contraire, de toutes formes de discriminations religieuses. Laisser imaginer, comme ce rapport le fait, que la laïcité stigmatise une religion en particulier, est absolument délétère. Mais pour que ce discours soit entendu et correctement interprété, il est primordial de bien faire la distinction entre les musulmans, l’islam et l’islamisme politique.
Les chercheurs font également état de vives tensions observées lors de formations "Valeurs de la République et laïcité". Avez-vous déjà été informée de telles remontées ?
Ces formations, mises en place à destination des agents de la fonction publique, des professionnels et bénévoles associatifs représentent un énorme engagement de l’Etat et visent justement à contrer ces lectures qui tentent de pervertir le principe de laïcité. Il y a quelques semaines, nous avons déjà identifié des fragilités dans le cadre des formations civiques et citoyennes des volontaires en service civique, nous convainquant, ma collègue Sonia Backès (NDLR : secrétaire d’Etat chargée de la citoyenneté) et moi-même, de saisir les inspections générales. Un certain nombre de préconisations me seront prochainement communiquées, ce qui nous permettra de mettre en œuvre des mesures destinées à mieux encadrer l’ensemble de ces formations et à veiller à ce qu’elles soient bien conformes au cadre de la loi.
Certaines personnes sondées insistent sur l’importance de préserver l’autonomie de l’éducation populaire "pour se protéger de lectures imposées de la laïcité par l’Etat". Peuvent-elles se soustraire à la législation actuelle ?
C’est en tout cas ce que ce texte sous-entend et ça me paraît très grave. Cette lutte contre ceux qui tentent de se soustraire à la loi ne tolère aucune complaisance et aucune lâcheté. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit de rogner sur la liberté des actions pédagogiques de l’éducation populaire. Encore une fois, la laïcité et l’éducation populaire visent les mêmes objectifs : l’ouverture, le respect de l’autre et l’émancipation. En ce qui me concerne, j’ai tout à fait confiance dans les acteurs de terrain que nous côtoyons au quotidien. Une grande majorité d’entre eux est en phase avec les valeurs républicaines que nous défendons, à la différence de certaines structures abondamment citées dans ce rapport.
Au même moment, le ministre Pap Ndiaye modifie la feuille de route du Conseil des sages de la laïcité. Ce qui suscite de vives réactions dans le camp de ceux qui défendent l’universalisme républicain. Êtes-vous également inquiète quant au devenir de cette instance ?
Je suis moi-même une farouche défenseure de l’universalisme républicain, c’est d’ailleurs le fondement même de mon engagement politique. J’étais aux côtés de Jean-Michel Blanquer quand il a créé le Conseil des sages de la laïcité en 2018. Le ministre de l’Education nationale actuel a choisi de procéder à de nouvelles nominations et à élargir son périmètre à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et toutes les formes de discrimination. Je ne doute pas que sa présidente Dominique Schnapper continuera à mener à bien les travaux du conseil. J’ai récemment saisi avec le ministre Pap Ndiaye cette instance sur les questions de laïcité qui se posent dans le cadre du service national universel et ses membres viennent de nous remettre un rapport de grande qualité. Comme eux, je reste une militante de la laïcité, valeur au cœur de notre République."
[1] Agir au nom de la laïcité. Dilemmes parmi des professionnel·le·s de l’éducation populaire (Île-de-France, 2015-2021), INJEP.
Voir aussi dans la Revue de presse les dossiers Rencontres des jeunes des centres sociaux (Poitiers, oct. 20), Service civique, Conseil des sages de la laïcité,
le communiqué du CLR Qui veut la peau du Conseil des sages de la laïcité ? (G. Abergel, 13 av. 23),
dans les Documents "Roquet", "serpent" : des enseignants insultent des formateurs Laïcité (Conseil des sages de la laïcité, 14 jan. 22) dans Conseil des sages de la laïcité (note du CLR).
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