Note de lecture

D. Blanchon : Le risque hydropolitique (G. Durand)

par Gérard Durand. 16 février 2020

[Les échos "Culture (Lire, entendre & voir)" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

David Blanchon, Géopolitique de l’eau, Entre conflits et coopérations, éd. Le Cavalier bleu, 2019, 168 p., 19 €.

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David Blanchon est professeur de géographie à l’université de Paris Nanterre, il a déjà écrit plusieurs ouvrages sur le thème de l’eau et celui-ci entre dans la catégorie de ceux, comme je l’ai déjà dit à propos de La Guerre des métaux rares [1] dont la lecture devrait être rendue obligatoire pour tout candidat à une élection nationale, avec examen éliminatoire.

Si l’humanité a pu se passer de téléphone portables, de voitures connectées et même de voitures tout court pendant de nombreux siècles, elle n’a jamais pu se passer d’eau pour la simple raison que l’eau est la source même de la vie et que sa rareté ou sa pénurie ne peut être que génératrice de conflits. Nationaux ou internationaux.

Sur l’ensemble du globe la ressource en eau est suffisante, même en prenant en compte la croissance démographique, mais elle se heurte à trois difficultés, son acheminement, sa qualité et son partage. On estime aujourd’hui que près de 4 milliards d’habitants de notre planète n’ont pas un accès satisfaisant à une eau de bonne qualité et que 1,8 million de personnes meurent chaque année pour avoir consommé une eau polluée. L’acheminement et le traitement de l’eau est un enjeu majeur et nécessite des investissements colossaux relevant de choix politiques nationaux et internationaux si l’on veut éviter de violents conflits sociaux ou inter-états.

La répartition des consommations est curieusement constante dans la plupart des pays, la part de l’agriculture est dominante avec environ 69 %, celle de la consommation domestique de 12 %, le solde étant destiné à l’industrie. Mais tout est lié, si l’agriculture manque d’eau elle ne pourra plus produire les quantités de nourriture nécessaires à la population juqu’au point de rupture, la famine.

Seules les « eaux bleues » sont consommables, les eaux vertes (pluies) et les eaux grises ne peuvent être bues qu’après assainissement, or 39 % seulement de la population mondiale disposent de systèmes d’assainissement efficaces. Et ici encore se pose le problème des investissements. L’ONU prévoit que la consommation domestique passera de 2700 à 4000 km3 entre 2010 et 2030. Ce qui fait apparaître la notion de stress hydrique dès que la ressource en « eau bleue » passe en dessous de 1500 m3 par habitant et par an, à moins de 500 m3 nous sommes en situation critique. Or, les écarts existent même au sein d’un même pays. L’Espagne par exemple avec 2500 m3 par habitant présente un bilan satisfaisant mais si les populations proches de l’Atlantique sont abondemment pourvues avec 3660 m3, celles de la Méditerranée avec 1716 m3 ne sont pas loin du stress hydrique.

Au niveau international les contrastes sont saisissants, si l’ensemble des pays « développés » est dans une situation satisfaisante on trouve que dans un pays comme le Mozambique moins de la moitié de la population dispose d’un accès à de l’eau potable et 8 % seulement à domicile.

La question des grands fleuves est primordiale ; ce n’est pas moins de 286 bassins versants transfrontaliers qui ont été recensés, les plus grands étant l’Amazone (6 millions de km2), le fleuve Congo (3,69) et le Mississipi (3,2) en nombre d’habitants concernés les chiffres sont tout aussi impressionnants 90 millions pour le Congo, 93 pour le Niger, 174 pour le Nil et surtout 704 millions pour le Gange Brahmapoutre. On imagine les conséquences que peuvent avoir les moindres modifications de débit ou de parcours. La desserte des pays traversés, 12 pour le Nil, 19 pour le Danube ne facilitant rien.

Le même problème se pose pour les nappes acquifères elles aussi transfrontalières qu’il convient de ménager car les terrains sous lesquels elles se trouvent ne permettent pas partout la même rapidité de renouvellement, de quelques dizaines d’années en Île-de-France à plusieurs millénaires sous des sols plus complexes et dans des régions moins arrosées, sans oublier les nappes fossiles comme celle des grès Nubiens qui s’étend sur 2,5 millions de km2 sous le Sahara et concerne quatre pays mais ne se renouvelle pas, les 540 000 km3 d’eau peu polluée qu’elle contient ne peuvent supporter des pompages intensifs comme ceux qui alimentent en Libye les villes de Tripoli, Syrte et Bengazi sans risque d‘épuisement à plus ou moins long terme.

L’auteur va ensuite s’attarder sur les moyens de régler ces problèmes de grande complexité. Il n’y en a que deux, la coopération ou le conflit, si les pays du Danube ont réussi à s’entendre c’est loin d’être le cas au Moyen Orient ou le risque hydropolitique ne fait que s’ajouter à d’autres déjà nombreux.

Ce livre nous fait découvrir des aspects de la gestion de l’eau que la plupart d’entre nous ne soupçonnent pas, il traite en fait de l’avenir de l’humanité et des priorités qu’elle doit se donner, pas d’eau, pas de vie. A lire absolument.

Gérard Durand


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