1er juin 2015
"Menaces de mort, tapis de prière dans un local associatif, sandwichs halal vendus aux étudiants : un climat délétère pèse sur l’institut technologique. Après avoir tenté de remettre de l’ordre et exiger que les enseignants ne soient payés que pour les cours effectués, son directeur est devenu la cible d’intimidations. Une affaire révélatrice de la déliquescence d’une université qui s’égare dans le clanisme et le communautarisme.
L’affaire s’envenime et tout le monde s’accorde à dire qu’elle est grave. Pourtant, depuis plus d’un an, rien ne bouge vraiment. Au départ, le « scandale » de l’IUT (Institut universitaire de technologie) de Saint-Denis paraît plutôt anodin. Une guerre picrocholine qui agite ces cubes de béton plantés à quelques minutes de la basilique dyonisienne où quelques milliers d’étudiants tentent de décrocher un diplôme en génie mécanique ou en gestion. Pas franchement un fleuron de la faculté française. Une simple « composante » de l’université Paris XIII et son célèbre campus de Villetaneuse, héritage de 1968.
Le conflit à son origine ? A priori, bien dérisoire. Il oppose le directeur de l’IUT, Samuel Mayol, au chef du département Techniques de commercialisation (TC), Rachid Zouhhad, pour une histoire compliquée d’« heures complémentaires (supplémentaires) » non effectuées. Pas de quoi, en principe, déborder du cadre universitaire et agiter les médias. Mais le directeur de l’IUT, Samuel Mayol, qui n’a pas masqué sa volonté de faire le ménage à l’IUT et de mettre un terme à ces « abus » , dénonce des « menaces » récurrentes à son encontre depuis un an : des lettres anonymes, des pneus crevés et même une agression physique. Les dernières intimidations en date : des étoiles de David dessinées sur une porte de l’IUT. L’employée visée et Samuel Mayol ont tous deux des origines juives. « Toi aussi tu vas tomber. Tu roules pour les Juifs », disaient encore des textos envoyés à cinq collègues du directeur. Auparavant, sur la Une de Charlie Hebdo post- attentats « Tout est pardonné », où avaient été ajoutés ces mots : « Pas partout, en tout cas pas à l’IUT » . Le tout déposé dans la boîte aux lettres de Samuel Mayol.
A Saint-Denis, le climat est détestable. D’ailleurs, les principaux protagonistes n’y donnent pas rendez-vous, préférant la discrétion d’un café parisien. Mais l’histoire révèle surtout un cocktail explosif, qui dépasse de loin la piteuse histoire de l’IUT : une université dont l’autorité part à vau-l’eau, un ministère qui se garde bien de prendre le problème à bras-le-corps et, sur ce terreau fertile, une « forte poussée communautariste », note-t-on pudiquement. Comprendre que revendications musulmanes et prosélytisme religieux marquent des points dans un tel contexte de débandade générale.
Une pièce permet aujourd’hui de se faire une idée du dossier. Le Figaro a consulté ce rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la Recherche remis début avril à la ministre, Najat Vallaud-Belkacem. Quinze pages accablantes pour Rachid Zouhhad contre lequel est demandé d’engager une procédure disciplinaire. Qu’est-il reproché à l’ex-directeur du département TC, destitué à l’initative de Samuel Mayol en mars 2014 ? D’avoir eu un « comportement clanique ». Rachid Zouhhad est soupçonné d’avoir débarqué des enseignants pour placer ses proches. La mission constate qu’« un an après sa prise de fonctions, aucune femme n’exerçait de fonction de directrice des études, (M. Zouhhad les ayant) toutes remplacées par des hommes qui appartiennent à la même organisation syndicale » que lui. Au chapitre des « dérives » figure la comptabilité tout sauf rigoureuse des heures complémentaires qui aurait permis aux amis de Rachid Zouhhad d’espérer arrondir leurs fins de mois. Quelque 4800 heures litigieuses sur le quota de 11000 heures supplémentaires attribué au département. Au tarif horaire de 38 euros nets. Des embauches de vacataires amis, aux compétences très aléatoires, sont aussi mentionnées. Telle cette adjointe administrative sans le bac qui s’était portée candidate pour dispenser un cours de bureautique... Accusations que l’ancien patron du département TC « récuse totalement », entouré de ses deux avocats, noyant toute question sous un flot d’explications et de documents censés contenir la preuve de sa bonne foi.
Un paragraphe du rapport de l’Inspection laisse particulièrement songeur. Il évoque « l’impunité » dont certains semblent jouir au sein de l’université. En 2004, Rachid Zouhhad dirigeait un Institut universitaire professionnalisé, intitulé « Ville et santé », lui aussi à Paris XIII, où de « nombreux dysfonctionnements » avaient déjà été détectés par une précédente inspection. Autour de Rachid Zouhhad, l’équipe d’enseignants « comprenait déjà MM. Abdelhamid Belakhdar, Nacer Laïb et Driss Ahedda », notent les auteurs du rapport de 2015 qui évoquent les « risques liés à la présence simultanée de ces personnes dans un seul département » et trouvent « pour le moins étonnant de retrouver les mêmes protagonistes dans le cadre d’une affaire similaire » dix ans plus tard. Ce qui ne les empêche pas de préconiser une « affectation dans une autre composante de l’université » pour « retrouver un fonctionnement apaisé » à Saint-Denis...
Pour compliquer la donne, une autre affaire a émergé en pleine crise ouverte à l’IUT l’an dernier. Elle concerne « L’Ouverture », une organisation étudiante qui a pignon sur rue à Paris XIII. Dans son local de l’IUT qu’elle se refusait à partager avec d’autres associations et dont elle ne voulait pas rendre les clés, « une trentaine de tapis de prière » ont été découverts lors d’une perquisition. L’Ouverture, fermée depuis, est aussi connue pour vendre des sandwiches hallal aux étudiants. « Sous couvert de ventes de produits alimentaires, (elle fait) du prosélytisme religieux », relèvent les inspecteurs qui n’établissent, cependant, pas de lien direct entre ce prosélytisme et les dysfonctionnements attribués à Rachid Zouhhad. « Je n’avais aucun pouvoir sur cette association, ni aucun lien privilégié avec ses membres », se défend ce dernier quand ses adversaires lui prêtent des relations privilégiées avec un ancien responsable de L’Ouverture. Là encore, d’autres se chargent de décrypter : « Le hallal, c’est un business. A l’université, comme ailleurs, il a besoin d’un « environnement » favorable au religieux. On peut parler d’affairisme, pas d’islamisme ».
Devant l’IUT, en cette fin d’année, les étudiants pressent le pas quand on aborde le sujet et un enseignant s’empresse de mettre son casque de moto pour esquiver les questions. Anonymement, Alexandre, inscrit en Techniques de commercialisation l’an dernier, raconte : « Ici, il y a une grosse pression de la religion. Certains étudiants ramènent tout à cela. Face à quelqu’un de blanc, athée, comme moi, ça peut déraper très vite. Si on dit qu’on a bu de l’alcool à une soirée, c’est mal vu. Pas question de discuter de ces sujets. A L’Ouverture, il y avait pas mal de types en djellaba et de filles voilées qui incitaient les autres à faire pareil ». Aujourd’hui, tous les ingrédients sont réunis pour attiser le conflit. Sur Twitter Abdelhamid Belakhdar dénonce une « chasse aux arabes ».
Samuel Mayol, la quarantaine, est un « enfant » de l’IUT où il fut étudiant au début des années 1990 avant d’en être élu directeur en 2012. Un militant socialiste, qui fut le 40e des 42 candidats sur la liste d’Anne Hidalgo aux municipales, et membre du Snesup. « Ma famille et moi vivons un enfer », répète-t-il, donnant l’impression d’un homme aux abois, fébrile, surmené. S’il n’a pas de protection physique, il peut à tout moment contacter la police qui le conseille pour sa sécurité. La veille de l’entrevue, cette dernière lui avait, dit-il, expliqué qu’il était préférable qu’il ne dorme pas chez lui. Sans qu’on sache précisément pourquoi.
Avant la crise, Samuel Mayol et Rachid Zouhhad étaient pourtant plus que de simples collègues, presque des amis, chacun connaissant la famille de l’autre. Et leurs mails se terminaient par un amical « Biz ». Le Grand Orient servait aussi de trait d’union même si les deux hommes n’appartiennent pas à la même loge : Persévérance pour le premier, le Bonheur Diderot pour le second. En février 2014, c’est à la sortie d’une réunion au siège de l’obédience maçonnique, rue Cadet, que le directeur de l’IUT explique avoir été la cible d’une agression « par deux hommes ». Comme à chaque fois, il a porté plainte. Sans résultat, jusqu’à présent.
Maître de conférence, titulaire d’un doctorat en gestion, Rachid Zouhadd, 56 ans, est lui l’un des cadres de SupAutonome-FO. Dans sa notice biographique, à la rubrique « direction de thèse » figure le nom de Jean-Loup Sulzer, aujourd’hui membre du bureau politique du Front national et conseiller municipal à Hénin-Beaumont, avec lequel il a publié aux éditions Dunod. « Rachid aime l’alcool et les femmes ». « Rien d’un salafiste ! », tranche une connaissance.
Depuis un an, la situation pourrit dangereusement sans que la présidence de Paris XIII ne s’en émeuve outre mesure. Son président, Jean-Loup Salzmann se défend de toute inertie : « J’ai saisi l’Inspection et attendu son rapport. Ma marge de manoeuvre est limitée. L’IUT dispose d’un fonctionnement autonome ». Quand l’Inspection estime, elle, que « les dysfonctionnements (ont été) insuffisamment pris par les services centraux de l’université ». Et s’étonne que les primes aient été versées bien que les services statutaires n’aient pas été totalement assurés... Globalement, « un devoir de vigilance s’imposait (...) Règles en vigueur et dispositifs de contrôle mériteraient d’être renforcés », écrit-elle encore. Personne n’est dupe : malgré ces euphémismes, le rapport est sévère. Au ministère de l’Enseignement supérieur comme à l’Elysée, le dossier est suivi de près mais sans ligne de conduite claire. « Salzmann est aussi président de la Conférence des présidents des universités. Il pèse lourd, a pu passer par-dessus la tête du ministère pour négocier directement avec François Hollande quand il dénonçait la faiblesse des budgets », décrypte un spécialiste de l’enseignement supérieur. Résultat : personne ne prend le taureau par les cornes, chacun préférant s’en remettre à la procédure disciplinaire engagée, tout en soupirant : « L’université, c’est tellement de baronnies... »
Alexandre, l’étudiant de l’IUT, a lui une vision beaucoup plus pragmatique de la question : « L’an dernier, on a tous perdu notre temps. Les profs apparaissaient et disparaissaient, ne respectaient pas les programmes. Au retour de notre stage de fin de premier semestre, nous devions reprendre les cours. Mais on nous a mis de force en vacances en janvier, faute de cours assurés. Quant à notre prof de compta, Abdelhamid Belakhdar, il se mettait en maladie, pour « protester » disait-il. Une remplaçante a été nommée mais, juste avant l’examen, on n’avait quasiment rien vu du programme ». Pour l’année 2014-2015, Rachid Zouhhad a obtenu une décharge syndicale à 90% et les arrêts de travail pour raisons de santé ou grève d’Abdelhamid Belakhdar sont toujours fréquents. En raison de sa décharge syndicale, reconduite depuis plusieurs années, Driss Ahedda est surnomé « le fantôme » à l’IUT."
Lire "Crise ouverte à l’IUT de Saint-Denis, gangrené par le communautarisme".
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