10 septembre 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Ce 7 septembre 2023, le Conseil national des barreaux a décidé d’exclure tout signe distinctif avec le port de la robe dans le cadre des fonctions judiciaires de l’avocat. Un éclaircissement qui était attendu par les ordres.
Laurence Garnerie
Lire "Costume professionnel de l’avocat : exit tout signe distinctif.
Cette fois, la consigne est claire : terminés les signes « distinctifs » avec la robe d’avocat. Le 7 septembre 2023, l’assemblée générale du Conseil national des barreaux (CNB) a enfin tranché la délicate question de la règlementation du costume professionnel, et voté l’insertion, dans le Règlement intérieur national (RIN), d’un nouvel article 1.3 bis intitulé « Port du costume de la profession ». Cette disposition sera libellée comme suit : « Ainsi qu’il est prévu à l’article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les avocats « revêtent, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession ». L’avocat ne porte aucun signe distinctif avec sa robe. »
Cacophonie. Cette modification du RIN fait suite à plusieurs années de débats houleux au sein de la profession d’avocat. Pour mémoire, à la suite de divers incidents concernant plus particulièrement le port du voile avec la robe d’avocat, cette question a fait l’objet d’un premier rapport de la commission Règles et usages sur le costume professionnel en 2017. Mais l’assemblée générale du CNB a finalement refusé d’envoyer ce texte à la concertation. La nature ayant horreur du vide, s’est ensuivie une véritable cacophonie ordinale. Au fil des années, des limitations diverses – allant du port de signes religieux aux décorations en passant par la toque – ont ainsi vu le jour dans une trentaine de barreaux, dont celui de Paris en 2015, les autres traitant le sujet au cas par cas.
Unifier les règles. Cependant, le 2 mars 2022, la Cour de cassation a sifflé la fin de la partie (GPL 12 avril 2022, n° GPL434q1). Dans un arrêt validant une délibération du barreau de Lille interdisant le « port de décoration », ou « signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique avec la robe », la haute juridiction a en effet reconnu qu’il entrait dans les attributions d’un conseil de l’ordre de réglementer le port et l’usage du costume de sa profession, mais ce, « en l’absence de disposition législative spécifique et à défaut de disposition réglementaire édictée par le CNB ». De quoi rappeler à ce dernier sa mission consistant à unifier les règles de la profession d’avocat. S’engouffrant dans la brèche, en septembre 2022, la Conférence des bâtonniers a adopté une recommandation prohibant le port de « signes manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique ou politique », aussitôt transmise au CNB. Mais souhaitant dépassionner le débat, le bureau de ce dernier a choisi de solliciter un avis extérieur, mission confiée au conseiller d’État Christian Vigouroux. S’appuyant sur l’article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques qui dispose que les “avocats revêtent dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession », l’avis de ce dernier, co-rédigé avec Élise Untermaier Kerléo, maître de conférences HDR en droit public à l’université Jean Moulin Lyon 3 et présenté à l’assemblée générale du 3 avril 2023, a alors préconisé le port de la robe sans signe distinctif en audience juridictionnelle ou disciplinaire (GPL 18 avr. 2023, n° GPL448h0).
Trois options. C’est sur cette base que la commission Règles et usages a rédigé un rapport et un avant-projet de décision à caractère normatif, que l’assemblée générale a cette fois accepté d’envoyer à la concertation des syndicats et des barreaux en juin et juillet. Ces textes précisent que l’avocat ne porte pas de signes distinctifs avec la robe. Une règle qui, selon la commission, « ne contredit aucune disposition législative ou décrétale mais au contraire éclaire la logique de la loi du 31 décembre 1971 ; trouve un fondement législatif, l’article 3 de la loi du 31 décembre 1971, que le CNB peut compléter et préciser ; et qui reste d’une portée limitée et en rapport avec la finalité du CNB ». Restait à en préciser l’étendue. Trois options de rédaction étaient proposées : en audience juridictionnelle ou disciplinaire (option1), dans l’enceinte juridictionnelle (option 2) ou dès lors que l’avocat revêt sa robe (option 3). Trois syndicats professionnels (l’ACE, le MAC et le SAF, opposé à toute réglementation) ont répondu à la consultation. Du côté des barreaux, 68 ont participé. Parmi eux, 61 barreaux se sont prononcés en faveur de l’option 3.
Gommer l’individualité. C’est donc sans surprise que cette dernière a été validée par l’assemblée générale. En choisissant de ne pas poser de limite géographique à l’interdiction de signes distinctifs ostentatoires mais de la rendre effective dès lors que l’avocat revêt sa robe dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, le CNB adopte donc la conception d’un costume professionnel destiné à « gommer l’individualité de l’avocat au profit de la représentation du justiciable » selon les termes utilisés par Laurence Junot-Fanget, présidente de la commission Règles et usages.
Signes distinctifs. Demeure la question du périmètre des signes distinctifs, qui ne sont définis ni dans l’avant-projet de décision à caractère normatif, ni dans le rapport de la commission. Afin d’éviter les débats sur l’interprétation de cette expression, la bâtonnière de Paris Julie Couturier a donc déposé une demande d’amendement afin que soit reprise la formulation retenue dans le règlement intérieur parisien dans son article P. 33 : « L’avocat ne peut porter avec la robe de signe manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, communautaire ou politique ». Mais l’assemblée générale n’a pas retenu cette solution, préférant rester concise afin d’englober toutes les situations (signes religieux ou d’appartenance politique ou philosophique, signes publicitaires…).
Épinglés. Toutes… excepté le port des décorations. Pour écarter ce dernier cas, la commission a rappelé que le CNB ne pouvait prendre de disposition contraire à la loi. En 2018, la Cour de cassation a en effet validé la décision de la cour d’appel de Toulouse annulant la délibération du conseil de l’ordre toulousain qui interdisait le port de décoration, au motif que découle des articles R. 66 et R. 69 du Code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire, « le droit pour le décoré de porter les insignes que confère l’attribution d’une décoration française », qui n’est « pas contraire au principe d’égalité ». En outre, dans leur rapport, Christian Vigouroux et Elise Untermaier Kerléo estiment « qu’il n’entre pas dans la compétence du CNB d’interdire ou de restreindre, par le biais d’une disposition générale modifiant le RIN, le port de décorations républicaines ». Néanmoins, ces derniers avaient estimé possible que, « pour des motifs de discrétion dans l’audience, et de respect de l’égalité des intervenants, le CNB recommande – sans que ladite recommandation ne soit obligatoire – de ne pas porter de décorations avec le costume, sauf éventuellement pour les audiences solennelles ». Une alternative que la commission Règles et usages n’a pas retenue. Parallèlement, l’amendement de l’ABF (Avenir des barreaux de France) visant à écrire en toutes lettres que le port des décorations est exclu, pour éviter les éventuels contentieux sur le sujet, a aussi été rejeté par l’assemblée générale.
Le projet de décision à caractère normatif doit maintenant être transmis à la Chancellerie pour être publié au Journal officiel et inscrit dans le RIN."
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Avocate voilée,
"Les magistrats ne prêteront plus serment « religieusement »" (la-croix.com , 16 sept. 16), dans la rubrique Travail,
la rubrique Voile & vêtements ;
le Document "Port d’un signe d’appartenance religieuse avec la robe d’avocat" (Cour de cassation, 2 mars 22) (note de la rédaction CLR).
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