22 août 2011
"Tel est le terreau dans lequel s’enracine le virage à droite du CRIF qu’incarne son nouveau président, M. Roger Cukierman. Succédant en 2001 à M. Henri Hajdenberg, ce grand banquier, qui travailla entre autres pour la Compagnie financière Edmond de Rothschild et l’Israel General Bank, ne se contente pas d’épouser la politique belliciste du gouvernement Sharon : il tente d’infléchir en sa faveur l’action de la France.
Instauré en 1985 par son président de l’époque, l’avocat Théo Klein, le dîner annuel du CRIF devient, sous la direction de M. Cukierman, une « espèce de tribunal dînatoire où le chef du gouvernement français est convoqué par une communauté juive qui lui dit tout ce qu’elle a sur le cœur » — dixit... Finkielkraut. Lequel qualifie de « légèrement grotesque » cette cérémonie qui le « met très mal à l’aise » et où les Juifs « deviennent le fer de lance de la transformation de la République en mosaïque de communautés râleuses » [...]
Naguère prudente face aux errements du CRIF, la presse sort peu à peu de sa réserve. Dans une lettre publiée par Marianne le 8 août 2009, Jean Daniel constate que « les dérapages communautaires du CRIF deviennent de plus en plus fréquents et alimentent un antisémitisme à la fois insidieux et secret ». François Darras, pseudonyme utilisé par la rédaction du journal, explique dans ce même numéro que « le CRIF, comme d’autres institutions juives, est tombé entre les mains de courants alignés sur la droite israélienne la plus intransigeante ». Même Actualité juive constate, le 7 janvier 2010 : « Bon nombre d’élus du comité directeur » sont, « à l’image de la communauté juive institutionnelle (...), de plus en plus à droite ». [...]
Des divergences s’expriment plus ouvertement parmi les Juifs eux-mêmes, au point de remettre en cause le monolithisme de façade du CRIF. A droite, plusieurs personnalités ont déjà pris leurs distances. Certaines, à l’instar d’Elisabeth Lévy, Eric Zemmour ou Finkielkraut, s’en sont éloignées au nom du combat contre le communautarisme. Quant à la gauche sioniste, elle fait entendre sa voix hors du CRIF, rompant ainsi avec le passé : une opposition de gauche, et même communiste, a longtemps existé au sein du Conseil.
En avril 2010, sur le modèle du lobby pacifiste américain J Street, se crée JCall, qui lance un « Appel à la raison » (près de huit mille signatures en France). Appuyé (ou corseté ?) par Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy, le mouvement, timide au cours des premiers mois — son communiqué sur l’attaque contre la « Flottille de la paix » s’en prend d’abord… au Hamas —, s’enhardit pourtant, jusqu’à dénoncer la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, exiger la fin du blocus de Gaza et accueillir favorablement les révolutions arabes. [...]
la figure du grand écart compte parmi les plus difficiles, et parfois les plus douloureuses. C’est précisément ce que doit éprouver M. Prasquier. Le CRIF, sous sa direction, s’est mué en ambassade bis d’Israël. De surcroît, dirigé exclusivement par des hommes de droite, peut-il simultanément se présenter en porte-parole du judaïsme français dans son ensemble ? Parisiens ou provinciaux, ashkénazes ou séfarades, laïques ou religieux, partisans de la neutralité républicaine ou admirateurs du modèle communautaire américain, la « communauté juive » française n’a rien de monolithique. Or la direction du CRIF n’en reflète plus le pluralisme social, confessionnel, géographique, politique, etc.
L’expression prête d’ailleurs à confusion : la « communauté juive organisée » au sein du CRIF ne rassemble qu’un dixième environ de la « communauté juive » tout court. Et encore les chiffres souvent cités excluent-ils ces Français « d’origine juive » éloignés de la religion comme de la tradition, vivant souvent en « couples mixtes », aux enfants non juifs si leur mère ne l’est pas, du moins selon l’orthodoxie... Les sociologues ne devraient-ils pas considérer enfin comme juif quiconque se considère comme tel — parce que croyant, fidèle à quelques coutumes ou marqué par un passé familial tragique ?
Plus crucial encore apparaît l’enjeu politique de cette captation. L’influence du CRIF tient moins à ses moyens, très relatifs (une dizaine de salariés, 2 millions d’euros de budget annuel, dont un quart provient de la Fondation pour la mémoire de la Shoah), qu’à la force que l’establishment politique et médiatique lui prête, laquelle découle essentiellement de sa capacité à faire croire qu’il incarne tous les Juifs de France."
Lire "Ceux qui parlent au nom des Juifs de France" et "De la clandestinité aux feux médiatiques".
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