Revue de presse

"Cent cinquante ans après, la nouvelle bataille du Sacré-Cœur" (Le Figaro, 21 oct. 20)

22 octobre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La fameuse basilique qui domine Paris devrait être classée monument historique l’année prochaine. Une décision qui suscite de nombreuses critiques, notamment de la gauche, qui estime que l’édifice a été construit pour « expier les crimes des communards »…

Par Claire Bommelaer

Pas moins de six officiels, dont le préfet, le recteur du sanctuaire et la ministre de la Culture étaient réunis, ce mardi soir à la préfecture d’Île-de-France, pour annoncer la nouvelle : d’ici à 2021, la basilique du Sacré-Cœur, un emblème de Paris surplombant la butte Montmartre, va être classée monument historique.

À dire vrai, tout le monde pensait que l’affaire était déjà dans le sac, et depuis longtemps. Prisée des Parisiens et des étrangers, lieu de pèlerinage, la basilique figure dans tous les guides touristiques. Après avoir fermé pour la première fois dans sa longue histoire, pendant le confinement, elle a fini par rouvrir ses portes. Et connaît une période à part, faite de désertion mais aussi de quiétude. Pourquoi n’avait-elle par rejoint la liste des dix-huit églises protégées de la capitale ? « Il y a eu une forme de dédain pour l’architecture du XIXe siècle, ce qui a retardé le classement », a avancé la ministre, Roselyne Bachelot, en guise d’explication. Avant de poursuivre : « Il y a aussi eu une mauvaise lecture de l’histoire. » Une « mauvaise » lecture ? Derrière son aspect blanc, ses décors somptueux et son statut de sanctuaire de l’adoration eucharistique et de la miséricorde divine, la basilique est au cœur d’enjeux mémoriels que l’on croyait aujourd’hui apaisés. Ils ont brutalement refait surface la semaine dernière, à quelques mois du 150e anniversaire de la Commune de Paris.

Sur le mont des Martyrs

Décidée en janvier 1871 pour expier la défaite de Sedan (alors considérée comme une punition divine), la construction de la Basilique n’a, en réalité, démarré qu’à la suite d’une loi de 1873. Laquelle présentait sa construction comme un geste destiné non pas à réparer la défaite dans la guerre franco-prussienne, mais à « expier les crimes des communards » ; lors de la pose de la première pierre, les révolutionnaires furent décrits par les instigateurs de la loi comme des « énergumènes avinés (…) hostiles à toute idée religieuse et que la haine de l’Église semblait surtout animer ». Cent quarante-cinq ans plus tard, en marge de la réunion organisée par la préfecture d’Île-de-France, le père Benoît ne disait pas autre chose : « Les communards ont exécuté des centaines de malheureux otages, en mai 1871 », affirmait-il à un journaliste du Point. Quant au père Esclef, recteur du sanctuaire de la basilique, il rappelait que l’édifice avait été érigé sur le mont des Martyrs, au lieu même où saint Denis et les premiers chrétiens de Paris versèrent leur sang pour leur foi au milieu du IIIe siècle.

À quelques mètres de là, Karen Taïeb, adjointe à la mairie de Paris chargée du patrimoine, semblait un brin gênée par cette façon de voir les choses. Outre la volonté de la municipalité de montrer qu’elle s’occupe désormais de son patrimoine religieux, la mairie compte bien fêter dignement les 150 ans de la Commune, l’année prochaine, depuis le Sacré-Cœur et le square dédié à l’anarchiste Louise Michel, situé en contrebas. Pour l’instant, le programme n’est pas encore connu. Mais on devine que les socialistes, qui savent que Jean-Paul Sartre et Jean-Luc Godard avaient occupé le terrain lors du 100e anniversaire du soulèvement, en 1971, voudront voir grand. En 2011, pour le 140e anniversaire, la mairie de Paris s’était contentée d’organiser une exposition dans ses murs. Le mois de mars 1871 y était alors présenté par Bertrand Delanoë comme un « moment ­d’enthousiasme et d’espoir, de générosité et d’idéaux (…), pionnier pour la promotion de la laïcité, la protection des travailleurs ou l’émancipation des femmes », des thèmes encore « très présents » dans la mémoire politique de la gauche. Pour preuve, cinq ans plus tard, le groupe PS à l’Assemblée avait proposé puis fait voter un texte proclamant la réhabilitation de toutes les victimes de la répression de la commune de Paris - un « devoir d’histoire et de justice », selon le président de la commission des affaires culturelles de l’époque, Patrick Bloche.

C’est dire si l’appréciation de Roselyne Bachelot ainsi que la décision de classement par l’État ont déclenché une vague de protestation du côté des familles laïques, d’une partie de la gauche ou des francs-maçons. Symbole du « mépris du peuple parisien et de sa révolte » pour l’élue LFI, Danielle Simonnet, « insulte à la tradition ouvrière et à la France elle-même » pour l’Union des familles laïques, l’annonce est mal passée.

« Ce classement est une insulte à la mémoire des 30 000 morts de la Commune ! Érigé pour faire payer aux Parisiens leur résistance aux Prussiens puis aux Versaillais, ce monument mériterait au contraire un déboulonnage », s’est indigné Philippe Foussier, ancien grand maître du Grand Orient de France, sur Twitter, alors que, le 1er Mai, des centaines de francs-maçons se réunissent pour commémorer ces jours de révolte. Quant aux Amis de la commune, association fondée en 1882, elle estime que par cette reconnaissance, « le gouvernement donnera des gages à la part la plus conservatrice de la droite française ».

Formellement, la basilique n’est pas encore classée. Un avis favorable a été rendu par la commission régionale du patrimoine, qui sera transmis ensuite à la commission nationale, en début d’année prochaine. Cette dernière devra rendre un verdict final, afin que l’église puisse rejoindre la longue liste des monuments religieux classés en France. S’il est confirmé - ce qui devrait être le cas, selon Philippe Laurent, président de la commission régionale -, le classement permettra au monument de percevoir 20 % de subventions de l’État, complété par celles des collectivités, pour ses travaux. Une aubaine pour la crypte, qui n’a jamais été achevée.

Le regard esthétique a changé

Grâce au recours, qui sera désormais obligatoire d’un architecte en chef des monuments historiques, le label permettra aussi de porter une attention accrue à ce type d’architecture sur lequel le regard a changé. On l’a sans doute oublié, mais une partie des intellectuels du XIXe et du début du XXe siècles vomissait le Sacré-Cœur. Émile Zola parlait de « floraison monstrueuse d’une provocation et d’une domination souveraine ». Huysmans se demandait « comment Dieu s’accommodait d’une église dont les moellons de vanité étaient scellés par un ciment d’orgueil ». Et Mac Orlan jurait qu’elle avait l’air « posée là comme la maquette d’un architecte qui n’aurait jamais l’air terminé ».

Un siècle plus tard, ce dédain n’est plus d’actualité. Avec son allure rococo, et son emplacement en hauteur, la basilique est un monument iconique. Blanche - sa roche ayant la faculté de blanchir avec le temps et l’eau de pluie -, elle fait partie des incontournables de la visite parisienne, avec près de 10 millions de visiteurs, soit à peine 2 millions de moins que Notre-Dame de Paris. La plupart viennent admirer l’œuvre de l’architecte Paul Abadie ou la mosaïque monumentale du chœur. D’autres sont des fidèles, puisque les prières d’adoration se déroulent nuit et jour. Le 9 avril dernier, jour de Jeudi saint, c’est d’ailleurs depuis cet édifice dominant le nord-ouest de la ville que Mgr Aupetit, archevêque de Paris, avait choisi de bénir Paris et d’envoyer un message aux catholiques confinés. « Je n’avais pas réalisé, avant de prendre mes fonctions en septembre, à quel point le lieu était visité par le monde entier, explique le père Stéphane Esclef. Ici, on entend parler toutes les langues. »

Tout comme le Louvre ou Versailles, le ­Sacré-Cœur est désormais à moitié déserté, faute de touristes étrangers. L’ambiance y est feutrée, en dehors des groupes d’étudiants massés sur les marches, tentant d’éviter le Covid en avalant leur déjeuner à l’air libre. « Les Parisiens redécouvrent le lieu, même s’il faut faire l’effort d’y grimper. Ils redécouvrent des conditions plus agréables et plus spirituelles », poursuit le recteur, qui affirme n’avoir « rien demandé pour le classement de la ­basilique ». Cette tranquillité pourrait prendre fin en 2021, et pas seulement sous l’effet d’un ­nouveau vaccin ou du retour des touristes internationaux. Afin de prévenir les conflits, la ministre de la Culture tente désormais une voie médiane : « N’oublions pas que le square Louise-Michel est englobé dans le classement, ce qui permet de réconcilier ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas. »"

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