"Lettre ouverte à Madame Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur" 22 décembre 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Lettre ouverte à Madame Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur
Madame la ministre,
La situation à l’IEP de Grenoble et les poursuites engagées contre notre collègue Klaus Kinzler démontrent, s’il en était besoin, que la liberté d’expression des universitaires, de même que leur liberté académique dans le cadre de leur enseignement et de leur recherche, libertés dont vous êtes la première garante, sont en péril dans notre pays.
Depuis quelques années un courant militant -et se revendiquant comme tel- cherche à imposer, dans de nombreux établissements d’enseignement supérieur, en particulier dans le domaine des sciences sociales, un discours exclusif. Or c’est une chose d’accueillir de nouveaux champs d’études et de nouveaux paradigmes ; c’en est une tout autre de leur laisser acquérir une domination voire une hégémonie institutionnelle, alors même que leur pertinence scientifique fait l’objet, comme vous le savez, d’un intense débat intellectuel.
Vous vous étiez vous-même émue de l’extension dans l’Université de ce que vous avez nommé « l’islamo-gauchisme » - qui est l’une des manifestations de ces dérives - et aviez annoncé un rapport sur ce sujet en février de cette année. Force est de constater que, près d’un an plus tard, ce rapport, sans cesse promis et sans cesse reporté, n’a toujours pas vu le jour.
De même, nous attirons votre attention sur le rapport de l’Inspection générale que vous avez missionnée à l’IEP de Grenoble, relevant qu’« au terme de ses travaux, il ne fait pas de doute […] que ce sont les accusations d’islamophobie qui sont la cause de la grave détérioration du climat de l’IEP » (p. 2) et « qu’un climat de peur s’était installé depuis plusieurs mois parmi les étudiants de l’IEP du fait de cette utilisation par l’U[nion] S[yndicale] d’accusations (graves, puisqu’il s’agit de délits, voire de crimes tels que le viol) diffusées sur les réseaux sociaux contre tous ceux qui ne lui semblent pas partager ses positions » (p. 3). Or, il s’avère que la personne désormais poursuivie est celle-là même qui a alerté sur ces agissements et qui, nous vous le rappelons avec gravité, est menacée de mort pour cette prétendue « islamophobie » : notre collègue Klaus Kinzler. Et ces poursuites ont lieu au rebours des traditions de l’université française comme de la jurisprudence de la CEDH.
Dans ce contexte, où la liberté d’expression est menacée par des sanctions disciplinaires, voire pénales ; où le pluralisme de l’enseignement et de la recherche est contrecarré par des manœuvres d’intimidation, et donc par l’autocensure croissante de nos collègues, en particulier des plus jeunes, puisque leur carrière en dépend ; où, enfin, un nombre croissant d’étudiants font part de leur inquiétude devant ce qu’ils ressentent comme une entreprise de formatage et de propagande, notre question est simple : que comptez-vous faire précisément, Madame la Ministre ?
Avec nos salutations les plus respectueuses,
Premiers signataires
Michel Albouy, professeur émérite en sciences de gestion, Université Grenoble Alpes
Claudine Attias-Donfut, sociologue
Sami Biasoni, essayiste, docteur en philosophie
Christophe Boutin, professeur de droit public, Université de Caen-Normandie
Jean-François Braunstein, professeur de philosophie, Université Paris 1 Sorbonne
Pascal Bruckner, essayiste et philosophe
Joseph Ciccolini, professeur des Universités - Praticien Hospitalier
Albert Doja, professeur d’anthropologie, Université de Lille
Laurent Fedi, université de Strasbourg
Monique Gosselin-Noat, professeur émérite de littérature
Yana Grinshpun, linguiste, Paris 3
Philippe Gumplowicz, professeur de musicologie Université Evry-Paris-Saclay
Nathalie Heinich, sociologue
Emmanuelle Hénin, professeur de littérature, Sorbonne Université
Hubert Heckmann, maître de Conférence en Littérature médiévale, Université de Rouen
Mustapha Krazem, linguiste, université de Lorraine
Arnaud Lacheret, associate Professor
Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université Rennes 1
Andrée Lerousseau, maître de Conférence à l’université Lille 3 en Philosophie
Samuel Mayol, maître de Conférence, Paris 13
Michel Messu, professeur honoraire de philosophie
Frank Muller, professeur émérite d’histoire moderne
Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires
Bernard Paqueteau, professeur en Sciences Politiques
Rémi Pellet, professeur à la faculté de Droit Université de Paris et à Sciences Po Paris
Gérard Rabinovitch, philosophe
Pascal Perrineau, professeur émérite des universités à Sciences Po
François Rastier, linguiste, Directeur de Recherche émérite au CNRS
Philippe Raynaud, philosophe, Paris II
François Roudaut, professeur (Université Montpellier III)
Xavier-Laurent Salvador, linguiste, Sorbonne Paris Université
Perrine Simon Nahum, historienne et philosophe
Jean Paul Sermain, professeur émérite de Littérature
Jean Szlamowicz, linguiste
Pierre-Henri Tavoillot, philosophe, Sorbonne-Université
Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS
Thibault Tellier, professeur des universités, Sciences Po Rennes
Dominique Triaire, professeur émérite de littérature française, Université de Montpellier
Pierre Vermeren, professeur d’Histoire, université Paris I
Christophe de Voogd, historien
Nicolas Weill-Parot, directeur d’études à l’EPHE"
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Institut d’études politiques de Grenoble dans la rubrique Censures à l’université dans Enseignement supérieur dans Ecole,
les rubriques Une enquête sur l’"islamo-gauchisme" à l’université (2021) dans Enseignement supérieur,
"Islamo-gauchisme" dans Gauche et islamisme dans Gauche (note du CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales