par Patrick Kessel, Président du Comité Laïcité République. 5 juin 2016
Chahdortt Djavann, Les putes voilées n’iront jamais au paradis, Grasset, 208 pp., 18 e.
La situation des femmes révèle le plus souvent le degré d’avancement démocratique d’une société. Le sort fait aux prostituées témoigne toujours de leur obscurantisme.
Dans son dernier roman, Les putes voilées n’iront jamais au Paradis, Chadortt Djavan, immigrée iranienne, lauréate du Prix international de la laïcité décerné par le Comité Laïcité République [1], déchire le voile de l’hypocrisie et de la honte que les intégristes imposent depuis trente-cinq ans sur une grande et ancienne civilisation. Comme dans tous les intégrismes, le plaisir, le corps, le sexe sont minutieusement cloîtrés, encadrés, réprimés lorsqu’ils s’épanouissent au-delà de ce que postulent les dogmes de la foi qui se confondent avec les principes de la Loi. Partout où les clergés ont réussi à empêcher la séparation du politique et du religieux, l’émancipation sexuelle des individus est durement frappée. Femmes et homosexuels en sont les premières victimes. Les cités de la Foi sont censées êtres radieuses et vertueuses face à un Occident présenté comme débridé, empire du Mal et nouvelle Babylone.
Cette orthodoxie puritaine n’est que vernis, nous dit l’auteur qui fait parler Soudabeh, Zahar, Leili, Fataneh, Laleh, Sara, Golnâz, Tahereh. Elles viennent de tout l’Iran, de Shiras, près des ruines de Persépolis, la ville des deux grands poètes Saadi et Hefez, de Mashhad, Ispahan, Kermlan, Qom, Nichapour, Téhéran. Escort girls, femmes abusées, prostituées, fantômes fuyant pères, maris, souteneurs, elles sont retrouvées pour certaines étranglées avec leur tchador, abandonnées dans le caniveau, pour d’autres, arrêtées, battues, condamnées à 200 coups de fouet comme Heva - Eve en persan - avant d’être pendues.
"Vous voulez connaître une société ? Faites parler ses prostituées", dit une de ces femmes. Qu’est-ce que cette République islamique avec "tant de gardiens de la morale et tant de putes" ? "Tout se fait en catimini, sous le voile". "Tout le monde a des clients mollahs". "Nous devenons des putes halal et ce pays est devenu un grand merdier", lâchent-elles tour à tour, dans le récit de leurs détresses.
Comme sous toutes les dictatures, les peuples résistent en silence. En témoigne le sourire de ces jeunes femmes maquillées, au voile relâché, qui défient courageusement l’ordre machiste et sa police des moeurs dans les rues de Téhéran. La sortie de l’enfer sera l’oeuvre de cette jeunesse, en particulier des femmes, qui ont soif de vivre librement. Librement dans une société libérée. Où "la vente du plaisir sexuel sera légalisée, réglementée et protégée", dit une prostituée de Téhéran qui a vécu en Allemagne après la chute de Berlin. Mais même dans ce pays "où les bordels abondent, il n’y a en a pas un pour les femmes", dit-elle, suggérant, un brin provocatrice, qu’il conviendrait de songer à "un bordel rempli d’hommes à la disposition des femmes seules, malheureuses, délaissées"...
Au-delà de la dénonciation du régime islamiste, affinée au fil de ses romans, Chadortt Djavann interpelle sur la liberté des femmes à disposer d’elles-mêmes. Un débat loin d’être clos, y compris dans nos sociétés.
Patrick Kessel.
[1] Lire Chahdortt Djavann et Fadela Amara, lauréates du Prix de la Laïcité 2003 (note du CLR).
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